CHAPITRE 37.3 * JAMES

10 minutes de lecture

J.L.C

♪♫ ... ♪♫

Ses mots délient mes chaînes. Allégé par cet encouragement à regarder ailleurs, plus loin, je recentre mes pensées. Mes doigts se mêlent aux siens, et je repose ma tête à ses côtés, la respiration en acalmie.

— La star-up…

Le murmure s’évade sans peine, porté par une promesse retrouvée.

— Il y a encore dix jours, je croyais que tout aller tomber à l’eau. Ma sœur est venue me chercher en Écosse et m’a remis sur les rails. Depuis, je m’y attelle d’arrache-pied.

En vrai, elle est venue me ramasser comme une épave à Edimbourg et m’extirper de force du bourbier où je me planquais, avec les restes de dignité que je prétendais encore avoir. Puis, elle m’a traîné chez nous à Ridgebroch. Une semaine à comater, à évacuer toute la merde toxique que je m’étais injectée dans le système. Une semaine à délirer, à m’accrocher au moindre souffle d’air comme si j’allais crever à chaque seconde. Chaque muscle de mon corps criait à l’agonie, exigeait une autre ligne. Mon cerveau hurlait pour un répit, ne rêvant que de replonger dans la poudreuse et les opiacés. Mais, ma famille veillait. Surtout Isla, ma mère aussi. Quand ce calvaire a pris fin, ou du moins quand j’ai réussi à me tenir debout sans m’effondrer, elle nous a mis dans un avion direction la France.

Et maintenant, me voilà immergé en pleine frénésie professionnelle, jonglant entre un agenda digne d’un ministre et des montagnes de tâches à gravir.

J’en ai besoin. Pour occuper mon esprit sur du concret. Pour garder la tentation de la drogue à distance et jusqu’à hier encore, oublier que Victoria était à quelques kilomètres de moi sans que je puisse l’atteindre. Il fallait que je m’absorbe, que je m’agrippe à des obligations qui ne laissent aucune prise au vide. Fragile forteresse d’objectifs et véritable bastion contre mes démons — du moins, si je tiens bon — voilà ce que représente le travail dernièrement.

Son bras heurte délicatement mon torse et ses doigts me chatouillent la barbe. Elle adore faire ça. Chaque caresse apaise et provoque à la fois, une clé tournant doucement la serrure de mes silences.

— J’ai un rendez-vous demain avec une agence spécialisée qui doit me dégoter le local idéal pour l’implantation de la boîte. Et crois-moi, c’est un véritable casse-tête. Mon cahier de doléances est long comme le bras. J’ai une idée précise de ce que je recherche et ça ne sera pas une mince affaire.

— Et qu’est-ce qui ferait ton bonheur ?

— Un grand espace industriel, que je pourrais aménager à ma convenance. Peu importe que ce soit en ville ou en périphérie, tant que c’est aéré, avec un plafond haut pour installer mes alambics.

Je lui énumère chaque recoin nécessaire pour faire tourner la mécanique de mes ambitions, pointant les zones vitales pour le cœur battant de la distillerie. Victoria saisit au vol mes projections, les renvoyant avec des questions aiguisées qui alimentent notre discussion. Ses remarques, toujours pertinentes, creusent plus loin le canevas de mes plans, transformant mes réflexions en dialogue vibrant. J’essaie de visualiser chaque détail au passage et de noter mentalement l’inventaire des défis logistiques et techniques à venir, ces nombreux obstacles que je devrais affronter.

— L’endroit doit refléter non seulement l’art du whisky, mais surtout l’art de vivre, précisè-je encore.

Désormais couchée sur le côté, sa main épouse le creux de mon ventre. Je tresse des rêves dans ses cheveux, chaque mèche nouée à une ébauche.

— Oui, ce sera une distillerie, et je vais y passer des heures — un terrain de jeu en vrai. Mais je veux que ce soit aussi un lieu de rencontre, convivial et authentique, un amalgame de modernité et tradition.

Les rayons du soleil filtrent à travers quelques nuages épars, nous privant de leurs chaleurs.

— Tu comptes installer une boutique ? Un bar ?

— Pas pour tout de suite, mais c’est dans les cartons. Pour l’instant, l’enjeu majeur reste de consolider nos réseaux de distribution orientés B2B. On cible les établissements de bouche et de nuit avec un modèle de vente construit sur la proximité et la relation directe. Notre CRM intègre une base de données d’adresses stratégiques locales à fort potentiel. On prévoit une segmentation de la prospection en plusieurs phases, avec un focus particulier sur le Pays basque, la Côte d’Azur et la capitale, bien sûr.

Je suspends mes mots, le temps qu’elle digère le flot d’informations.

— Tu me suis ou c’est trop technique ? je l’interpelle.

— Non, ça va, continue.

— T’es sûre ? j’insiste encore.

Manquerait plus que je l’assomme avec tout ce jargon.

— Je découvre, mais tu as piqué ma curiosité, m’avoue-t-elle tout sourire. Vous vendez aussi directement aux particuliers, c’est ça ? Avec le site ?

Elle ne fuit pas ? Miracle. Je hoche la tête, soulagé, et décide de poursuivre, mais en tempérant mon enthousiasme et en allégeant mon discours niveau terminologie.

— Oui, on a déjà activé des canaux en B2C. L’idée, c’est d’amener les gens directement sur notre plateforme en ligne, pour non seulement distribuer nos bouteilles, mais aussi atteindre un public plus vaste. Notre page Insta nous sert à lancer nos campagnes de com, ce qui génère du flux vers le site. Depuis quelques mois, le site tourne bien, et j’espère qu’il pourra représenter une part significative de nos transactions. Mon objectif est de tripler notre volume d’ici l’année prochaine.

Curieuse comme toujours, Victoria oriente la discussion vers un terrain plus technique. Elle me questionne sur les chiffres, sur les bénéfices, les marges. Je vois bien à son regard qu’elle n’est pas dans son élément, mais elle cherche à se faire une idée précise. Et moi, je suis impressionné.

Alors, je prends le temps de lui expliquer, sans trop entrer dans les détails complexes. Elle opine doucement, ses yeux fixés sur moi, à l’écoute. J’essaie de rendre ça aussi simple et fluide que possible.

— En gros, tout doit être évalué au cordeau, sinon on risque vite de se retrouver en difficulté. Ce n’est pas uniquement des chiffres sur un papier, mais une mécanique bien huilée. Dans ce domaine, le charme seul ne suffit pas à ouvrir les bonnes portes. Le combo gagnant, c’est : expérience, instinct et discernement.

— Précision et intuition. Ça a du sens. Et il me semble que tu excelles dans les deux, non ? lâche-t-elle, taquine.

Tiens, elle m’attaque sur ce terrain ? Soit. Je lui rends son sourire, bien conscient du sous-entendu glissé avec une nonchalance calculée. Son petit jeu de mots frappe juste, et elle le sait.

— Maintenant que j’y pense, c’est vrai qu’il y a eu cette fois où mon flair m’a soufflé de décrocher le numéro de cette blonde incendiaire qui me hantait depuis des mois…

Un gloussement cristallin s’échappe de ses lèvres alors qu’elle enfouit son visage dans mon épaule, son haleine chaude effleurant ma peau.

— Et elle t’a dit non ! ricane-t-elle, moqueuse mais tendre.

— Bingo ! 48 h à scruter mon téléphone comme un idiot, rétorqué-je avec une fausse indignation.

C’est fou ce que l’incertitude peut te rendre dépendant. Comme dit le dicton : « L’espoir fait vivre. »

— Sérieux, j’ai cru que j’allais repartir bredouille en Écosse, toi reléguée au rang d’épisode manqué pour la troisième fois. À vrai dire, j’étais à deux doigts de me transformer en stalker, fouiller tes réseaux et débarquer pour te traîner de force dans un bar pour prendre un verre…

— Ah bon ? Tu te serais contenté d’un simple verre ? me relance-t-elle, sourcil levé et regard pétillant d’une ironie à peine voilée.

Toujours allongée sur l’herbe, elle s’étire légèrement avant de se redresser sur un coude, l’ombre d’un sourire flottant sur son profil.

— Oui, Vi. Juste un verre. Avec peut-être un soupçon d’audace en supplément.

Je lui adresse un clin d’œil, réduisant lentement la distance entre nos visages.

— Le « plus si affinités » était au programme, mais ton petit caractère volcanique ne m’avait pas échappé, chuchotè-je contre ses lèvres pleines, tentatrices.

Il y avait quelque chose de magnétique dans sa façon d’être, un mélange de fragilité et de force. Le genre de cocktail explosif qui te pousse à t’accrocher sans raison logique.

La gaieté illumine ses traits tandis qu’elle rabat une mèche rebelle derrière son oreille, avec un naturel qui me rappelle à quel point elle est ravissante. Mais, avec cette femme, chaque instant oscille entre le flirt téméraire et une tendresse délicieusement intime, une danse subtile où désir et affection s’emmêlent les pinceaux en permanence. À un souffle de ma peau, comme si elle jouait à tester ma patience, elle me défie :

— Un petit caractère, je l’admets, mais avoue-le : c’est ce qui te rend complètement accro.

— Carrément, m’aingeal. Ton esprit vif a le don étrange de me captiver, va comprendre, répliquè-je, amusé.

Et elle m’embrasse du bout des lèvres, un baiser aérien, mutin. Une agréable chaleur s’installe dans ma poitrine. Victoria se laisse retomber sur le dos, riant doucement, la tête tournée vers le ciel.

Notre petite digression taquine terminée, Victoria me relance sur mon projet. Tout chez elle semble toujours à sa place, ordonné, sous contrôle. Une maîtrise implacable de soi qui, sans même qu’elle ne cherche à le faire, me garde sur le qui-vive. Dans mon monde où mes habitudes peuvent vite me perdre, elle est cette ligne droite qui me rattache à la réalité, me recentre, me stabilise. Et Dieu sait combien j’ai besoin de cette ancre, cette boussole…

— Dis-moi, dans quels lieux toulousains tu distribues ton whisky ?

— J’ai déjà sécurisé des partenariats avec plusieurs institutions à Toulouse, comme l’Hexa, le Clau d’Or et le Prisme, La Nuité Éternelle, le Saint Sauvage, le Turbine et le Bikini. Je veux renforcer ces collaborations et en déployer de nouvelles.

Victoria réagit vivement :

— Tu as pensé au Diamant Rose ? Le club est en pleine expansion.

Et merde… j’aurais dû me douter qu’elle mettrait le sujet sur le tapis. Ça me tue de l’admettre, mais effectivement, le potentiel de cet établissement n’est pas négligeable. Je saisis une brindille et la fait rouler entre mes doigts, l’air de rien. Ça aide, un peu, à calmer la pression qui s’installe au creux de mon estomac. Contrôle apparent, chaos intérieur. Un grand classique chez moi.

— Antoine et moi, on en a discuté l’autre soir justement…

Je dis ça le plus calmement du monde, en essayant de dompter la pointe de jalousie qui commence à serpenter dans ma colonne vertébrale.

— Mati a l’ambition d’en faire un lieu incontournable. Son réseau, sa vision… Tout est là pour que le club devienne un spot prisé de la scène nocturne, argumente-t-elle.

Putain, rien que son prénom éveille un feu glacé sous ma peau. Et bon sang, on croirait qu’elle l’admire. Mon envie d’étranglement vient de monter d’un cran. Ce type gravite trop près d’elle, à portée de souffle, à portée de main. Je serre les dents. J’aimerais plutôt qu’elle se tienne loin de lui… pour toujours.

Parce qu’il n’y a pas que les affaires entre eux. Il y a autre chose. Quelque chose que je préfère ne pas nommer. Un doute qu’il me faudrait étouffer avant qu’il n’empoisonne tout. Une crainte viscérale, une épreuve par laquelle je ne veux plus jamais passer.

— C’est une piste solide. Ne reste plus qu’à définir si sa vision colle avec notre stratégie, lancè-je le plus neutre possible.

Et sa stratégie à lui, avec elle ? Parce que, si c’est une expansion qu’il cherche, c’est moi qu’il va trouver au travers de sa route. Un mur. Un obstacle insurmontable. Et croyez-moi, je ne bougerai pas d’un millimètre. J’ai traversé trop de chaos pour la laisser filer entre mes doigts à cause de lui.

— Mati sait reconnaître les bonnes opportunités. Il sera sûrement intéressé, ajoute-t-elle avec ferveur.

Mati par-ci, Mati par-là. Oh oui, il m’a l’air bien concerné. Sacrée énergie qu’il déploie autour d’elle. Avec elle. Je n’ai aucun doute sur ce qu’il espère récolter en retour. Ou ce qu’il y gagne déjà…

— Je vais creuser la question, voir si je peux envisager une première approche pour évaluer la faisabilité.

Putain, j’en reviens pas de dire un truc pareil… Ce gars, j’envisage surtout de l’écraser. La question est déjà réglée : il n’a pas sa place dans les draps de Victoria. Point final. Quant à ses chances, je vais m’assurer qu’il intègre bien que ce n’est pas une option.

— Au mieux, tu pourras viser un canal de distribution, c’est ça ? demande-t-elle encore.

— Ouais, c’est l’idée.

Enfin, dans l’immédiat, à ma prochaine rencontre avec ce crétin, mon but sera surtout de veiller à ce que ses vues sur Victoria soient définitivement éliminées de mon champ de vision. J’aurais bien envie de lui verbaliser de ne plus penser qu’il peut rivaliser, de ne surtout pas s’aventurer sur un terrain où il n’a rien à foutre et de ne jamais toucher à ce qui m’appartient. Mais bon, je passerais pour le connard arrogant, possessif et jaloux qui s’approprie Victoria comme un bien et non comme une personne. Tout sauf respectueux. Et pourtant, l’idée me hante. Parce qu’au fond, c’est primal, absolu. Si je ne revendique pas ce lien avec elle, qui le fera ? Certainement pas ce type.

— Tu pourrais y organiser des dégustations pour attirer des clients potentiels à la distillerie, non ? continue-t-elle, les yeux brillants d’enthousiasme. C’est un angle différent, et j’imagine, pas le même investissement, mais je pourrais t’accompagner. Je connais les lieux, les habitués. Le patron, je m’en charge.

Elle s’en charge ? Putain, non, je crois pas. C’est quoi, cette certitude dans sa voix ? Cette familiarité entre eux… Un frisson de méfiance me traverse. Est-ce qu’elle se comporte avec ce type comme elle le fait avec moi ? Est-ce qu’elle bais… Bordel, ça y est, je déraille encore.

Annotations

Vous aimez lire D D.MELO ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0