CHAPITRE 38.3 * JAMES
J.L.C
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Alors qu’on finalise le remaniement de l’espace — non, en vérité on se bécotait une fois de plus — Nina arrive, un peu trempée mais tout sourire, et nous informe que la pluie a cessé. Afin qu’elles puissent aller se maquiller, je me propose d’aller réinstaller avec deux autres de ses collègues les éléments de devanture du club qui avaient été retirés plus tôt pour éviter les dégât des eaux.
On s'active tant bien que mal à placer les deux énormes miroirs qui pèsent une tonne de part et d’autres de l’entrée principale lorsqu’une Maserati GranTurismo grise freine en catastrophe devant le club. Une superbe femme sort côté passager, claquant la porte derrière elle avec force avant que la voiture ne démarre à plein régime, faisant rugir le moteur telle une bête enragé.
Leslie fait une entrée fracassante. Queue de cheval haute, comme celle qu'elle arborait à l’anniversaire de Victoria. Combinaison intégrale rouge sombre, mettant en valeur ses courbes avec des coutures tressées qui serpentent le long de ses bras, de ses hanches et de ses cuisses. Décolleté plongeant, bien évidemment. Ceinture taille basse, option fouet intégrée. Cuissardes à talons du même ton que la tenue. Et une matraque.
Je me rappelle que Victoria est la seule à faire battre mon cœur, mais je ne peux pas nier l'impact que Leslie a dans cette tenue : elle est époustouflante, voire intimidante. Elle s'avance vers le club avec une grâce presque surnaturelle, mais son visage renferme une colère palpable. Je me demande ce qui a bien pu se passer dans l'habitacle de cette belle sportive pour la plonger dans un tel état. Ses traits, habituellement radieux, sont marqués par une tension qui me pousse à m'interroger sur la source de son agitation.
Lorsqu'elle me remarque, ses traits se détendent immédiatement. Un sourire en coin se dessine sur ses lèvres, adoucissant l'intensité de son regard.
— “Tiens, tiens, un Écossais à Toulouse ? Et qui met la main à la pâte de surcroit ? Est-ce que notre chère Victoria a enfin trouvé chaussures à son pied ce soir ?”
Je la salue poliment.
— “Comment s’est passé votre journée ? Et votre nuit ? Torride, je présume ?”, me lance-t-elle d’un air satisfait.
J'ai appris à apprécier le caractère direct et sarcastique de la meilleure amie de Victoria lors de notre précédente rencontre, mais je suis quand même déstabilisé par sa nature franche. Cette femme n'a pas peur de franchir les limites ; elle est aventureuse et, d'une certaine manière, déstabilisante. Je ne m’attendais pas à une telle question d'entrée de jeu.
Torride ? C’est un euphémisme quand il s’agit de Vi et moi.
— “Peut-être, mais je préfère garder les détails pour moi. Mais si tu as envie de voir ta copine rougir, pose lui la question”, je réponds mi-évasif, mi-complice.
Leslie éclate de rire.
— “Tu la connais bien ! Mais imagine plutôt quand tu la verras sur une barre de pole dance ! Je parie que cette nuit-là, vous mettrez le feu au parquet !”
— “Vi fait du pole dance ?”, je m'enquiers, curieux et surpris qu'elle ne m'en ait jamais parlé.
— “Non. Mais pour gagner un pari, elle apprendra !”, me confie-t-elle tout sourire avant d’ajouter : “Dans cette histoire, Mati et toi êtes les grands gagnants !”
Elle a dit quoi là ? Qu’est-ce qu'il vient foutre “cette histoire” ce blaireau ? Je commence à articuler ma phrase pour lui demander de quoi il en retourne lorsque la bête en question arrive en trombe.
Le regard qu'il jette à Leslie est noir, ses traits sont tout aussi marqués par la colère que ceux de la belle brune il y a quelques minutes. Se pourrait-il que..
Je jette une œillade à la fille en question et je m'aperçois que le sourire enjôleur qu’elle affichait il y a deux minutes s’effacent rapidement à la vue du connard. Elle se redresse, adoptant une posture fière, comme si elle était prête à défendre son territoire. Alors qu'il nous dépasse et pose un pied sur la marche qui mène à l’intérieur de l'établissement, il se retourne vers la copine de Victoria, la toise des pieds à la tête, mais ses épaules paraissent légèrement affaissés. Il reste immobile, planté devant nous comme un roc, sa mâchoire serrée. Le bruit de ses articulations qui craquent me surprend. Il semble sur le point de fracasser le mur de brique derrière nous. L'élégance désinvolte du patron a cédé la place à un caïd déterminé à en découdre. Mais il ne pipe mot. Ni sa jolie adversaire d’ailleurs.
La panthère ne quitte pas le tigre des yeux. Je suis là, témoin silencieux de cette confrontation muette. Leslie arbore soudain un sourire provocateur, mais une lueur d’inquiétude scintille dans ses pupilles. L’atmosphère devient électrique, la tension est à couper au couteau. En vrai, si je suis tout à fait honnête avec moi-même, je ressens à la fois une envie folle de lui coller une droite parce que cet enfoiré a osé toucher à ma Victoria, mais, une part de moi, a la vague l'impression d’assister une querelle d’amoureux. L’intensité qui émane des leurs postures respectives et de leurs regards affutés suggère une vérité cachée que j’ai déjà crue déceler l'autre soir.
Alors, je me tiens en retrait, doutant qu'il devienne violent, du moins pas envers elle. J'ai cette désagréable sensation de me voir en lui, dans un certain sens.
Finalement, il franchit les battants en verre sans un mot. Leslie le suit d’un pas résolu, d’une démarche féline et fière. Je peux le dire sans ambages, entre ces deux-là, il y a plus qu’il n'y parait.
Après avoir grillé une clope, je me faufile à mon tour dans leur sillage, conscient qu'un drame vient peut-être de se jouer. Pourtant, mes pensées s'envolent irrémédiablement vers Victoria. J'ai mes propres batailles à mener : une femme à aimer, un cœur à conquérir et une passion à révéler.
Plongé à nouveau dans l'univers onirique qui émerveille les lieux, j’attrape mon téléphone qui vibre dans la poche de mon pantalon. En l'extirpant, je découvre un message de ma sœur, impatiente de savoir quand je compte débarquer. Elle m'attend. Mes doigts s’activent sur l'écran pour composer une réponse rapide, mais une tristesse sourde s'insinue en moi. Il est temps pour moi de laisser Victoria, même si l'idée me serre le cœur. Quand je l'ai quitté plus tôt, elle était à l'étage, avec sa copine Nina, dans le bureau du grand chef pour une séance de maquillage.
Je ne peux pas partir sans tenter de la voir une dernière fois. L'excitation me parcourt à l'idée de la découvrir : peut-être aura-t-elle revêtu sa fameuse robe ? Putain, je suis sûre qu'elle sera à tomber. Sa silhouette s’imprime déjà derrière mes rétines. Je n’imagine rien d’autre qu’un tissu sensuel qui met en avant ses courbes divines et je frémis d’anticipation. Cette vision me pousse à faire un pas en avant, déterminé à retrouver son éclat avant de mettre les voiles. J’ai moi-même une petite mise en beauté à prévoir. Je n’ai pas la moindre idée de ce que je pourrais bien porter, mais je compte sur Isla pour m'aider.
Alors que j'atteins le bar, pour attraper une bouteille d’eau au passage, mes yeux se posent sur Nina, rayonnante dans une tenue angélique, digne d'une muse des cieux, avec ses ailes blanches dans le dos, son auréole dans les cheveux et des voiles vaporeux sur les épaules qui masquent subtilement le haut et la jupe très sexy qu’elle porte en dessous. Elle minaude avec Baptiste, qui la dévore des yeux avec un énorme sourire aux lèvres. Un couple tout mignon, perdu dans leur bulle de bonheur. Leslie quant à elle, est perchée sur la scène, engagée dans une discussion animée avec la jeune performeuse que j'ai aperçue plus tôt.
Les deux meilleures amies, bien que belles à leur manière, n’éclipsent pas l’aura de perfection qui émane de ma Victoria. Je ne rêve que d'un seul visage, d'un seul corps, d'une seule âme. Depuis des jours, des semaines, des mois. Un an. Il n'y a qu'elle qui compte et qui en vaut la peine.
N’ayant pas vu Vi en bas, mon instinct me pousse vers l'antre du diable où je l'ai laissé. Quoique le pauvre gars ne mérite probablement plus cette épithète. Surtout après la tornade Leslie qui semble l’avoir plié à sa volonté. Je m’autorise un sourire amusé en me demandant quelle séquelle leur confrontation a bien pu laisser. Mais pour l’heure, c’est Victoria qui fait battre mon cœur à mesure que l’adrénaline de la voir pulse dans mes veines. Ma petite déesse des Enfers est juste là et mon envie de la tenir dans mes bras me pousse à accélérer le pas.
En haut des marches, je traverse la seconde loge VIP, celle qui fait face à la façade avant de l’immeuble pour accéder au bureau de Mati situé au-dessus du bar au rez-de-chaussée.
Que m’a dit-elle dit déjà ? Que j'aurais probablement envie de lui arracher sa robe ? J’ai envie de lui arracher n’importe quelle tenue de toute façon. Mais la voir incarner Perséphone… voilà une vision que je me languis d’admirer. Mon désir gronde, mais je veux prendre mon temps, étirer chaque seconde, la chérir dans toute son éclatante présence. La conquête elle-même a bien plus de charme que la victoire immédiate, n'est-ce pas ce que Victoria nous a recommandé plus tôt ?
Ce soir, je fais de la patience ma vertu, de ma résistance un challenge, de mon amour un engagement
D’un geste, j’ouvre la porte du bureau.
Et soudain, mes pensées se cristallisent, le souffle me manque, chaque cellule de mon être se fige. Mon corps tout entier se tend, comme traversé d’un courant électrique. Et mon cœur, mon maudit cœur, éclate en morceaux.
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