CHAPITRE 41.5 * JAMES

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J.L.C

♪♫ ... ♪♫

Alors que Vi et moi on finalise le remaniement de l’espace VIP — non, en vérité, c’était plutôt une partie de cache-cache entre nos lèvres — Nina apparaît, un peu trempée, mais tout sourire, et nous informe que la pluie a cessé. Afin qu’elles puissent aller se maquiller, je me propose, avec toute la galanterie qui me caractérise, d’aller aider à réinstaller les éléments de devanture du club, retirés plus tôt pour éviter le dégât des eaux.


En compagnie de deux de ses collègues, je m’active tant bien que mal à placer les deux énormes miroirs qui pèsent une tonne de part et d’autre de l’entrée principale. Soudain, une Maserati GranTurismo grise vrombit puis freine en catastrophe devant l’édifice, son crissement de pneus perçant l’air nocturne. La brutalité d’une telle irruption… plus qu’un signal d’alarme, un évènement.


Côté passager jaillit une silhouette féminine dans un élan presque théâtral. Elle claque la portière d’un coup sec derrière elle comme si c’était une promesse de rupture définitive, avant que la voiture ne redémarre à plein régime, son moteur rugissant telle une bête enragée. Un vrai spectacle.

Leslie fait une arrivée fracassante. Si une détonation retentissait maintenant, ce serait pure cohérence scénaristique. Un ralenti, une exposition, une bande-son façon Kill Bill et on bascule officiellement dans le film d’action.


Queue de cheval haute — la même que celle qu’elle arborait à l’anniversaire de Victoria. Combinaison intégrale rouge sombre, taillée pour mettre ses courbes en valeur, striée de coutures tressées qui serpentent le long de ses bras, de ses hanches et de ses jambes. Décolleté abyssal, évidemment. Ceinture avec fouet intégré. Cuissardes à talons assassins coordonnées à la tenue. Et une matraque. Elle ne s’est pas déguisée, elle porte une arme de destruction massive. À en juger par son regard, elle semble prête à appuyer sur le bouton.


Je me rappelle que seule Victoria qui pulse sous ma peau, qui fait battre mon cœur, mais soyons honnêtes : dans cet attirail, Leslie a l’impact d’un missile à tête chercheuse. Difficile de dire si elle éblouit ou terrifie le plus. Les deux. Elle s’avance vers le club avec la grâce d’une Amazone et la rage d’une tueuse à gages. Je suis curieux : qui est l’inconscient qui a déclenché ça ? Il a bien dû se passer quelque chose sur les sièges en cuir de cette belle sportive pour la plonger dans un tel état. La tension qui marque son visage, d’ordinaire si lumineux, trahit une tempête sous-jacente. Et vu l’ouragan qui approche, le responsable qui a mis le feu aux poudres ferait bien d’avoir un très bon gilet pare-balles.


Lorsqu’elle m’aperçoit, ses traits se détendent, un sourire fend son tumulte, et l’orage qui semblait sur le point d’éclater se dissipe en un battement de cils. Impressionnant.


— Tiens, tiens, un Écossais à Toulouse ? Et qui met la main à la pâte en plus ? Notre cendrillon a dû trouver mieux qu’une chaussure à son pied, là. Une pantoufle de verre de collection. T’es du genre prince charmant avec option accent exotique ou bad boy qui a troqué son destrier contre un bon vieux whisky ?


Ouch. Direct dans le mille. Un interrogatoire déguisé en punchline. Manquerait plus qu’une banderole « Bienvenue dans l’enfer des copines, James ». Je la salue d’un signe de tête, préférant ne pas rebondir tout de suite. Mauvaise idée.


— Comment s’est passée votre journée ? Et votre nuit ? Torride, je présume ? me lance-t-elle d’un air satisfait.


Torride ? Quel euphémisme ! Mon dos se souvient encore de la brûlure de ses ongles. Disons que, si la météo avait suivi notre exemple, la ville rose serait en alerte canicule et les marchands de glace millionnaires.


Une snipeuse. Aucun échauffement, aucune mise en contexte. J’ai appris à apprécier le caractère sarcastique de la meilleure amie de Victoria lors de notre précédente rencontre. La dernière fois, elle m’avait déjà scanné en trois phrases. J’aurais dû me méfier. Leslie, c’est le genre de nana qui largue une question et a d’avance une thèse complète en tête avant que tu n'enquilles. Je croyais être immunisé contre sa franchise brutale. Faux espoir. Cette fille est sans filtre. Elle n’a pas de barrière, juste un talent inné pour franchir la ligne avec une désinvolture impeccable.


— Peut-être, mais c’est une info classifiée ça, je réponds avec un demi-sourire. Par contre, si t’as envie de voir quelqu’un rougir, pose la question à Victoria.


Tour de passe-passe habile, clin d’œil implicite et, surtout, refiler la patate chaude à Vi. Je parie sur un soupir centenaire et un lever d’yeux mémorable. Si je commence à donner des précisions, la copine psy aura deux options : prendre des notes pour m’embarrasser plus tard ou exiger une retranscription détaillée digne d’un roman érotique. Autant la laisser jouer avec la patiente suivante.


Son rire fuse, vif et victorieux.


— Bravo, tu la connais bien ! Mais imagine-la sur une barre de pole dance ! Cette nuit-là, vous mettrez le feu au parquet !


— Vi fait du pole dance ?


Je fronce les sourcils, étonné qu’elle ne m’ait jamais mentionné ça.


— Non. Mais pour remporter un pari, elle apprendra !


Elle me lance un regard malicieux, puis ajoute :


— Dans cette histoire, Mati et toi êtes les grands gagnants !


Elle a dit quoi là ? Qu’est-ce qu’il vient foutre dans « cette histoire », ce blaireau ? La chaleur monte d’un cran, comme un pic d’adrénaline mal dosé. Mon poing me démange. Pas bon signe.J’ai à peine le temps de digérer cette révélation et d’articuler ma réplique suivante pour demander des éclaircissements que la bête en question surgit en trombe, tel un taureau en pleine arène. Non, sans blague, lui manque plus que la fumée sortant des naseaux.


Le regard qu’il lâche à Leslie est noir, et la rage qu’il dégage est palpable, tout comme celle de la brune tout à l’heure. Attends, se pourrait-il que… ?


Un coup d’œil rapide et j’ai déjà capté que le sourire enjôleur qu’elle affichait il y a deux secondes a fondu comme neige au soleil dès qu’elle a flairé le connard. D’un coup, c’est comme si un interrupteur avait été actionné. Elle se redresse, pince les lèvres, et son attitude se transforme radicalement. Elle adopte une posture fière, presque territoriale. Une lionne prête à défendre sa tanière.


Alors qu’il nous dépasse et pose un talon sur la marche qui mène à l’intérieur de l’établissement, il se retourne vers la copine de Victoria, la toise de la tête aux pieds. Pourtant, ses épaules paraissent légèrement affaissées. Il ne dit rien. Mais même sans un mot, il réussit à faire comprendre qu’il n’est là ni pour plaisanter ni pour négocier. À quel genre de spectacle est-ce que j’assiste en vrai ?


Lui, immobile, planté devant nous comme un bloc de béton, mâchoire serrée à s’en faire mal aux dents. Il attend, mais quoi ? Le bruit sinistre de ses articulations qui craquent me prend par surprise. Il semble sur le point de pulvériser le mur de brique derrière nous. L’élégance désinvolte du patron a cédé la place à un caïd déterminé à en découdre, mais il ne bouge toujours pas. Ni lui, ni sa jolie adversaire. Rien.


La panthère ne quitte pas le tigre des yeux. Moi, je suis là, témoin silencieux de cette confrontation muette. Leslie laisse éclater un sourire provocateur, mais une lueur d’incertitude brille dans ses pupilles. L’atmosphère vibre d’une énergie électrique, la tension est à couper au couteau.


Si je m’abandonne à mes instincts, cet enfoiré aurait déjà reçu une droite bien placée pour avoir osé toucher à ma Victoria. Mais, en même temps, j’ai la vague l’impression d’assister à une querelle d’amoureux. L’intensité qui émane de leurs postures respectives, leurs regards aussi affutés que des lames de rasoir suggèrent une vérité cachée déjà soupçonnée l’autre soir. Les non-dits sont plus lourds que les mots. Et eux, ils portent un poids énorme.


Alors, je me tiens en retrait. Je doute qu’il devienne violent, du moins pas envers elle. Un malaise me traverse pendant que je l’observe. J’ai cette désagréable sensation de me reconnaître en lui, d’une certaine manière. Pas drôle. Ce regard voilé de colère, cet instinct primaire de protéger ce qui lui appartient. Je connais. Du machisme à l'état pur. De l'amour suffoqué aussi.


Finalement, implacable et froid, il franchit les battants en verre de son établissement, concluant l’échange l’air aussi indifférent que s’il ne venait pas de provoquer une scène. Leslie le suit d’un pas résolu, sa démarche féline, assurée, empreinte de cette fierté silencieuse qui la caractérise. OK, je peux le dire sans détour, entre ces deux-là, il y a plus qu’il n’y parait.


Après avoir grillé une clope taxée à un employé, je m’engouffre à mon tour dans leur sillage, les sens en éveil. Un drame vient peut-être de se jouer sous mes yeux. Leslie et Matti croisent le fer sans bruit, un duel où seuls les regards tranchent, mais mon esprit décroche. Mes pensées s’égarent ailleurs. Vers Victoria. Mon unique point cardinal. J’ai mes propres batailles à mener : une femme à aimer, un lien à sceller, une dévotion à livrer.


L’univers onirique du club m’engloutit à nouveau. Mon téléphone s’agite dans la poche de mon pantalon. À l’écran, le nom de ma sœur s’impose. Un message. Elle m’attend. Mes doigts s’activent pour composer une réponse rapide, mais mon coeur ralentit déjà. Les bonnes choses ont une fin. Et celle-ci approche trop vite. Victoria est à l’étage, insouciante, baignée dans l’instant. Moi, je suis sur le départ, même si tout en moi crie le contraire.


Je ne peux pas m’en aller sans la voir une dernière fois. Une pulsion, une nécessité. L’excitation me parcourt à l’idée de la découvrir : peut-être aura-t-elle revêtu sa fameuse robe ? Si c’est le cas, je suis foutu. Elle sera à tomber et, bordel, je sais d’avance que mes neurones ne survivront pas à l’impact.


Je vais finir dans un état végétatif, incapable d’aligner deux mots. Son image s’imprime déjà derrière mes rétines, une silhouette sculptée par un tissu sensuel qui épouse ses courbes divines. Je frémis rien qu’à cette pensée. Cette vision m’arrache un pas en avant, poussé par l’envie irrépressible de capter son éclat avant de m’éclipser. J’ai moi-même une petite mise en beauté à prévoir. À moins que le style « Écossais en vadrouille » devienne tendance ce soir. J’en doute. Aucune idée de ce que je vais enfiler, mais Isla saura me guider.


Alors que j’atteins le bar, pour attraper une bouteille d’eau au passage, mon regard se pose sur Nina. Radieuse, elle semble tout droit descendue du ciel avec sa tenue angélique : ailes blanches, auréole perchée sur ses cheveux, voiles vaporeux flottant sur ses épaules. Sous cette innocente feinte, un haut sexy et une jupe affolante se devinent. Baptiste, en face d’elle, la dévore des yeux, un sourire béat aux lèvres. Un couple tout mignon, perdu dans leur propre bulle.


Leslie, quant à elle, est juchée sur la scène, engagée dans une discussion animée avec la jeune performeuse que j’ai aperçue plus tôt. Je ne sais pas si elle débat ou si elle recrute une nouvelle disciple, mais son interlocutriceboit littéralement ses paroles.


Nina, Leslie, elles captent l'attention, impossible de le nier. Mais... les deux meilleures amies, bien que belles et charmantes, ne parviennent pas à devancer l’aura de perfection qui émane de ma Victoria. Je pourrais poser les yeux sur mille autres silhouettes, il n’y en a qu’une qui vaille la peine de m’y égarer. Je ne rêve que d’un seul visage, d’un seul corps, d’une seule âme. Ça fait des semaines, des mois, une année entière que mes pensées sont suspendues à son nom. Elle est l’unique femme à peser dans la balance de mon cœur.


Ne la voyant pas en bas, mon instinct me guide vers l’antre du diable où je l’ai quittée tout à l’heure. Quoique le pauvre gars ne mérite probablement plus cette épithète. Surtout après l’ouragan Leslie, qui semble l’avoir plié à sa volonté. Un rictus moqueur nait sur mes lèvres. Quelles séquelles leur confrontation a bien pu laisser ? Peu importe ce qu’il reste de leur affrontement. Pour l’heure, seule Victoria déchaîne cette frénésie dans ma poitrine, chaque battement marqué par la montée d’adrénaline. Ma déesse des Enfers est juste là et l’envie de la prendre dans mes bras me pousse à accélérer le pas.


En haut des marches, je traverse la seconde loge VIP, celle qui surplombe la façade avant de l’immeuble pour rejoindre le repaire du boss, suspendu au-dessus du bar au rez-de-chaussée.


Que m’a-t-elle dit déjà ? Que j’aurais probablement envie de lui arracher sa robe ? De toute façon, qu’elle soit drapée de soie ou de feu, la déshabiller vrille à l’obsession permanente. Mais la voir se glisser dans la peau de Perséphone… l’ombre, la lumière, la tentation. Voilà un spectacle que je brûle d’admirer.

Mon désir monte en tempête, impérieux, fiévreux, mais je veux en savourer chaque tourbillon. Étirer chaque seconde. La chérir dans toute son éclatante présence. La conquête a plus de charme que la victoire immédiate, n’est-ce pas ce qu’elle a sous-entendu plus tôt ? Elle a raison. Parfois, l’attente est un poison exquis, plus enivrant encore que la morsure de l’instant.


Ce soir, je fais de la patience ma vertu, de ma résistance un challenge, de mon amour un engagement


D’un geste, ma main trouve la poignée, l’abaisse et la porte cède dans un froissement d’air.


Et soudain, mes pensées se cristallisent, tout mon être devient statue. Un poing fantôme m’étrangle. L’oxygène me manque. Puis, une décharge fulgurante parcourt ma chair, incendie chaque nerf. Et mon cœur, mon maudit cœur, éclate en morceaux.

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