CHAPITRE 40.5 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫




Lorsque James me rejoint après sa pause cigarette, je constate qu’un léger sourire souligne ses traits, creusant ses fossettes et accentuant son charme naturel. Dieu que cet homme est beau ! À chaque fois, c’est comme si je le redécouvrais.


Il m’explique enfin la teneur de son appel. Sa voix, d’abord modérée, se heurte à un petit flottement, aussi fragile qu’un souffle suspendu.


— J’ai eu Isla au téléphone. Elle… elle m’attendra à la boutique pour qu’on fasse le trajet de retour ensemble.


Je hoche la tête en signe d’assentiment, sans vraiment ajouter quoi que ce soit.


Il se tourne et, dans un silence presque solennel, verrouille la porte-fenêtre.


— Elle partira après son cours de dessin… Qui se termine vers 19 h, précise-t-il en faisant volte-face.


— Dans plus de deux heures, donc, dis-je, m’efforçant de ne pas paraître trop intéressée par son emploi du temps.


C’est pas comme si je comptais chaque seconde. Pas comme si son absence se mesurait à l’obsession. Évidemment que non. Eh bien, voilà, je me suis trahie toute seule. Je suis perdue, éperdument perdue.


James passe une main distraite sur sa nuque, un geste qu’il a toujours eu, comme une sorte de tic nerveux. Ce mouvement familier, presque intime, dissipe la brume des non-dits et rappelle à quel point je le connais encore bien malgré les tensions qui flottent.Si j’avais le don de lire ses pensées, je parierais sur une hésitation jumelle à la mienne, fugace, retenue, mais bien présente.


— Ouais, deux heures… soupire-t-il. Assez pour aller voir un film au ciné, je suppose.


Mon esprit accroche la question. Peut-être qu’il aimerait ce film que j’ai vu la semaine dernière. Mais… j’ai comme dans l’idée que cette suggestion n’est qu’un leurre et mon intuition me souffle que mon Écossais préféré me tend une perche. Ou bien, mon cerveau me joue des tours. On prend toujours ses rêves pour des réalités, n’est-ce pas ?


Je feins de réfléchir avant de réagir.


— Par contre, vu l’heure, tu risques d’être à la bourre pour retrouver ta sœur, répliquè-je, en essayant de glisser cette réalité de manière détournée.


Tout est dit dans ma phrase, mais je me cache derrière ce camouflage verbal. Dissimuler mes intentions sous des paroles anodines. Tu gagnerais vraiment à être plus frontale, Victoria !


Sa voix traîne lorsqu’il répond simplement par l’affirmative. Je me demande si… Est-ce qu’il espère que je lui propose de m’accompagner ? Si c’est le cas, il ne pourrait pas mieux tomber. L’idée me brûle déjà les lèvres. Mon envie d’être avec lui pulse en moi, dévorante, comme une soif qu’on n’arrive jamais à étancher. Chaque seconde grappillée près de lui se monnaye en victoire. Une seconde arrachée, une bénédiction. Mais je n’ose pas de peur de paraître trop… tout. Évidente, intrusive, accaparante, excessive… Et si j’ai tort ? S’il attend juste que je boucle la conversation au lieu de lui tendre une invitation déguisée ? Ah, les grands mystères de l’existence.


Mes dents s’enfoncent dans ma joue alors que j’hésite à faire le premier pas. Mais je sais bien que, si je n’agis pas, cette note absurde de malaise va stagner et la chance va filer.


— J’ai pas mal de travail au club, comme tu t’en doutes. Je… enfin, tu pourrais, si ça te tente, profiter d’une avant-première. Loin de moi, l’idée de t’imposer ma compagnie, bien sûr. Mais… si jamais…


Mon dieu, ce balbutiement… Par pitié, qu’on me retire mon droit à la parole. Je suis une catastrophe ambulante.


— Vi… me coupe-t-il.


Son ton alangui enveloppe mon hésitation comme une réponse anticipée. Ce « Vi… » étiré, pesé… Presque moqueur, presque tendre, comme s’il avait capté tout mon débat intérieur.


— Quoi ?


Il franchit l’espace entre nous, caresse ma joue du bout des doigts avant d’imprimer un baiser sur mes lèvres. Une chaleur douce, simple, plus éloquente qu’un discours.


— Tu sais parfaitement que la moindre seconde avec toi et c’est déjà mieux que tout ce que j’aurais pu prévoir ce soir.


Et voilà comment il court-circuite mes détours ridicules en une seule phrase.


— C’est une vraie invitation, ou juste une politesse ?


Je parcours ses traits, fixe sa bouche avec gourmandise une seconde de trop. Bien entendu, je retiens un sourire, cache l’évidence sous un haussement d’épaules feint.


— Je… je t’offre une option. J’aimerais t’avoir avec moi, mais j’ai aussi des obligations.


Il plisse les yeux, amusé, et son timbre prend une inflexion espiègle.


— Je pourrais te voir dans ta robe, flirte-t-il.


James Liam Cameron et son inébranlable capacité à faire dérailler la conversation vers ses propres centres d’intérêt… Je parle boulot, il fantasme. Priorités masculines.


— Et si je te disais que j’ai précisément un problème de fermeture éclair récalcitrante ?


Son regard s’illumine d’une lueur dangereusement concernée. Jackpot. Il me tire vers lui, enserre mes hanches. Nos silhouettes se collent, l’atmosphère s’alourdit. Il se penche, sa langue frôle mon oreille. Puis, dans un râle érotique qui me fait chanceler, il lâche :


— Ne fais pas des propositions que tu n’es pas prête à tenir…


Ce souffle contre ma peau… Il devrait être interdit. Ou surtaxé. Il joue avec le feu. Mais moi, j’ai bien l’intention de le suivre. Peut-être même de l’attiser un peu. J’arque un sourcil, un défi silencieux.


— Ne me sous-estime pas, James.


Un sourire malicieux se dessine sur ses lèvres, mais il ne répond pas immédiatement. Il reste là, ses yeux rivés aux miens avec une force qui me brouille les idées.


— Tu sais, Victoria, j’ai hâte de t’avoir entièrement pour moi. Trois jours consécutifs. Rien que toi et moi.


Mon cœur fait un saut périlleux. Milan. L’impatience m’envahit. Je brûle de voir cette soirée prendre fin, de laisser derrière moi les quelques jours passés avec mes proches, pour m’élancer avec lui dans cette aventure.


— Moi aussi, soufflè-je, la voix tremblante d’envie.


Après avoir déposé un baiser sur ma tempe, James me libère. Il insiste pour m’aider, mais je lui fais comprendre que tout est sous contrôle. Il s’avance vers le vestibule, probablement pour se rendre aux toilettes. Le temps qu’il s’éclipse m’accorde un moment supplémentaire pour rêvasser.


Trois jours à ne respirer que pour lui, à ne vivre que pour nous deux, à goûter à la liberté de nos corps et de nos cœurs, sans détours, sans limites. L’idée seule me fait languir, frémir, saliver de désir. Loin des attentes extérieures, des obligations et des distractions, juste lui, moi. Une exclusivité totale, une connexion absolue. J’ai hâte de l’explorer à nouveau, sous toutes ses facettes, sans filtres, sans compromis. De souder davantage ce lien qui nous unit. De défaire les derniers mystères qui l’entourent. D’affiner ce que nous sommes prêts à sacrifier pour atteindre l’essentiel.


À travers chaque échange, chaque sourire, nous avancerons vers une version plus authentique de nous-mêmes, prête à tout pour cette vérité partagée. Comme pour Biarritz, mais avec un avant-goût d’avenir cette fois-ci. Un souhait de pérennité, de solidité, d’engagement exempts de notre relation jusqu’ici. J’ai la sensation que ce voyage marquera une inflexion, un moment charnière, où tout s’ajustera, où les choses se fixeront enfin. Qui sait ? L’Italie sera peut-être le terreau fertile où mes sentiments trouveront leur expression, où ce « je t’aime » fleurira, libéré du silence, pour se poser définitivement sur son cœur.


Je glisse dans les différents espaces pour amasser mes affaires avant de rejoindre James, qui attend patiemment devant ma porte, occupé à naviguer sur son téléphone. L’écran déverrouillé du mien affiche 16 h 48. À ce train, je devrais arriver au club dans moins de vingt minutes. En retard, mais mentalement prête. Mati, l’équipe et mes amis m’ont tenu informée tout au long de la journée, et tout semble se dérouler comme prévu.


Je mets rapidement la main sur la paire d’escarpins que je suis censée porter toute la soirée avec enthousiasme — une pensée qui frôle l’ironie, étant donné le défi que ces talons représentent pour mes pieds. Ah, la joie de passer des heures à souffrir pour la mode, à marcher comme une victime sacrifiée à la cause de l’esthétique… Je les fourre dans mon sac, chausse mes baskets et enfile mon perfecto en cuir noir.


Fin prête, trousseau de clé en main, je fais face à mon charmant compagnon. Il termine de vérifier quelque chose sur son interface, puis glisse l’appareil dans la poche intérieure de sa veste. D’un geste à la fois spontané et naturel, il se penche et m’embrasse. Étrangement, cet acte anodin me réconforte plus que je ne l’aurais imaginé. Une pensée fugace s’invite, presque inattendue : et si ce genre de moment devenait plus qu’une simple habitude, une part de mon quotidien ?


Absorbée dans cette réflexion, et sans que je puisse m’y opposer, James saisit mon sac à dos et le place sur son épaule.


— Je peux ? Ça me donnera l’impression d’être à nouveau un jeune et fringant étudiant, plaisante-t-il en me dévoilant ses dents d’un blanc parfait.


Je lui coule un regard amusé en ouvrant la porte de l’appartement.


— Tu assumes vraiment tout ? Le bleu layette et cette pochette avec des fleurs ?


— Absolument. Ma sœur en a un exactement pareil, mais en rose pâle et je n’aurais aucun mal à le porter aussi.


Oui, je me rappelle avoir déjà vu Isla avec. On avait d’ailleurs bien ri de notre goût partagé en matière de sacs. Elle, avec son modèle Hanoï. Moi, avec mon vieux Reykjavík bleu nuit, désormais remplacé par mon tout nouveau Guayaquil.


En passant le seuil, je lui lance un sourire taquin.


— Donc, je devrais prendre garde à ce que tu ne me piques pas mes accessoires de mode ? 


Il secoue la tête, un rictus à mi-chemin entre amusement et désinvolture.


— Et quand bien même le tien serait estampillé « girlpower », ça me conviendrait tout à fait.


Je ris en réponse à son clin d’œil, puis je lui emboîte le pas, le cœur léger. La porte se referme sur mon appartement et, sur mes hésitations.

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