CHAPITRE 40.3 * VICTORIA
V.R.S.de.SC
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La salle de bain porte encore l’empreinte ardente de notre union. L’air est gorgé de l’écho de nos souffles, investi de murmures dissipés, mais pas oubliés, des réminiscences brûlantes, prête à s’enrouler autour de mes chevilles, à me ramener dans la chute.
J’ajuste les boutons de ma robe en velours côtelé. Le tissu drapé sur mes courbes m’offre une pudeur feinte, un frottement doux qui lisse les vestiges de notre fièvre. Un leurre. Un rappel bien trop sage après l’anarchie exquise de ses mains sur mon corps. Le contraste me fait sourire. L’habit ne fait pas la sainte.
Peu à peu, ma respiration retrouve son tempo, mes pensées émergent du brouillard euphorique où elles étaient retenues en otage. Mais certaines, indociles, s’attardent, suspendues à la dernière note de plaisir. Mes cellules ont perdu le nord, mes neurones ont disjoncté en pleine ascension. Un orgasme pareil, c’est presque criminel.
Un dernier geste pour nouer ma ceinture, un quart de tour sur moi-même… et il emplit l’espace. La tentation personnifiée. Mon danger préféré. L’homme le plus séduisant au monde. Une vision qui devrait être illégale à cette heure de la journée. Penché au-dessus de mon lavabo, James s’asperge le visage. Les gouttes s’échouent sur sa mâchoire ciselée avant qu’il ne referme le robinet et se redresse, débordant d’une indolence sensuelle. Son pantalon à nouveau remonté sur ses hanches — quoique toujours déboutonné — raconte sans détour l’histoire écrite entre ces murs. Le tissu rebelle laisse entrevoir l’entaille qui serpente de ses côtes à son bas-ventre, pour disparaitre sous l’élastique de son boxer. Une faille délicieuse. Une provocation à elle seule.
Mes doigts conservent le souvenir de sa peau marquée, la sinuosité de cette ligne irrégulière, à mi-chemin entre cicatrice et signature, que l’assaut du temps ou des caresses ne parvient à polir. Un témoignage de son passé vibrant sous mon présent dont le relief s’imprime dans ma mémoire tactile à chaque fusion de nos corps.
Son torse nu se dévoile, tendu et puissant, tandis que son tatouage sombre pulse sous l’éclairage cru. Je l’admire en silence, me délecte de son profil anguleux, cette virilité brute qui m’aimante depuis le premier jour, cette énergie torride qui défie la lassitude. Je me soustrais à cette image fascinante avant que mes pulsions ne dérapent, une fois de plus, sur la pente délicieuse de la tentation et que mon esprit ne décide de réclamer un autre round. Depuis quand suis-je devenue si… insatiable ? Et pourquoi ai-je l’impression qu’il alimente ma faim à dessein, qu’il me pousse à en redemander, encore et encore ? Parce que son emprise est totale.
James s’essuie les mains, lentement, presque machinalement, tête baissée, avant de me faire face. Son regard me heurte. Pas juste intense. Différent. Plus lourd, lesté de pensées auxquelles je n’ai pas accès. Ses prunelles assombries portent un poids qui n’était pas là il y a quelques instants. Je fronce les sourcils, hésite, perturbée par la fatigue qui ombre son visage et cette tension qui s’est emparée de lui. C’est l’effet « défi relevé » ou une révélation existentielle post-coït ?
Je pourrais chercher à comprendre, insister, poser des questions. Ou arrêter de tout dramatiser sans cesse et de me perdre en suppositions. Je préfère m’accrocher aux souvenirs toujours brûlants sur ma peau et ma mémoire. Après tout, il y a quelques minutes à peine, il se riait de nous, soufflant une dernière taquinerie inspirée par la vigueur de nos ébats, un écho à l’urgence et la maîtrise déployées pour épargner mon chignon.
Mais bon, toute parenthèse finit par se refermer et il faut bien redescendre sur Terre. Je choisis de briser le silence et de nous recentrer sur le moment présent. On verra bien ce que ça donne.
— Quelle heure est-il ?
La question n’est pas purement rhétorique : je m’enquiers du temps dont je dispose encore. Peu à mon avis.
James consulte sa montre avec un geste quasi instinctif, son regard brièvement marqué par une lueur d’inquiétude.
— Quatre heures trente, annonce-t-il.
Mince… il n’y a plus une minute à perdre. Je dois filer. Si je n’avais pas passé ma journée avec James, je serais déjà au club depuis plus de deux heures. L’impatience me gagne, mêlée à une pointe de regret de devoir quitter ce moment volé à l’intimité. Mais bon, il n’y a pas de solution. Le temps ne se plie pas à mes envies.
J’attrape le collant noir délaissé sur le porte-serviette. L’enfiler s’avère moins gracieux que prévu. Une jambe, puis l’autre, en équilibre instable, tâchant d’éviter la contorsion disgracieuse. Le nylon semble avoir décidé de m’envoyer un message de résistance, le traître. Mouvement contrôlé, presque feutré, comme si la moindre maladresse risquait de rompre l’enchantement encore suspendu dans l’air. Une tentative d’élégance dans une action qui, franchement, n’en a aucune. Je glisse le tissu le long de mes cuisses, l’étire sur mes hanches, lisse les quelques plis. Voilà. J’arrange ma robe. Ni vue ni connue. Ou presque. Parce que, bien entendu, quand je relève les yeux, James m’observe, le sourire en coin.
Ah, évidemment. Pendant que je m’emmêlais dans ce fichu collant, il a dû en profiter pour mémoriser chaque détail. Toujours à l’affût. Je suis à peu près sûre qu’il aurait adoré me voir échouer, juste pour pouvoir me rattraper dans son rôle de sauveur tout-puissant. Bon, d’accord, je ne vais pas mentir, je n’aurais pas été contre l’idée de lui laisser ce petit plaisir.
— Une manœuvre délicate de plus à ton actif. N’hésite pas si tu as besoin d’un assistant la prochaine fois. Il y a des subtilités qui exigent un doigté aguerri…
Il me taquine. Une respiration profonde m’arrache à mon apnée invisible. L’ombre que j’avais cru déceler dans ses yeux tout à l’heure se dissipe sous des éclats d’humour. Je reviens en terrain connu, là où les zones grises de ses non-dits pesants ou de ses pupilles noires s’éclipsent dans le jeu, remplacées par cette étincelle qui allège l’instant.
— Ah, le professeur entre en scène. Et je suppose que tu es là pour m’enseigner l’art du perfectionnement, c’est ça ? rétorquè-je.
Quelques cours magistraux suivis de travaux pratiques et je m’inclinerai peut-être devant sa science. Mais faisons semblant de rien. Sinon, il va se figurer en conférence TED et réclamer des applaudissements.
— Non, non. Juste… admirer ta détermination. C’est une qualité que j’apprécie, me lance-t-il, espiègle.
Ah, quelle noblesse d’âme !
James récupère son T-shirt et l’enfile avec une expression de pure satisfaction. Voilà, rideau baissé. Fin du show. Le coton recouvre ce que mes lèvres ont adoré parcourir, et une partie de moi proteste en silence. J’étouffe un soupir, à la fis énamouré et soulagé. Ça me fait un bien fou — non qu’il se rhabille, le paysage imprenable sur ses muscles sculptés me manque déjà — mais que l’orage qui couvait en lui s’évapore en arc-en-ciel de gaieté.
— Ou peut-être que tu essaies de te donner bonne conscience après m’avoir vu galérer ? répliquè-je.
Mon regard s’accroche au sien, bravache, tandis que mes doigts plient lentement les manches de ma robe sur mes coudes. James refait son pantalon, s’étire légèrement, ajuste son T-shirt sur ses hanches.
— Faut bien que quelqu’un reste lucide dans cette pièce.
Curieux pour quelqu’un qui avait l’air bien loin de la raison quand il mordillait ma peau il y a quelques minutes… Mais bon, s’il veut réécrire l’histoire… libre à lui.
James s’approche et, du bout des doigts, coiffe une mèche échappée pour la replacer dans son carcan soigné.
— Pas évident de renouer avec la gravité après… ta petite perte de coordination, hein ? Perso, je parie que ton corps est encore occupé à négocier les séquelles de notre dernière activité.
Il dégage cette confiance implacable, pourtant, sans jamais glisser dans la prétention. Ça m’agacerait presque… si je n’étais pas trop accaparée par la sensation de ses abdominaux sous mes doigts.
— Je vais très bien, merci, minaudè-je.
Si ça continue, il va finir par me convaincre que ce genre de démonstration retourne du génie pur. Quelqu’un devrait lui dire que je suis déjà à la limite de l’admiration excessive. Mais ce ne sera pas moi.
— D’ailleurs, regarde mes cheveux. Défi gagné, non ? On dirait que je suis faite pour encaisser tes… « assauts ».
— T’en doutes encore ? Tu es éblouissante, Vi.
James me sourit, puis nous fait pivoter vers le miroir en m’enlaçant tendrement. Maintenant que je me contemple, je trouve ma coiffure parfaite. Faudrait breveter la technique. Ce chignon est le fruit d’un plaisir à demi murmuré, d’un jeu entre retenue amusée et passion débridée. Un secret à nous deux.
— Dommage que je sois un homme d’honneur. J’aurais presque envie de ruiner ce chef-d’œuvre avant notre départ.
Je bouge légèrement les hanches contre lui, feignant de vouloir me dégager, mais sans vraiment le faire et, du revers de la main, je lui donne une tape sur le bras. Pas assez fort pour ressembler à une réelle protestation, juste assez pour qu’il sente que je ne suis pas dupe de ses petites manigances. James me gratifie d’un sourire éclatant en resserrant son étreinte autour de moi.
— Allez, ma reine des Enfers. Tu as une soirée à conquérir.
Son souffle chaud effleure ma peau avant qu’il dépose un baiser rapide sur ma tempe, à la fois possessif et rassurant.
Je hoche la tête. Il est temps de refermer cette paranthèse.
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