CHAPITRE 38.2 * JAMES
J.L.C
♪♫ ... ♪♫
— T’as combien de produits différents dans ta gamme aujourd’hui ? demande Victoria, son regard pétillant d’intérêt, sa bienveillance en filigrane.
Victoria se rapproche jusqu’à être assise entre mes jambes, trouvant naturellement sa place contre mon genou replié dans son dos. Son épaule s’aligne contre mon torse, et ma main part à la découverte de ses boucles.
— Trois. Hors éditions limitées. Tout a commencé avec « Essence du Temps », un single malt, la signature de la maison. Puis, j’ai introduit « Audace & Alliance », un scotch premium. Enfin, « Révélation », un bourbon pensé comme une déclaration. Chaque bouteille porte la marque des feedbacks reçus et des expériences créées. Cette écoute nous assure de proposer bien plus qu’un simple spiritueux, mais une résonance. Sans ce dialogue, cette collection n’aurait jamais pris corps.
Un pic d’excitation me traverse. Instinctivement, j’agrippe les doigts de Victoria, dont les caresses sur mon torse se font indolentes, presque rêveuses. Je conduis sa main à mes lèvres, y laisse une empreinte fugace. Son sourire, tendre et complice, constitue une réponse muette.
Plus qu’une entreprise, je poursuis une vision. Peut-être, celle qui me préserve de la dérive. Et je veux que Victoria le perçoive. Qu’elle effleure mes repères, s’y attarde, tente d’en percer la logique ou d’en saisir l’essence, y cherche sa place me bouleverse plus que je ne saurais le dire. Moi, je souhaite avant tout la surprendre, lui offrir une meilleure version de moi-même, lui prouver que je ne me résume pas à un instinct, à un mouvement, mais que je représente une volonté, une constance.
— J’ambitionne de sortir une nouvelle bouteille l’année prochaine. Antoine insiste sur une approche dans l’air du temps : un whisky sans alcool. Si je suis tout à fait honnête, je ne suis pas convaincu.
J’aurais même plutôt tendance à crier au sacrilège. Mais en vérité, peut-être que je devrais… juste pour voir. J’aime l’ironie après tout.
— Un whisky sans alcool ? Ce serait un crime pour les puristes comme toi, non ? murmure-t-elle avec une pointe de malice. Mais… qui sait ?
Ouais, et le mot est faible. Autant proposer une raclette sans fromage, une mer sans vague, une nuit sans frissons.
Elle se redresse légèrement, son attention flâne sur moi, oscillant entre amusement et réflexion.
— Tu pourrais séduire une nouvelle clientèle. Ceux qui aiment l’idée du whisky, son rituel, ses arômes, mais qui ne veulent pas ou ne peuvent pas boire d’alcool. Les curieux, les aventuriers… ceux qui souhaiteraient goûter sans frôler l’ivresse. Et puis, regarde le marché. Aujourd’hui, la demande pour des expériences sensorielles sans compromis est en forte croissance.
Son sourire illumine ses yeux d’ambre qui me retiennent, et, dans cette fixité, une note intriguée s’installe.
— Ce serait un défi technique, j’imagine ?
— Un casse-tête, surtout, soufflé-je. L’alcool n’est pas qu’une base, c’est un révélateur d’arômes, un liant essentiel. Sans lui, la structure s’effondre et tout change : la complexité, la rondeur, la persistance en bouche.
Je passe une main dans mes cheveux, songeur. Ou dubitatif. Ou au bord du blasphème.
— Si on veut que ce soit autre chose qu’une eau aromatisée, il faudrait repenser toute l’approche. Minimiser la perte ou l’altération des saveurs, recréer la texture, redonner du corps, imiter la palette boisée des fûts. En gros, trouver un moyen de préserver l’âme du whisky… sans son feu.
Je hausse légèrement les épaules, un demi-sourire en coin.
— Techniquement envisageable, mais… sacré défi !
— N’es-tu pas homme à aimer les défis, James ?
Je plisse les yeux, faussement méfiant. C’est une question ou un piège ? Casser les codes ? Sortir de ma zone de confort ? Satisfaire ma curiosité ? Elle me connait. Un peu trop bien, même. Dangereux, ce niveau de clairvoyance.
Face à ma mine septique, elle reprend son argumentaire :
— OK, l’alcool c’est la matière première. Mais si quelqu’un peut y parvenir, c’est toi. Après tout, tu disais vouloir innover, surprendre, créer quelque chose qui résonne. Peut-être que ce projet n’est pas qu’une lubie d’Antoine. Peut-être que c’est une opportunité.
Ses traits s’adoucissent, une esquisse de provocation dans ses prunelles.
— À moins que tu préfères rester du côté des traditions ?
J’inspire, laissant l’air frais emplir mes poumons, puis m’étire.
— Mais je comprends, reprend-elle. Ton whisky, c’est ton héritage, ta fierté. Ça doit rester authentique, fidèle à tes racines. Si tu n’y mets pas ton cœur, il perdra sa force.
Ses ongles tracent toujours des cercles lents sur mon torse, et le poids de son soutien traverse le tissu jusque sous ma poitrine.
— Non, en vrai, pourquoi pas ? Le filon est là, et ce serait dommage de l’ignorer. Mais…
Coulissant jusqu’à sa nuque, mes doigts y exercent une légère pression qui lui occasionne un soupir d’aise. Ses paupières s’abaissent un instant.
— Pas avant d’avoir peaufiné un nouveau whisky : le « Victoire ». Qu’est-ce que tu en penses ? Ça sonne bien, non ?
La Victoire en question lève les yeux au ciel. Réaction prévisible.
— Quand tu as une idée fixe, tu n’en démords pas, hein ? Dois-je m’habituer à ce côté têtu ? Est-ce que ça fait partie du patrimoine génétique des Écossais ?
Oh, très subtil. Sa pique taillée sur mesure s’accompagne d’un sourire insolent et, résigné, je roule des yeux à mon tour. Attends que je mêle mon « patrimoine génétique » avec le tien ce soir, mo leanam…
— Imagine qu’il fasse un flop et que je devienne le goût de la défaite. Mon prénom résonnerait comme une malédiction sur tes lèvres, plaide-t-elle.
— Un flop ? Merci pour ta confiance inébranlable en mes talents…
Je tapote le bout de son nez, faussement vexé.
— Mais, dans le pire des cas, je transformerai la débâcle en mythe. Et crois-moi, les mythes se vendent bien.
Elle plisse les sourcils, réfléchit une demi-seconde avant de dégainer la réplique fatale.
— Mouais… t’as vraiment envie de partager mon goût avec le reste du monde ? Je te croyais plutôt adepte de l’exclusivité.
Son menton pointe en défi. Ma respiration suspend son vol. Cette fille est exceptionnelle. Son goût n’ira jamais autre part que sur ma langue. Elle marque un point.
— T’as raison. Je ne tiens pas à ce que mes clients — en plus de fantasmer sur ma superbe égérie — croient qu’ils te goûtent à chaque gorgée de mon whisky. Ce privilège, je le garde.
Un silence. Un élan. Je joue mon coup.
— D’ailleurs… si on parlait échantillon ? J’aurais besoin d’un test grandeur nature, juste pour perfectionner la recette… dis-je, le sourire espiègle.
Victoria ne répond pas. Elle agit. Son regard scintille de malice lorsque sa bouche se pose sur la mienne. Fraîches, acidulées, imprégnées de la saveur citronnée de la limonade qu’elle vient d’avaler, ses lèvres chatouillent mes sens avant de les consumer. Un frisson me parcourt. Mon cœur, lui, n’a même pas le temps de reprendre son souffle. Elle ne me laisse aucun répit.
Tandis que mes paumes glissent sur ses courbes et que les siennes encadrent mes pommettes, notre étreinte suspend la course des heures. Chaque baiser est tendre, mesuré — autant que possible dans ce parc public — mais la décence est une illusion fragile. Sous la surface, une tension feutrée s’insinue, se propage, alimentée par la manière dont ses doigts s’égarent, dévient. Fins, experts, téméraires. Sous mon t-shirt, mon ventre, puis lentement sur le renflement de mon entrejambe. Un soubresaut, puis un sifflement, nés du frôlement subtil de ma petite diablesse. Son audace attise la mienne. Mes mains, pas en reste, s’autorisent des caresses furtives, calculées, testent la limite de notre jeu clandestin en palpant des zones sensibles de son corps de rêve sous le couvert de ma veste drapée sur ses épaules. Victoria frémit, se cambre à peine. Suffisant pour me faire perdre une fraction de lucidité supplémentaire.
Le flirt s’éternise, entre équilibre et provocation, alors que chaque geste, aussi discret soit-il, devient un secret partagé, amplifiant cette complicité et cette ferveur qui couvent et grandissent de plus belle. J’ancre nos lèvres, espérant suspendre le temps, mais Victoria, dans un mouvement fluide, s’éloigne, me laissant sur ma faim.
Un grognement léger m’échappe, protestation à peine voilée, tandis que j’essaie de la retenir. Son rire mutin fuse avant qu’elle ne déclare :
— Je veux mon macaron !
Évidemment. Elle me torture et réclame une récompense. Ça se tient.
— Excellente suggestion ! Tu lis dans mes pensées, répliquè-je.
D’un bond, je me lève et fouille aussitôt les sacs, bien décidé à satisfaire cette envie sucrée. Priorité absolue : contenter Sa Majesté avant qu’elle ne décrète une autre privation injuste. Pourquoi je me laisse toujours avoir, déjà ? Peu importe, je lui tends le paquet et en profite pour boire. Même si l’automne est bien installé, la chaleur du soleil de novembre caresse encore nos visages, créant une illusion d’été qui réchauffe l’air frais autour de nous.
Tandis que je m’apprête à déguster ma consolation au chocolat et que Victoria s’attaque au macaron à la framboise, deux gamins en mode tourbillon déboulent dans notre champ de vision, riant à gorge déployée. Ce genre de légèreté, j’en ai presque oublié la pureté. Deux femmes les suivent de près. Leurs voix bienveillantes, mais empreintes d’une fermeté maternelle s’élèvent dans l’air pour leur rappeler de se tenir à l’écart de la mare. Le duo, un garçon et une fille d’à peu près six ans, insouciants et espiègles, poursuivent leur course effrénée, totalement absorbés dans leur monde.
Amusé, j’observe les jumeaux se pencher au bord de l’étendue d’eau pour lancer des miettes sur la surface. Une douce nostalgie m’étreint — écho lointain de ma propre enfance avec Isla. Victoria, spectatrice elle aussi, se tourne vers moi.
— Regarde-les ! Ils vivent leur meilleure vie, comme nous, me glisse-t-elle en les désignant, l’air complice.
J’acquiesce en silence et engloutis enfin le biscuit aux amandes. Mais déjà, mon esprit dérive vers le couple de mères et je me surprends à nous imaginer à leur place, Victoria et moi. La manière dont elles couvent leur progéniture du regard, entre tendresse et vigilance, me rappelle toute la force de l’amour maternel.
Je visualise cette possibilité sans mal. Mes gamins courant autour de moi, un joyeux chaos, mon cœur battant de cette même admiration infinie, ce même instinct de protection. Comme avec Sean. Les moments passés avec lui ne sont que pur bonheur.
Victoria, bien sûr, fait partie de ce tableau, parfaitement intégrée à cet objectif de vie.
Sourcils froncés et lèvres pincées par la concentration, penchée par-dessus une petite tête blonde, l’aidant à déchiffrer ses devoirs. Ou alors, dans une salle de bain en pagaille, luttant pour tresser les cheveux d’une petite puce qui refuserait obstinément de coopérer. Non, j’ai mieux : elle, changeant la couche d’un nourrisson et me tendant fièrement le paquet bien rempli d’un air satisfait comme si c’était un trophée.
Et quand je la regarde là, agenouillée dans l’herbe, un macaron jaune entre les doigts — sûrement celui au citron — une nouvelle scène surgit derrière mes rétines. Une ribambelle de marmots, braillant de bon cœur, grimpe sur elle, prêts à la transformer en trampoline. Elle les rouspète gentiment avant de se laisser envahir en riant aux éclats. Une lionne jouant avec ses petits.
— Tu en veux un autre ? propose-t-elle soudain, en me présentant le coffret en papier.
La magie s’évanouit. Dommage. Je saisis celui au café. Au moment où je relève les yeux, je m’aperçois que Victoria fixe quelque chose derrière moi. Intrigué, je pivote dans la même direction pour découvrir une tignasse brune en pleurs. On dirait bien que le môme est tombé dans l’escalier un peu plus loin. L’une des mères se précipite immédiatement pour lui venir en aide.
Victoria, d’un coup, se lève. Son regard se fait plus intense, un éclat de préoccupation vif la traverse. Sans un mot, elle plonge sa main dans son sac et en sort une pochette pailletée.
— Attends, je reviens, m’avertit-elle d’une voix calme, s’élançant déjà.
Alors qu’elle s’éloigne, je me laisse emporter par le roulement discret de ses hanches et le balancement de ses mèches blondes qui dansent en cascade dans son dos. Sa démarche est aussi légère qu’un souffle porté par le vent. C’est hypnotique. Mais, cachée derrière la fluidité de ses gestes, une détermination, impossible à rater, la guide. Je suis captivé, un peu perplexe, un tourbillon d’interrogations m’envahit. Qu’est-ce qu’elle a en tête ?
Quand je réalise qu’elle se dirige vers la petite famille, un drôle de pressentiment me gagne. Une intuition. Puis, l’évidence me frappe. Ma cage thoracique se comprime. Cette fille… elle est bien plus qu’exceptionnelle.
Même à distance, son intention est claire : elle ouvre sa trousse bleue et en tire des objets indistincts, mais que j’identifie pourtant. Elle confie une pipette et une compresse à la femme brune qui s’abaisse devant son fils, fouille à nouveau dans ses affaires, puis donne un pansement. Une douce étreinte enrobe mon cœur et une chaleur agréable se diffuse dans mes veines. Mon coeur aussi, elle va le bander, mon âme la réparer, ma vie la sauver…
L’ange gardien du jour s’accroupit aux côtés de la maman et se met à consoler le petit blessé toujours en pleurs. Ma corde sensible se tend à l’extrême jusqu’à ce qu’une bouffée d’admiration et de fierté m’assaille et la fasse vibrer en une harmonie sans commune mesure. L’intensité de ce moment me coupe le souffle et les portes de l’avenir se déploient devant moi : cette femme sera la mère de mes enfants ou personne !
Un instinct brut, primal s’éveille en moi. Un besoin irrépressible, un cri intérieur, une urgence biologique. L’image de notre famille se dessine dans mon esprit, si puissante, si sauvage que mes palpitations pulsent dans mes tempes. C’est elle. Je la veux. Pour la protéger, l’honorer, la combler, bâtir un lendemain et un toujours, ancrer notre héritage dans la terre, faire jaillir la vie de notre amour.
Elle est là, en moi, derrière mes paupières, au fond de mes entrailles, dans chaque parcelle de mon être. Victoria, assise dans un fauteuil suspendu, un nourrisson aux cheveux clairs blotti dans le berceau de ses bras, contre sa poitrine dénudée. Elle lui murmure des mots tendres, apaisants, ses yeux plongés dans des pupilles aussi bleues que les miennes. Elle saisit ma main, la gaieté aux lèvres. Son regard déborde d’amour, de dévotion, de cette joie profonde qui éclaire tout autour d’elle. Une vague de bien-être me submerge, et, sans y penser, un sourire béat s’étire sur mon visage.
J’ai à peine le temps d’apprécier la douceur de cette illusion. Sans prévenir, ma réflexion se brise, non se pulvérise contre un mur de néant. Ce rêve d’un bonheur partagé est asphyxié par l’ombre du cauchemar qui a zébré ma nuit. La lame glaciale de l’angoisse se plante dans mon cœur. L’appel chaotique de mon passé se heurte à cette promesse d’avenir. Un ouragan d’émotions se déchaîne en moi, une tempête virulente et éreintante que je n’arrive pas à calmer. Je suis pris au piège entre deux mondes. L’un me retient, l’autre aspire à me libérer. Je suffoque.
Soudain, un tremblement parcourt mes membres. Mes mains deviennent moites, et l’air plus lourd, comme si un étau invisible m’enserrait. Mon corps me trahit. Le cliquetis des fers de mes vieux démons me vrille les tympans. Leur noirceur, sournoise, prête à frapper me foudroie. D’un bond, je me lève.
Le mouvement me propulse hors de cette spirale, mais mon rythme cardiaque, anarchique, discordant, bute contre mon sternum avec la violence d’un tambour de guerre. Mes jambes s’animent d’elles-mêmes, m’entraînent vers Victoria, vers cette bienveillance qu’elle sème autour d’elle, ce sanctuaire qu’elle porte en elle et dont j’ai un besoin vital. Il faut que je l’atteigne, que je lui mendie un fragment de lumière avant que la nuit en moi ne referme ses crocs.
À mesure que je m’approche, un combat sourd se joue en moi : éradiquer coûte que coûte les chuchotements perfides qui enflent et s’enroulent autour de ma lucidité, noyer les sifflements venimeux qui se répercutent sous mon crâne et me détournent d’elle.
D’un hochement sobre du menton, accompagné d’un sourire apathique qui masque ma détresse, je salue la famille. Un simulacre de courtoisie et quelques formules mécaniques et sans vie ponctuent notre échange. Les mères m’accordent une dernière œillade de sympathie, puis leurs mots affluent, débordants de gratitude envers Victoria, centre de gravité de l’attention. Toujours aussi charmante, empathique, engagée, elle caresse affectueusement les cheveux bruns du petit garçon, serre avec un cérémonial déguisé la main de sa sœur, et enfin, son regard m’atteint. Elle vient se réfugier contre moi, son bras glissant derrière mon dos, avec la légitimité de l’évidence.
Son contact diffuse une chaleur qui s’infiltre en moi, et l’instinct me pousse à lui rendre cette étreinte, mais surtout à m’accrocher. Je l’attire contre moi, mais mes doigts se crispent trop fermement quand je l’enlace à mon tour. Top tard… Ses prunelles clairvoyantes me traversent, captent l’agitation sous la surface, percent le vernis. La quiétude qui l’habitait se fissure. Je représente la tempête dans son ciel d’azur, celle qui met son équilibre en déroute. Bordel, pourquoi je l’arrache ainsi à ce moment de légèreté, elle qui paraissait si épanouie et sereine ? Pourquoi ne suis-je pas resté assis à des kilomètres de sa joie de vivre ?
Je baisse les yeux, me perd dans le cuir de mes bottes, penaud. Mâchoire contractée, dents serrées. Contenir l’éruption dans mes tripes. Geler les sueurs froides dans ma nuque. La honte incendie ma raison. Je me terre dans le silence, camoufle le chaos de ma dissonance, mais le contraste entre sa douceur et ma tension devient de plus en plus flagrant. Je voudrais rassurer, prétendre, mais ma gorge se sangle, étranglant le mensonge avant qu’il ne prenne forme. Mon cœur ploie sous le poids de mes propres tourments. Je suis un homme en ruine, et elle mérite un palais de lumière, des fondations solides, pas les gravats de mes batailles ni un terrain miné. Elle vaut mieux que cette nuit qui m’habite, mieux que cette guerre sans fin.
Son regard insistant continue de chercher ce qui me ronge. C’est dans des moments pareils, ces minutes qui m’écrasent, m’étouffent, me soufflent que l’aube ne doit plus se lever, que je crains de ne jamais réussir à atteindre le bout du tunnel. Parce que là, tout de suite, si une putain de dose de crack atterrit entre mes doigts, il n’y aura ni réflexion ni combat. Seulement l’oubli.
Le manque — ce mal insidieux et implacable — revient à la charge. Il rampe, se coagule dans mes veines et infiltre chaque recoin de mon esprit en berne, à deux doigts de déposer les armes. Mes genoux vacillent. Une part de moi hurle, prête à tout sacrifier pour apaiser ce feu dévorant. Victoria est là, ancrée contre moi. Et pourtant… le gouffre m’appelle, la douleur pulse, le vide se creuse. Les ténèbres… La solitude… La souffrance physique… La brutalité… Mon mental s’effondre comme un château de cartes…
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