CHAPITRE 42.1 * VICTORIA
LES DEMONS DE LA PASSION
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V.R.S.de.SC
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Le rire de Nina résonne dans le bureau, léger, complice, tissant autour de nous une atmosphère chaleureuse. Mes doigts glissent sur une dernière mèche de ses cheveux, tandis qu’elle me raconte, dans un éclat feutré, une anecdote piquante sur sa nuit avec Baptiste. Le genre de confidence que seules les meilleures amies s’échangent, sans filtre ni retenue.
— Franchement, je suis étonnée. J’aurais plus vu Leslie oser ce genre d’extravagance que toi, lancè-je.
Nina plisse les yeux, faussement vexée, et je précise avant qu’elle réplique :
— Disons que Leslie, c’est l’énergie pure, une tornade d’éclairs. Aussi bruyante que lumineuse. Elle teste, joue, provoque, du genre à se jeter dans les flammes pour voir si elles brûlent. Toi, t’es plus… un rayon de soleil. Comme un matin de printemps réconfortant. Douce, réfléchie, romantique. T’aimes le beau, le vrai, le durable. Pas les coups de folie. Mais c’est pour ça qu’on t’adore : t’arrives à nous surprendre. Au fond de toi, il y a cette petite démone qui pointe le bout de son nez.
Nina pouffe.
— Tu me résumes comme une héroïne de roman à l’eau de rose !
Je hausse une épaule, un sourire en coin.
— Et toi alors ?
— Moi ?
— Oui, toi. Si je suis la caricature du dernier Bridgerton et Leslie la Harley Quinn de Mati, où tu te situes, toi ? Une sorte de Cersei Lannister grande maîtresse du contrôle avec ton Jamie attitré version écossaise ?
Je lui tire la langue.
— Tu sais que, dès qu’il s’agit de lui, tu deviens une vraie tornade émotionnelle ?
Pas faux… James fait voler tous mes repères en éclats et m’emporte dans un tourbillon passionnel sans égal. Lui, c’est mon volcan.
— On pourrait dire que je navigue entre les deux.
Nina claque sa langue dans un brut mat.
— Une tempête tropicale, voilà ce que tu es, tranche-t-elle en hochant la tête.
Je ris doucement. Pas mieux. Curieuse, je poursuis notre conversation initiale :
— Tu l’as fait où ?
— À droite. Baptiste m’a demandé pourquoi je n’avais pas fait ça sur les deux.
J’avoue que je m’interroge aussi. Un frisson court le long de ma colonne vertébrale à l’idée de faire subir une telle expérience à mon propre corps. J’ai du mal à imaginer le type de douleur, ni comment on se sent après. Ça doit être comme une brûlure à vif, je suppose.
— Et pourquoi, du coup ?
Crème pailletée en main, Nina entreprend de farder ses jambes.
— Too much. Ceci dit, je suis encore à temps de rectifier le tir, sourit-elle en me tendant le flacon.
Je décline poliment en ajustant ma couronne grâce au miroir à maquillage.
— Tu sais, ça t’irait bien à toi aussi, renchérit-elle en se levant pour échanger nos places.
— Je sais pas trop… Je n’ai jamais été fan des trucs qui me gênent dans mes gestes. T’as choisi quoi comme bijou ?
— Pour l’instant, une barre, mais j’ai déjà repéré un modèle en pendentif et un autre rond. Peut-être que j’aviserai selon les préférences de Baptiste.
Malgré tout, mon intuition me dit que niveau stimuli, ce genre d’ornement pourrait être… électrisant. J’imagine bien James s’amuser avec. Un peu comme un gamin avec un nouveau jouet. Et là, une bouffée de chaleur me saisit alors qu’une image trop vive inonde mon esprit. Ce matin. Devant la baignoire. Son assaut, soudain, brut. Les sensations, les émotions.
Finalement, il n’y a pas à dire : un piercing au téton, tout un art. Esthétisme et sensualité réunis. Nina a eu raison de se laisser séduire. Je me demande si je serai un jour prête à franchir cette frontière. L’idée, en tout cas, mérite réflexion. Même si je suis plus adepte de tatouages. Ceux qui embellissent déjà mon corps appellent plus d’audace de ma part.
Ils sont discrets, fins, mais empreints de sens. À l’instar de cette nuée d’oiseaux qui s’élève de mes côtes vers ma poitrine, promesse de liberté. L’ancre stylisée sur mon poignet droit, entrelacée d’un cœur en plein envol. Le mot « saudade », inscrit en lettres élégantes à la base de ma nuque. Ou encore la constellation du scorpion tracée derrière mon oreille gauche. Pourtant, l’envie d’un dessin plus osé, plus sensuel, plus artistique, qui viendrait habiller le haut de ma cuisse ou le creux de mes reins, me titille. Quelque chose qui me ressemble, mais de plus imposant, comme ceux de James qui ornent ses muscles de mille histoires.
Voilà où mes réflexions me portent pendant que ma meilleure amie me maquille. Moi, je l’ai coiffée. Un challenge bien mieux réussi que le précédent. Son auréole tient à merveille au sommet de sa chevelure châtain et les deux tresses collées inversées sur l’arrière de sa tête accentuent le côté angélique. Elle est canon. Chaque détail de notre mise en beauté a été calibré avec cette précision presque sacrée des moments entre filles.
Mon téléphone en main, je regarde le nombre de vues grimper en flèche sur la storie fraichement publiée en ligne. Les notifications s’emballent, chaque seconde une vague de spectateurs s’ajoute. Hop, une trainée de poudre numérique qui capte l’instant fugace de nos préparatifs. Une séance make-up entre copines dans les coulisses de l’évènement et la soirée se grave dans l’attente collective. Ne jamais sous-estimer la puissance des réseaux sociaux.
Derniers ajustements, dernières retouches, et l’adrénaline s’infiltre sous ma peau. Halloween au Diamant Rose démarre sur les chapeaux de roue, et la folie, elle, est déjà là.
Elle enfile la dernière pièce de son costume, et je m’assure que les ailes prennent place, délicatement, avec une touche de perfection. Elle se redresse, splendide, prête à conquérir la nuit.
— Je crois qu’on a fait le buzz, me glisse-t-elle avec un clin d’œil malicieux, tandis qu’elle scrolle à son tour sur son portable.
L’effet domino, je n’espère que ça. Je lui rends son sourire, mais mon esprit se perd ailleurs, vers l’image d’un autre regard, d’une autre présence.
Mon chevalier servant, fidèle à sa promesse, est quelque part en bas, et l’idée m’amuse autant qu’elle me réchauffe. Il a mis le pied à l’étrier en prenant part aux préparatifs de dernière minute, s’occupant de reconfigurer l’espace extérieur sauvé de la pluie. Je l’imagine en train de tout réorganiser, replacer les guirlandes lumineuses et les tentures, positionner les miroirs baroques et le tapis rouge. Manches retroussées, muscles saillants. Visage concentré, sourcils froncés. Une vision aussi sexy qu’irrésistible.
Je devrais peut-être installer un cordon de sécurité autour de lui ce soir. Ou un panneau « Réservé. Diamant brut à l’état pur. Non disponible pour inspection », histoire de bien faire entendre aux nanas qu’il n’est pas en libre-service. Et si, par malheur, une d’entre elles ose se frotter à lui, je lui crève les yeux, pas moins. D’accord, d’accord, un peu excessif, je reconnais, mais bon, c’est la maniaque du contrôle complètement mordue de lui qui parle, là. Un cadenas, ça serait trop ? OK, j’arrête. Mais plus sérieusement, le savoir ici, impliqué, prêt à m’aider à transformer la soirée en un évènement inoubliable me touche bien plus que je ne l’admets. Ce n’est pas juste sa présence qui compte, c’est ce qu’elle signifie.
L’observer scruter chaque recoin, mesurer les contrastes, capter ses réactions à mes choix, sentir son regard qui décrypte les stratégies derrière les apparences, me procure une satisfaction grisante, une petite montée d’adrénaline teintée de fierté. Irrationnelle, peut-être. Une vanité puérile, sûrement. Ce besoin qu’il remarque l’effort, l’intelligence, la maîtrise, l’ambition. Mais surtout, ce désir qu’il me perçoive, moi.
En fin de compte, la fête que j’ai orchestrée, et à laquelle je n’avais jamais pensé que James assisterait, prend une tout autre dimension avec lui pour témoin, plus intime, plus révélatrice. Oui, j’espère son approbation, son adhésion, cette admiration discrète qui me flatte. Après tout, l’accomplissement et la reconnaissance sont le secret de chaque geste. Mais pas que. Je cherche cette étincelle dans ses yeux qui me dit qu’il comprend qui je suis et qu’il me respecte. Ce n’est plus juste un évènement réussi, mais un fragment de moi que je dépose entre ses mains. Cette soirée d’Halloween est la preuve que je peux briller sous un autre jour, plus incisif, intense. Si, au fond, il était incapable de se défaire de l’image figée qu’il a de moi ? Si la vraie Victoria, plus complexe, lui paraissait trop risquée ?
Nina m’informe qu’elle descend rejoindre son amoureux pour lui subtiliser un peu de temps avant qu’il ne prenne du service, me laissant tout le loisir de me changer à mon tour. La porte se referme derrière elle, et aussitôt, mes yeux se portent sur mon déguisement de Perséphone, suspendu dans l’ombre discrète du bureau. La robe scintille dans la lumière tamisée. Elle est magnifique, et rien qu’à l’idée que James me découvre ainsi parée, un sourire impatient se dessine sur mes lèvres.
Pourtant, je n’arrête pas de revivre le moment où il nous épiait, Mati et moi, tout à l’heure. Son calme n’était qu’un écran de fumée. La lueur fugace de jugement camouflée sous une couche d’indifférence feinte ne m’a pas échappé. Comme des bulles sous un glacis de courtoisie prêtes à éclater à la moindre pression, sa jalousie, sa colère perlaient sur ses traits. Le sang-froid ne dissimule rien quand on sait lire entre les lignes et les sentiments de cet homme sont devenus transparents à mon coeur. Chaque fois qu’il cède un peu de sa maîtrise, il se révèle à moi telle une toile nue, chaque geste une phrase que je décode sans détour. Est-ce qu’il sera capable de déposer la clé de sa confiance entre mes doigts ? Ou bien, l’ombre de ses anciennes peurs prendra-t-elle le pas, l’enfermant encore dans ses propres démons ?
Je m’approche du tissu, le frôlant du bout des doigts, savoure la texture. J’ôte ma tenue du jour et me glisse doucement dans mon personnage, passant de la working girl à la mystérieuse déesse des Enfers. Cintrée à la taille, la soierie sertie de broderies et constellée de sequins caresse ma peau quand je l’enfile avec une fluidité parfaite. Chaque pli épouse mes courbes comme si ce vêtement avait été dessiné sur moi. Les lignes et contours de ma silhouette s’étirent et se fondent dans la matière semi-transparente, créant l’illusion d’une seconde peau à la fois élégante et redoutablement sensuelle.
Je rectifie mon décolleté quand je me rends compte que, seule, je ne parviendrai jamais à faire coulisser la glissière dans mon dos. Une mission impossible de plus. Mes doigts s’acharnent sur le métal froid pour le tirer vers le haut, sans succès. Après tout, ma souplesse n’atteint pas le contorsionniste. Me voilà donc victime de mes choix vestimentaires. Je souffle, résignée, regrettant que Nina soit déjà loin, emportant avec elle toute perspective de secours. Après une seconde d’hésitation, je me dirige vers la porte, prête à héler ma complice pour un coup de pouce de dernière minute. Ou mieux, si la chance me sourit, solliciter James.
À peine ai-je fait un pas que le battant du bureau s’ouvre dans un grincement métallique, interrompant mon mouvement. Une silhouette masculine, grande et élancée, se découpe dans l’encadrement, son aura s’étendant telle une vague silencieuse qui engloutit immédiatement la pièce. Ses yeux, aussi intenses qu’une nuit d’encre, reflètent la fureur d’un tigre en chasse et sa posture, tendue comme un arc, ne cache rien de l’instabilité qui frôle sa retenue. Voilà un homme prêt à rugir.
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