CHAPITRE 41.3 * JAMES

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J.L.C

♪♫ ... ♪♫

Bordel, non ! Mais qu’est-ce qui me prend là ? Si je pouvais me foutre un coup de pied mental pour me remettre les idées en place, je le ferais.

Victoria mérite mieux que ces fichus raccourcis dans ma tête. De la considération. Du respect. Des pensées plus dignes que ce bordel de jalousie et d’orgueil mal placé. Pas ce langage bancal qui insulte ce qu’on est vraiment ! Je devrais la décrire pour ce qu’elle est, pas pour ce que mes peurs m’inventent. On ne baise pas. Elle s’abandonne à moi en âme et conscience, et je la comble de tout l’amour qui gronde en moi. Je l’aime comme on brûle, comme on se noie, comme on s’égare sans vouloir retrouver son chemin.

Ce type a un talent malsain pour me foutre en vrac. Mais il suffit que Victoria lui adresse un sourire complice pour que ma mémoire joue les bourreaux. Juste un ami, mon œil ! « Ami » ? Si c’est ainsi qu’elle appelle un mec qui l’a déjà vue nue, on a clairement un problème de définition. Un loup c’est rien qu’un chien un peu plus affamé.

Les insinuations de Mati sur leur passé me hantent toujours. Ils ont couché ensemble, c’est certain. Mais quand ? Comment ? Ignorer les détails, c’est les imaginer. Et l’imagination est bien pire que la vérité. J’ai besoin d’un verre. Ou d’un punching-ball. Peut-être des deux. La réalité est parfois un coup de poing. Autant amortir le choc dans l’ivresse.

Victoria et lui se lancent dans une conversation animée. Ils entrent dans leur bulle, échangent, organisent. Je fais mine de m’intéresser à la déco, mais je n’en rate pas une miette. Je guette, je capte, je note mentalement. Rien ne m’échappe. Mots, phrases, intonations, pauses, jusqu’à leur gestuelle et même la manière dont leur corps s’incline l’un vers l’autre. Ils semblent totalement absorbés par l’euphorie des préparatifs. Leur discours est professionnel, mais leur ton à la fois sérieux et complice résonne telle une mélodie insupportable. Bordel, certaines voix sonnent comme des ongles sur un tableau noir.

Chaque seconde qui s’écoule, chaque éclat de rire qu’elle lui destine, me torture un peu plus. Si tu pouvais lui servir un martini et lui masser les trapèzes, ça bouclerait la scène. Impossible d’effacer ses paroles, cette manière insidieuse qu’il a eue de poser son empreinte dans son passé, dans son lit. Une vrille glacée s’enroule autour de mes entrailles : et si elle lui a offert ce « je t’aime » qu’elle n’a pas voulu me donner ? Ma volonté vacille, suspendue entre l’instinct de la serrer contre moi et la peur sourde de la voir s’éloigner dans l’ombre d’un autre. Je refuse de retomber dans l’enfer qu’Amy a gravé en moi. Rejouer le même scénario, revivre l’humiliation d’un amour trahi ? Plutôt crever.

— Le chef aimerait bien que tu ailles contrôler les recettes des amuse-bouches. Il a dû en modifier une à cause d’un problème de réapprovisionnement. Je ne sais plus laquelle… le plateau des bouchées démoniaques, il me semble.

Il marque une pause, avant d’ajouter avec un sourire entendu :

— D’ailleurs, tu avais raison, les tartelettes épicées à la citrouille sont une tuerie ! Je dois dire que j’ai ma préférence pour le brownie au gingembre, mais tu connais mon penchant pour le chocolat noir.

Tiens donc. Le connard a le même péché mignon que moi. Merveilleux. Prochaine étape, il partage aussi mes chansons favorites et mes vieux films cultes ? Foutu karma. Qu’il s’étouffe avec son gâteau, englouti sous un torrent de chocolat amer.

— James, tu m’accompagnes ? me sollicite Victoria.

Putain, ce sourire. Cette femme va me dissoudre l’âme à force de me faire chavirer. Je devrais vraiment breveter l’effet Victoria. Catégorie : destruction mentale instantanée, addiction irrémédiable.

Sa main trouve la mienne. L’ancre. L’aimante. Je ne résiste pas. Je la suis. Bien sûr que je la suis. Vi m’entraîne vers l’office à l’arrière du club. Petit plaisir mesquin : croiser le regard de Monsieur le Patron avant de disparaître avec elle. Désolé, champion. Fin de la récré. C’est moi qu’elle kidnappe.

En passant, elle me présente Baptiste, le mec de Nina, sa meilleure amie. Le barman me reconnaît et on échange furtivement, un mélange de courtoisie et de camaraderie. La tension flotte dans l’air, mais elle s’évapore quand ma belle me guide dans la cuisine. Elle pourrait me traîner dans un volcan en éruption, j’y verrais qu’un sauna romantique. Fichu amour…

Elle me glisse un menu entre les doigts. L’exquise sophistication du design me frappe, chaque détail paraît pesé, calibré, distillé dans une esthétique élégante et maîtrisée. Le thème de la soirée s’y esquisse avec finesse, la typographie s’enroule sur la page, les caractères délicats palpitent presque, aériens, offrant à mes pupilles un ballet d’arabesques fluides.

Curieux, voire soupçonneux, je l’interroge :

— C’est toi qui les as écrits à la main ?

— Oui, répond-elle, son sourire gorgé d’orgueil discret.

Je scrute l’armée de cartes soigneusement alignées à côté d’elle, prêtes au service.

— Toutes ? demandè-je encore, intrigué par l’ampleur du travail.

Elle va me dire qu’elle les a faits en une nuit, avec un verre de vin et un fond de jazz.

— Oui, confirme-t-elle, et dans la lumière, son regard danse avec la même grâce que sa calligraphie.

— Il y en a combien ?

— Cinquante ? annonce-t-elle, comme si c’était une broutille.

Mon cerveau cale. Cinquante. Il me faut une seconde pour assimiler. Une autre pour l’admirer encore plus. Je pourrais passer ma vie à la voir s’immerger dans ses délires artistiques et ne jamais m’en lasser. Elle a mis tant de cœur dans ce projet. Elle y a versé son temps, sa minutie, une part d’elle-même. Je suis fier d’elle, viscéralement.

Victoria est réellement une femme à part. Elle possède un puits sans fond de talents, de ressources, d’idées qui ne cesse de me fasciner et de me surprendre. Là, au milieu des effluves épicés, entre le cliquetis des couverts et la musique diffuse des conversations de cuisine, je me perds dans une vision obsédante : chaque rêve, chaque folie, chaque instant de vie, je veux être à ses côtés, la soutenir, faire partie de tout ce qui la définit, tout ce qui la fait vibrer.

Ma charmante designer s’entretient avec le chef et j’en profite pour examiner un peu plus en détail les suggestions gastronomiques. Les noms, tous thématisés, me font déjà saliver.

« Équilibre des Âmes », un assemblage de tartinables veggie. Prometteur. Deux plateaux de canapés au choix : « Bouchées Démonaiques » ou « Nuages Célestes ». Le duel se poursuit même dans l’assiette. Le premier propose un cocktail de saveurs méditerranéennes : tomates séchées, pesto à la truffe, éclats de piment d’Espelette ; chorizo, gorgonzola, noix ; piquillos, anchois marinés, sésame noir ; foie gras, confiture de figue, gelée de poivre rose. Je suis déjà fan. Le second mise plutôt sur la légèreté de blinis raffinés garnis de fromages et herbes fraîches, d’agrumes, de délices de la mer et autres crèmes mousseuses. Une sélection class conçue pour minimiser les calories à coup sûr.

Accoudé à un îlot déserté, j’en suis là de mon analyse lorsque Victoria me présente une ardoise de petits-fours, digne d’un festin miniature.

— Tiens, j’ai réussi à chaparder un échantillon de chaque. Et… commence-t-elle en se tournant pour attraper un deuxième plateau tendu par un commis, voici les tartinables. Je ne sais pas toi, mais moi, j’ai une petite faim et je préfère me régaler avant plutôt qu’après avoir passé ma robe.

Midi, on pique-nique. Soir, on déguste. J’aime notre sens de la continuité.

— Donc, ton plan, c’est d’être rassasiée avant d’être éblouissante ? Malin.

— L’expérience m’a appris à ne jamais affronter une longue nuit le ventre vide. Crois-moi, c’est une règle d’or.

Stratégique et imparable. J’aurais dû m’en douter.

— Viens, on s’installe au bar. Ce sera plus confortable, et je pourrai savourer sans risquer d’en mettre partout.

Un plateau dans chaque main, Victoria prend la direction de la sortie. Arrivée à la porte de service, je la devance pour l’ouvrir. Un regard, un sourire en coin, et elle passe, souveraine.

On prend place, perchés sur les hauts tabourets. Mais d’abord, Victoria s’arme de son ordinateur. Manger, oui. Travailler, toujours.

Elle m’adresse un regard complice avant de tendre la main vers les petits hors-d’œuvre.

— Alors, qu’est-ce qui te tente ? m’interpelle-t-elle, ses yeux pétillants d’anticipation.

J’avoue ma préférence pour le fumet et le piquant des « Bouchées Démoniaques », ce qui déclenche un rire chez ma partenaire de dégustation. Je confesse mes réticences vis-à-vis du houmous et du gorgonzola, et elle, avec une touche d’amusement, admet que ces deux-là ne font pas vraiment écho à ses goûts non plus. Le duel pour la tomate pesto s’engage, et, sans grande surprise, Madame a le dernier mot. Même si, au final, j’ai eu le privilège d’en capturer les arômes quand j'ai posé mes lèvres sur les siennes sans prévenir. Quant aux autres petits délices, ils disparaissent en un rien de temps, et Victoria se régale de tartines à la tapenade d'olives vertes et au fromage frais à la ciboulette tout en lançant la conversation sur les cocktails signatures, dont les noms, tout aussi sulfureux que ceux de nos plats, deviennent des promesses intrigantes.

« Larmes d'Ange », « Etreinte Diabolique », « Caresse divine ». Le premier un pétillant à base de prosecco et de Saint-Germain, le second un rhum aux saveurs tropicales, le troisième une association de vodka et liqueurs de fleurs. Et bien sûr, le bien nommé « Flammes du Démon » dont elle m'a parlé ce matin.

En connaisseur curieux, je demande quel type de whisky ils utilisent dans ce mélange.

— Je te laisse voir ça avec Baptiste... Mais en attendant, ça te dit un brownie ? Je sais que tu ne résistes jamais au chocolat, et moi, j’ai bien envie d’une douceur pour finir.

Mon estomac se serre. Pas question. Ce foutu gâteau a déjà un goût de rancœur avant même que je l’effleure. Je tente la dérobade, jouant la carte de l’indigestion.

— Peut-être une autre fois… Je crois que j’ai atteint ma limite là, dis-je en esquissant un rictus gêné.

Elle arque un sourcil, amusée, et son regard, tout à coup, devient un petit jeu de séduction silencieuse. Son corps se rapproche, son sourire se mue en défi.

— Oh, donc, même un brownie te fait peur, maintenant ?

Ses lèvres... cette lueur. J'ai en face de moi la reine des provocations.

— Si tu ne veux pas de chocolat, il y a d'autres choix. Le macaron à la vanille fleur d’oranger pourrait faire fondre ton cœur d'acier.

Son ton est plus sérieux cette fois. Je secoue la tête, puis effleure sa main du bout des doigts. Elle reste là, en équilibre entre l’assise et l'appel de la tentation, prête à foncer dans la cuisine pour satisfaire son envie de sucre.

— Non, merci, je passe mon tour. Mais ça a l’air vraiment bon, je n'insinue pas le contraire, m'empressè-je de répliquer face à sa moue boudeuse.

— Tant pis pour toi. Je reviens alors. À l’inverse de Monsieur Ventre plein, mon estomac n'a pas dit son dernier mot et la mini pavlova au litchi ne va pas se manger toute seule. Ni la truffe au chocolat blanc coco d'ailleurs.

Elle descend du tabouret et débarrasse nos plateaux.

— Ah, je vois. Tu as clairement choisi ton camp niveau dessert.

— Oui, je vais m'octroyer quelques « Délices Paradisiaques », lance-t-elle, accentuant bien le nom des petites mignardises.

Son sourire s’étire tandis qu’elle rapproche nos visages. À un souffle de ma bouche, sa provocation tombe telle une bombe à retardement.

— En ce qui concerne les « Morsures Infernales », je sais où te trouver.

L’allusion me frappe comme une brûlure discrète. Mon corps se met aussitôt au garde-à-vous. Message reçu cinq sur cinq. Voilà qu'elle s'éclipse en me laissant sur ma faim. Quelle diablesse ! Et elle roule des hanches en plus !

Ses insinuations, ses œillades... Chaque mot, chaque regard, tout ça c’est comme du sucre dans mes veines. Ce genre de défi… Je ne manquerai pas de l'assouvir plus tard, quand l’obscurité de la soirée prendra le relais et que la tension de l’instant arrivera à son apogée.

Victoria m'abandonne, emportant son parfum et sa promesse silencieuse, et je prends quelques secondes pour respirer, pour chasser cette flamme qui me consume encore. Mais il est difficile de retrouver une paix intérieure quand chaque cellule de mon corps vibre encore à son rythme.

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