CHAPITRE 40.2 * VICTORIA
ATTENTION PASSAGE ÉROTIQUE
V.R.S.de.SC
♪♫ ... ♪♫
— On va tester ça ensemble, d’accord ?
Sa voix descend d’une octave, devient plus rauque. Un sourire arrogant étire ses lèvres, ses pupilles, sombres comme de l’obsidienne, ne me lâchent plus. Ses mains glissent le long de mes épaules, me forcent à me détacher de lui. Il attrape mes poignets, place mes paumes sur le bord froid de la vasque. Mes jambes se cramponnent tant bien que mal au meuble. Si je bouge de mon appui précaire, je tombe.
Je n’ai ni le courage d’acquiescer ni la force de protester. Mes pensées se heurtent, s’effritent sous la lueur de son regard. Je me contente de le fixer, hypnotisée.
— Bien. Pour la réussite de notre…
Il marque une pause, cherche ses mots, avant de me gratifier d’un rictus discret, ses yeux pétillant d’espièglerie. Qu’est-ce qu’il mijote encore ?
— … expérience, tu devras rester tranquille.
La blague ! Exiger l’immobilité quand tout en moi aspire à s’embraser à son contact ? Comme vouloir qu’un papillon ignore la flamme qui l’attire. Un non-sens.
Pour seule réponse, j’humecte mes lèvres. Fâcheuse impulsion. Il capte le mouvement, son instinct de chasseur en éveil, et ses prunelles s’obscurcissent d’envies inavouables. Ah, intéressant. Un coup de langue et le voilà déjà à la dérive. À retenir. Sa concentration déraille une fraction de seconde, juste assez pour que j’en savoure la portée. Il se reconstruit en un éclair, refermant la faille. Un frémissement me traverse. Il ne cède pas au désir, mais l’orchestre. La pire des menaces : un homme qui s’impose des limites est un homme qui sait quand les briser.
Il se faufile entre mes jambes. Naturellement. Il s’insinue, il prend, il s’installe, et docile, je le laisse faire, bien sûr. Ses paumes, fermes et douces, voyagent le long de mes membres, peau contre peau, égrainant l’effervescence avec une minutie exaspérante. Chaque caresse est un compte-gouttes, une torture maîtrisée. Ma bouche s’ouvre, aspire l’air dans un sifflement. Lorsqu’il atteint ma nuque, il réarrange quelques mèches rebelles avec un soin presque poignant. Une ironie cruelle : quand on augure la suite des évènements, cette feinte de tendresse relève de la provocation pure et simple. J’adore ça.
Le frisson de l’attente pulse sous mon épiderme échauffé, électrise chaque terminaison nerveuse. Faire semblant d’être sculptée dans la pierre quand on est de chair et de sang ? Peine perdue. L’immobilité est un art, et je suis bien piètre poseuse.
— N’oublie pas : ne bouge pas, souffle-t-il, et la menace cajole mon oreille autant que sa voix.
Mon rythme cardiaque ignore la consigne et cavale en désordre. Évidemment. Parce qu’être une statue sous l’attaque en règle d’un Apollon pareil, c’est tout à fait jouable. Et je suppose qu’un feu, en toute connaissance de cause, peut décider de ne pas consumer l’allumette qu’on lui tend ? Ou mieux : allez empêcher la mer de répondre à l’appel de la lune !
Lorsqu’il m’embrasse doucement, je me fais un point d’honneur de tenir le cap, bien qu’un frisson exquis déferle en moi, fébrile, affamé. Il incline la tête, guette ma réaction.
— Bien, chuchote-t-il.
Ses doigts se posent sur l’encolure de ma robe chemise, spécialement choisie pour éviter de ruiner ma coiffure tout à l’heure, au moment où je passerai la tenue de Perséphone qui patiente au club. Une robe qui s’ouvre sans effort, sur le devant, sans drame. Une façon de prévenir l’irréparable… ou de l’attiser. Pour l’occasion qui se profile, elle fera aussi son job. Il n’aura pas à s’énerver. Il n’aura pas à arracher quoi que ce soit.
James me dévore des yeux avec une intensité qui me cloue sur place, tandis qu’il s’applique à délasser le velours acajou, méthodique, précis, impassible. Il me fait languir. Parce qu’il sait que l’attente est le plus cruel des appétits. Un à un, les boutons sautent. Le vêtement m’effeuille sous ses gestes lents, dévoile le corps qu’il s’apprête à conquérir. Ses rétines avalent ma poitrine, puis mon ventre, puis l’unique pièce de lingerie qui m’habille : un tanga couleur chair, comme une seconde peau. La discrétion ou rien, telles étaient les seules possibilités sous la fameuse robe, tout en jeu de transparence. Évidemment, je ne sortirai jamais de chez moi sans un bas, donc l’option du rien n’en était pas une.
Enfin, il parvient au bout de son ouvrage, fait chuter l’étoffe de mes épaules. Il m’aide à m’extraire totalement et lance ce rempart tissé sur le panier à linge. Une envolée de velours, un atterrissage net. Deux points pour la précision. Il aurait visé le sol, j’aurais revu mon jugement sur ses talents multitâches.
Ses paumes reviennent aussitôt sur mes cuisses, s’y ancrent avec une autorité sans partage. Fini les caresses mesurées. Il réclame. Il s’empare. Ce n’est plus une étreinte tendre, mais une conquête de territoire. Ses dents emprisonnent ses lèvres. Il fixe les miennes. Puis, sans prévenir, sa poigne m’arrime contre lui, mes genoux contre ses flancs, ébranlant mon équilibre autant que mon souffle.
— OK, monsieur l’Impatient. J’ai saisi le message, t’as un plan. Mais laisse-moi au moins respirer.
Il ricane, effleure ma bouche sans la prendre, un contact spectre, aussi frustrant qu’ensorcelant. Je reste suspendue à ce presque-baiser, captive du jeu qu’il maîtrise sur le bout des doigts.
— Tiens-toi avec tes deux mains sur la vasque. Pas un mouvement, m’enjoint-il d’une voix grave, une voix qui me transperce et fait carillonner chaque fibre de mon être.
Un ordre. Direct. Implacable.
Je m’exécute, m’arc-boutant contre le rebord étroit du meuble, une posture qui me maintient dans une étrange tension, entre rigueur et abandon. La fraîcheur du revêtement contre ma peau nue ajoute un contraste piquant, accentuant la chaleur qui se diffuse en moi. Froideur clinique contre brasier intime.
James recule d’un pas et m’octroie une inspection panoramique, lente, mesurée, affamée. L’éclairage vif et sans concessions de la salle de bain ne laisse aucune ombre où se dissimuler. Une exposition totale qui propulse une bouffée d’adrénaline dans mes cellules. Ma poitrine qui se gonfle au rythme de mes respirations somme toute régulières — mais plus pour très longtemps — monopolise son attention pendant un instant.
— N’oublie pas : c’est une mise en situation. Si tu gigotes trop, le chignon va se défaire. L’objectif, c’est de le garder intact, m’informe-t-il.
Chaque syllabe coule comme de la lave incandescente dans mes veines. Il accompagne ses paroles d’un léger mouvement de tête, d’une moue moqueuse qui me donne envie de le fusiller du regard… ou de le mordre. Ce mec est une épreuve à lui tout seul. Infernal. Addictif.
Le challenge de la résistance capillaire sous haute tension. Un défi insensé : tenir bon sans céder, quand tout conspire à me faire plier. D’accord, j’aime tout maîtriser, mais, face au plaisir… la discipline a ses limites.
Il abandonne alors son t-shirt, le retirant d’un geste fluide. Dieu du ciel… Mes jointures se crispent autour de la céramique blanche, et j’avale difficilement ma salive, mes sens en alerte, mon souffle se fractionne. Et lui… lui savoure. Il réduit à néant la distance entre nous, envahit mon espace vital, m’absorbe et me condamne à son étreinte. En une seconde, son odeur, sa chaleur, la pression subtile de son corps me happe tout entière. Ses paumes chevronnées coulissent sur mes seins. Juste assez pour exciter, pas assez pour assouvir. Il laisse échapper un râle rauque. Un son trop court, trop frustrant, mais diablement érotique. Je ferme les yeux une fraction de seconde. Grave erreur. L’obscurité ne fait qu’amplifier les sensations.
Quand sa bouche vient sucer mon téton, c’est de la glace en fusion qui inonde mon être. Mes cellules ne savent plus si elles doivent fondre ou imploser. Sa langue descend ensuite le long de ma peau, traçant une ligne paresseuse vers mon nombril, puis plus bas… jusqu’à ce que ses lèvres frôlent la barrière de tissu, à peine un souffle de mon intimité. À ce stade, la frontière entre supplice et extase est purement théorique. Instinctivement, je me cambre, bascule ma tête en arrière, soupire, trahit mon désir.
Tout à coup, James se redresse et se plante devant moi, sourcils froncés. Merde. Je sens le vent du sermon.
Il rit, et ses iris s’allument d’une flamme mutine, d’une lueur de défi, de triomphe.
— Je savais que tu ne tiendrais pas une minute.
Le beau salaud ! Pas une once de compassion. Mon ego, qui agonise dans un coin, me somme de répliquer, de lui faire tâter la répartie cinglante posée sur le bout de ma langue. Mais… évidemment, il me coupe l’herbe sous le pied.
— Si tu enfreins les règles, je serai obligé de tout recommencer depuis le début et… et il me semble que tu es attendue, non ?
Quel provocateur ! Ce séducteur sans scrupules, ce stratège impitoyable, virtuose de la tentation. Il a cerné chaque parcelle de mon désir, et il s’en nourrit. Je lui lance un regard noir. L’arme fatale n’était pas censée être dans son camp.
— T’es le diable en personne, n’est-ce pas ?
Les milliers de papillons en émeute dans mon ventre sabordent totalement l’indignation que j’essaie d’arborer. Je devrais le maudire. Le haïr. Ou au moins, faire illusion. Mais mon cerveau a, semble-t-il, posé sa démission.
— Ah, tu m’honores enfin d’un compliment ! Et ta jolie bouche a retrouvé l’usage de la parole, me tance-t-il.
Je mordille ma lèvre. Mauvais réflexe. Son intérêt glisse irrémédiablement sur mon offensive buccale, et je peux presque entendre son instinct rugir en réponse. Sa convoitise n’a d’égal que son self-control.
Je réplique, d’une voix lente et faussement menaçante :
— Mon genou peut aussi trouver le chemin de ta virilité, tu sais.
Bien joué, Victoria. Nargue l’homme qui t’enchaîne littéralement et que tu supplies mentalement de continuer. Excellente tactique.
Sa joie éclate dans un rire franc, résonne contre le carrelage de ma salle de bain, me vrille directement le cœur.
— Putain, Vi… Ce que tu es insupportablement attirante.
Ses lèvres fondent sur les miennes toute retenue envolée, comme si la règle de l’impassibilité venait d’être brûlée sur l’autel du désir. Et moi, moi, je lâche enfin le rebord de ce satané meuble pour enlacer sa taille de mes jambes, obligeant son corps à ne faire qu’un avec le mien. Nos langues se lancent dans une danse effrontée et nos mains insatiables explorent chaque parcelle de peau de l’autre.
Soudain, une mèche indisciplinée, trahie par la fièvre de l’instant, échappe à son cantonnement forcé et vient chatouiller nos visages. James s’écarte, paumes à plat contre la vasque, le sourire aux lèvres.
— Au temps pour moi, j’ai dérogé à ma propre règle.
— Laquelle exactement ? demandè-je, curieuse et badine.
— Celle qui stipule qu’il ne faut pas toucher tant que tu ne restes pas parfaitement immobile, explique-t-il, un éclat de malice dans les yeux.
Je lève un sourcil, mi-amusée, mi-sardonique.
— Et tu as déjà oublié ta propre règle ?
Vraiment, qui aurait imaginé que ce serait moi, l’avocate du diable, dans une situation pareille ? Il glisse à nouveau contre moi, son regard intensément rivé au mien, chaque mouvement saccadé par l’électricité qui traverse l’air entre nous.
— Pour toi, je suis prêt à quelques exceptions, murmure-t-il.
Sa voix, douce et envoutante, tel un voile de velours, me fait frémir de la tête aux pieds.
— Mais pense à ton chignon, me rappelle-t-il.
— Je m’en fiche bien de mon chignon !
Qu’il tombe ou qu’il demeure, je suis bien au-delà de cette préoccupation frivole. Je me sens presque coupable d’admettre la véracité de ces mots, après la crise existentielle de tout à l’heure. Après tout, un moment comme celui-ci mérite d’être vécu pleinement.
— On redéfinit les règles, mo chridhe ? chuchote-t-il encore, avant de me voler un baiser furtif.
Mes doigts plongent dans ses cheveux, pendant qu’il fait vibrer les siens sur mes hanches, m’électrisant la peau.
— Oui.
— Dommage. J’aurais adoré découvrir jusqu’où tu tiendrais…
Il m’entraîne sur la corde raide et il ne cache son désir de me voir vaciller.
— Et toi, tu penses vraiment que tu pourrais résister si je te soumettais à la même torture ?
— Là, tout de suite ? Probablement pas…, me confesse-t-il d’un air joyeux.
Cet aveu m’appartient autant qu’à lui. Les papillons dans mon ventre, en pleine crise de nerfs, sautillent en battant frénétiquement des ailes.
— On est d’accord alors ? le défiè-je.
Il me répond par un hochement de tête.
— Passons directement au dessert, veux-tu ? J’ai une soirée à laquelle Perséphone doit assister et elle a hâte de revêtir sa robe, prête à enflammer le cœur d’un certain Écossais… ou d’un Hadès, peut-être ?
Tandis qu’il me renvoie un sourire éclatant, ses yeux se chargent d’une pesanteur qui me paralyse, me gouverne. Mon dieu personnel, mystérieux, magnétique, s’apprête à m’emporter dans les tréfonds de son monde. Mais… contrairement à Perséphone, je n’y suis pas emmenée de force. J’y cours, de mon plein gré, avec un plaisir manifeste et une envie dévorante.
Ses paumes sombrent avec une précision exquise le long de mes côtes, puis de mes omoplates pour finalement s’arrêter sur ma nuque. La traînée volcanique qu’elles laissent sur leur passage se fait incendiaire, secoue mes entrailles comme un tremblement de terre. Et lui, il est l’épicentre de mon cataclysme.
— Tu sais, le dieu des Enfers a un amour possessif et féroce, surtout pour sa reine.
Là, il joue à m’inclure dans son royaume. Et moi, je m’y sens déjà chez moi, conquérante et complice.
Sa langue se déploie vers mon oreille, un geste à la fois doux et impertinent.
— Perséphone sait parfaitement comment contraindre son roi à s’abandonner à la moindre de ses volontés, dis-je, mes ongles traçant des sillons de désir sur les muscles tendus de son dos.
Les pulsations de mon cœur deviennent incontrôlables quand James m’embrasse à nouveau, m’enveloppant de sa fièvre.
Ce qui a suivi n’a été que souffles précipités, gémissements libérés, murmures tendres ou implorants, chargés de ferveur et de dévotion. Nos corps en éruption se sont entrelacés, côtoyés, percutés. Comme deux mèches qui s’embrasent pour allumer un brasier unique. Comme deux gouttes qui fusionnent pour n’en faire plus qu’une. Nos bouches ont raconté leur propre histoire. Nos mains ont traqué chaque courbe, cartographié chaque recoin. Les caresses se sont transformées en promesses silencieuses, les baisers, en confessions inavouées.
Mon chignon ? Il a résisté aux assauts d’un homme passionné. Il tiendra bien toute la soirée.
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