CHAPITRE 37.2 * VICTORIA
V.R.S.de.SC
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La salle de bain est encore imprégnée de l’intensité de nos ébats, chaque souffle et murmure flottant encore dans l'air. J'ajuste les derniers boutons de ma robe en velours côtelé, le tissu légèrement rigide glissant sur ma peau avec ce frottement doux qui me ramène peu à peu à moi-même. Peu à peu, ma respiration se module, mes pensées reprennent vie.
Lorsque je me retourne, nouant fermement la ceinture autour de ma taille, l’homme le plus séduisant au monde se tient penché au-dessus de mon lavabo. Il s’asperge le visage, laisse l’eau s’égoutter un instant avant de refermer le robinet et de se redresser. Son pantalon à nouveau remonté sur ses hanches, quoique toujours déboutonné, laisse entrevoir la cicatrice qui serpente de ses côtes à son bas ventre, pour disparaitre sous l’élastique de son boxer.
Mes doigts se souviennent encore de la chaleur brute de sa peau marquée, de la sensation de cette ligne sinueuse sous mes paumes, comme un relief qui résiste au passage du temps. C'est une histoire que mes caresses découvrent sans jamais effacer, une cartographie de son passé gravée dans sa chair. Son torse nu se dévoile, tendu et puissant, tandis que son tatouage sombre vibre sous la lumière crue. Je l’admire en silence, me délectant comme au premier jour, de son profil anguleux et de cette virilité magnétique qui émane de son corps athlétique, chaque muscle racontant sa propre légende.
James s’essuie les mains lentement, presque machinalement, avant de poser son regard sur moi. Un regard intense, mais différent cette fois, plus lourd. Une profondeur qui semble porter le poids de pensées silencieuses, des pensées auxquelles je n’ai pas accès. Je fronce les sourcils, hésite, perturbée par la fatigue qui assombrit son visage et cette tension qui s’est emparée de lui.
Pourtant, il y a quelques minutes en arrière, il riait contre ma peau, m’offrant une dernière taquinerie inspirée par l’intensité de nos ébats, un écho à l’urgence et la maîtrise déployées pour relever le défi d’épargner mon chignon. D’ailleurs, maintenant que je me regarde, je le trouve parfait. Il est le fruit d’un plaisir à demi murmuré, d’un jeu entre retenue amusée et passion débridée, un doux secret que mon amant et moi partagerons toute la soirée.
— “Il est quelle heure ?, je demande calmement, aussi bien pour m’enquérir du temps dont je dispose encore — peu à mon avis — mais surtout pour briser le silence entre nous.
D’un geste machinal, James consulte sa montre au poignet, un éclair d’inquiétude passant brièvement sur son visage.
— “Quatre heures trente”, m’annonce-t-il.
Il n’y a plus une minute à perdre. Je dois partir pour le club immédiatement. Si je n'avais pas passé ma journée avec James, j’y serais déjà depuis plus de deux heures. L’impatience me gagne, mêlée à une pointe de regret de devoir quitter ce moment volé à l’intimité. Mais, je n'ai pas le choix.
— “Il faut qu’on y aille”.
James hoche la tête, compréhensif. Je le regarde une dernière fois avant de sortir de la salle de bain, cherchant une étincelle d’enthousiasme dans ses yeux, mais je sens aussi qu’il partage ma réticence à quitter ce cocon. Et à mettre fin à notre temps ensemble.
Il m’a fallu moins de dix minutes en revenant chez moi pour troquer mon jean et mon t-shirt de la veille pour une robe pratique et simple à enlever une fois que j’endosserai mon costume pour la soirée. En un rien de temps, j’ai rassemblé méthodiquement mon package de survie spécial évènement.
Dans mon sac à dos, j’ai soigneusement glissé mon iPad Pro, avec mes notes, mes contacts, ma liste de tâches, mes détails des animations, et même mon plan de salle et mes planches déco, tout l’essentiel pour gérer les derniers détails, vérifier les différents éléments et anticiper les imprévus. Je sais déjà que mon ordi sera mon sac à main du soir.
Je fais un saut dans ma chambre pour récupérer mon chargeur de téléphone, puisque ma batterie frôle le seuil critique. En passant, je m'empare de mon nécessaire à maquillage posé sur ma commode, avec mon miroir de poche, mes lingettes démaquillantes et ma miniature de parfum. D’ailleurs, je ferais bien d’y glisser une poignée d'épingles à cheveux si je ne veux pas me retrouver au dépourvu.
Je marque une pause rapide pour dresser la liste mentale de mes besoins de dernières minutes. Il ne manque plus qu’à transférer de ma pochette vers mon sac à dos ma trousse de secours — qui n’en porte que le nom. En réalité, il s'agit plutôt de ma malle aux trésors. J’y accumule précieusement un éventail d’objets hétéroclites pour affronter les aléas du quotidien en toute tranquillité. On y trouve non seulement des essentiels de soin et des classiques articles féminins, mais aussi quelques improbables, mais néanmoins indispensables comme du fil et une aiguille, mon incroyable stylo tournevis — toujours prêt à me sauver la mise lors de mes événements — ma collection de pierres de bien-être, et un mini Rubik’s Cube, mon fidèle allié contre le stress.
Avant de quitter mon antre, je m'oriente vers ma coiffeuse et saisis le flacon en forme de diamant. Je m’asperge de ce parfum envoûtant, déposant quelques gouttes sur mes poignets, mon décolleté, et derrière mes oreilles. Les fragrances orientales embaument l'air de ma chambre d'une aura douce et mystérieuse. Un mélange enivrant de vanille, rose noire, litchi et encens qui ajoute une touche de sensualité et de gourmandise dans mon sillage. Je suis sûre que James appréciera.
Mais alors que mes pas me guide vers la sortie, mon regard dérive vers le lit que je n’ai pas pris la peine de refaire après le passage de James la veille. Notre nuit d’amour et notre douce intimité me reviennent en mémoire. Une part de moi tremble à l'idée de laisser derrière moi ces bribes de complicité, de passion, de ce qu’on pourrait être si seulement j'avais le courage de tout lui révéler. Mon esprit est encore embrumé, oscillant entre notre récente étreinte dans ma salle de bain et l’épisode du parc, lourd de tensions. Nos moments de pure ferveur, où nos corps s’unissent avec une intensité renouvelée, se heurtent à cette turbulence qui a révélé la fragilité de notre lien.
Les mots que j'ai laissés échapper résonnent en moi, un cri muet face à la peur qui me consume. James, désemparé, avait voulu comprendre, mais j'ai été incapable de lui réitérer cette vérité, prisonnière de mes doutes. La déception dans son regard me taraude, et je pressens que le poids de ce non-dit va se dresser entre nous.
Et puis, il y a eu sa crise, le reflet accablant de son état de manque, une tempête soudaine qui a ravagé notre sérénité apparente. Je me souviens de son souffle court, de son corps tremblant contre le mien, de l’impact physique de cette angoisse qui l’a étreint, faisant voler en éclats nos instants de douceur. Je me sentais impuissante, insignifiante, totalement désarmée. Mon cœur saignait pour lui. Mais pour rien au monde, je ne l’aurais laissé tomber.
Dans ce chaos, il avait déclaré que notre relation, que notre couple, ne fonctionnerait pas, comme un verdict sans appel, un éclair zébrant le ciel pourtant si clair et dégagé, celui qui nous accompagnait depuis notre réveil à l’hôtel. Ces dernières heures vécues à flirter, à se taquiner, à partager nos rêves et nos projets, m’avaient replongée dans mois en arrière, dans un passé où tout semblait si simple et léger. J'avais l'impression que les choses redevenaient comme avant, avant que toutes ses vérités ne s’abattent sur nous, que des fissures plus profondes que jamais ne s’ouvrent sous nos pieds.
Depuis notre rencontre, je n’avais vu en lui que charme, joie de vivre, force et passion. Et même depuis ses révélations, mon cerveau perpétue cette image, occulte l’homme en souffrance comme un mécanisme de déni face à une réalité, qui, au fond, me fait peur. S’ajoute à ça mon angoisse face à l’engagement et j’obtiens un mélange détonnant d’incertitudes et de désirs contradictoires. Chaque regard, chaque baiser échangé me rappelle la profondeur de son amour —et du mien —, mais aussi la précarité de notre situation.
James m’a dissimulé ses luttes, et maintenant, ce qui se profilait comme une belle histoire d’amour avec l’ancien lui, — ou avec celui qu’il aspire à devenir — se métamorphose en une équation plus complexe. Car le James hanté par ses démons, cette facette de sa personnalité qui le dévore, ne doit pas être caché sous le voile de mes illusions, au contraire, il est essentiel d’avancer ensemble, de faire front commun. Il n’y arrivera pas seul. Le chemin doit se faire à deux.
Pourtant, mes craintes se superposent aux siennes. Certaines se rejoignent, d’autres s’annihilent. Chaque pas vers lui est un saut dans l’inconnu, comme hier soir, comme tout à l’heure. Malgré mon désir d'avoir foi en notre lien, de me fier à mes sentiments et de m'investir dans notre histoire, la méfiance et l'appréhension ne me quittent pas. N’est-ce pas l'essence même de toute relation humaine ? Espoir et peur. Intimité et vulnérabilité.
Les convictions qui me portent sont instables, elles s’effritent, se désagrègent, puis se remodèlent, se solidifient au fil de nos échanges, de nos aveux, de nos promesses murmurées. Il en va de même de son côté. J’ai confiance en lui, tant qu’il est près de moi… C'est tout ce que je peux me permettre pour le moment. Je suis prête à lui offrir refuge et sécurité, mais il semble encore trop réticent, persuadé de ne pas pouvoir être à la hauteur de notre avenir. Il me renvoie mes faiblesses en plein cœur tout comme je désavoue son pessimisme latent. Rien ne sert de s’engluer dans son passé si la promesse d’un meilleur futur est réelle. Et je crois en nous. Il doit en faire de même. Même si j'ai conscience d’avoir loupée le coche en évitant de lui dire je t'aime. Je ne veux pas que mes hésitations se transforment en barrières entre nous.
Chaque instant passé à ses côtés est une occasion de construire, de réécrire notre histoire, mais aussi d’affronter nos ombres. Je ressens cette tension palpable, cette impermanence qui pourrait s’effondrer au moindre faux pas. Mais l’amour, celui que je lui porte, est un moteur puissant.
Je suis déterminée à transcender mes propres peurs pour le soutenir, pour lui montrer que chaque cicatrice peut devenir un symbole de force. Nous avons le potentiel d’écrire un nouveau chapitre, un chapitre où le passé n’est pas un fardeau, mais une leçon. Ce n’est pas facile, mais je suis prête à me battre, à me dévoiler, à lui accorder ce qu’il cherche tant : la certitude que nous pouvons avancer ensemble.
Il doit comprendre que, malgré les doutes, je crois fermement en nous. Ma voix peut trembler, mais mon cœur reste résolu. C’est à moi de lui prouver que l’amour peut surmonter les tempêtes, que chaque promesse murmure l’espoir d’un lendemain radieux. Si une déclaration ouverte est ce qui pourrait faire pencher la balance, à la prochaine occasion, je la lui offrirai.
Je me rends compte que je suis plantée au milieu de ma chambre, le regard perdu dans le vague, mais une résolution nouvelle bien en tête. Je ne peux m'appesantir davantage, car l’heure tourne et ma vie quotidienne doit reprendre ses droits.
En revenant dans le salon, James entre dans mon champ de vision, impeccable, déjà rhabillé, avec cette allure séduisante et raffinée qui lui est propre. Je constate qu’un léger sourire a fait apparition sur ses traits, creusant ses fossettes et ajoutant à son charme naturel. Dieu que cet homme est beau !
Il me propose son aide, mais je lui fais comprendre d’un geste que tout est déjà sous contrôle.Il s’avance vers le vestibule, probablement pour revêtir veste et chaussures.
En rentrant, James s’est occupé de ranger mes courses du marché tout en se servant un café. Pour patienter, il s’est octroyé une pause cigarette sur mon balcon en profitant des derniers rayons de la journée. Un rapide coup d’œil par la baie vitrée m’indique que les nuages ont jeté leurs ombres sur la ville, préfigurant un orage imminent. Malgré ma tendance à faire confiance aux prévisions, cette météo automnale capricieuse ne m'inspire guère. L'instabilité des cieux m’inquiète, un rappel que le temps peut changer à tout moment. Au sens propre comme au figuré.
Je glisse dans les différents espaces récupérant mes dernières affaires avant de rejoindre James. L’écran déverrouillé de mon portable m'indique 16h48. A ce train-là, je devrais arriver au club dans moins de vingt minutes. En retard, mais mentalement prête. Les divers appels et messages reçus de la part de Mati, de l’équipe et de mes amis tout au long de la journée m’ont assuré que tout se déroulait comme prévu jusqu’à maintenant.
James est lui-même en train de naviguer sur son téléphone. Pendant que je me changeais, il a échangé un appel avec sa sœur. Les quelques phrases prononcées en gaélique ne m’avaient pas permis de comprendre grand chose à leur brève conversation. Mais James a fini par m’expliquer qu’Isla l’attendrait à la boutique pour qu'il puisse faire le trajet de retour en sa compagnie.
Je mets rapidement la main sur la paire d'escarpins que je suis censée porter toute la soirée avec enthousiasme — une pensée qui frôle l'ironie, étant donné le défi que ces talons représentent pour mes pieds. Je l’enfonce dans mon sac à dos avec le reste de mes affaires, chausse mes baskets et enfile ma veste en cuir noire.
Fin prête, sac et trousseau de clé en main, je fais face à mon Écossais préféré. Il termine de vérifier quelque chose sur son écran, puis glisse son appareil dans la poche intérieure de sa veste. D’un geste à la fois spontané et naturel, il se penche et dépose un baiser rapide sur mes lèvres, un élan censé dissiper la moindre tension résiduelle. Et ça marche. Un sourire illumine mon visage.
Étrangement, cet acte anodin me réconforte plus que je ne l'aurais imaginé. Une pensée fugace s’invite, presque inattendue : et si ce genre de moment devenait plus qu’une simple habitude, une part de mon quotidien ?
Plongée dans cette réflexion, et sans que je puisse m’y opposer, James saisit mon sac à dos et le place sur son épaule.
— “Je peux ? Ça me donnera l’impression d’être à nouveau un jeune et fringant étudiant”, me sourit-il de toutes ses dents.
— “Tu assumes vraiment tout ? Le bleu layette et la pochette tropicale avec les grosses fleurs roses ?”
Je lui coule un regard amusé en ouvrant la porte de l’appartement.
— “Absolument. Ma sœur a le même en version rose pâle, et ça ne me dérangerait pas de le porter”.
Oui, je me rappelle avoir déjà vu Isla avec. On avait d’ailleurs bien ri de notre goût partagé en matière de sac. Elle, avec son modèle Hanoï. Moi, avec mon vieux Reykjavík bleu nuit désormais remplacé par mon tout nouveau Guayaquil.
En passant le seuil, je lui lance enjouée :
— “Donc, je devrais prendre garde à ce que tu ne me piques mes sacs ?”
Il secoue la tête, un rictus à mi-chemin entre amusement et désinvolture.
— “Et quand bien même le tien serait estampillé “girlpower”, ça me conviendrait parfaitement.”
Je ris légèrement alors qu’il me lance un clin d'œil, et je lui emboîte le pas, le cœur léger, après avoir refermer la porte à clé derrière nous. Celle de mon appartement, et celle de mes hésitations.
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