CHAPITRE 47.3 * JAMES
J.L.C
♪♫ ... ♪♫
Vi maitrise cette science du déclencheur, ce talent inné pour titiller ma curiosité comme on chatouille un réflexe. À croire que mon cerveau se transforme en labrador pavlovisé dès qu’elle agite un os camouflé de lubricité sous mon nez. J’esquisse mentalement ma contre-attaque lorsque la voix pince-sans-rire de ma sœur coupe court à mon élan :
— Surtout, vas-y, fais comme si je n'étais pas là…
Un coup d’œil de biais me suffit pour capter l’étincelle malicieuse dans ses prunelles. Ironie en étendard, sourcil façon accent circonflexe. Elle a déjà le titre : « Drague en direct – archives gênantes d'un frère possédé ». Manque plus que le financement participatif.
Son poignet orné de babioles émet une cascade métallique lorsqu’elle rétrograde, nous projetant hors du périph toulousain, direction les confins champêtres de l'arrière-pays.
Mon corps se plie à l'appel irrépressible de ma riposte : je me penche, et les mots jaillissent, précipités.
Sans conditions ? Rien que ça ? Et c’est censé me faire peur ? Balance le menu dégustation, j'ai l'appétit féroce. (Emoji démon).
À ce rythme, mon téléphone va finir par me facturer des pénalités d'emballement hormonal non prévues dans l’abonnement.
Le message part, et avec lui, un petit sursaut dans mon bas-ventre. Mes nerfs tracent des éclairs sous-cutanés, comme un réseau de feux en veille.
Mon sourire d'imbécile heureux déclenche chez ma frangine une secousse rieuse.
— Ohlala, regarde-moi cette expression transie ! Mon pauvre frère amoureux… C’est adorable ! Qui es-tu, et qu’as-tu fait de mon jumeau ?
Si elle sort un Kleenex et me verse du « il grandit si vite…», je saute direct par la portière.
Agacé, mais d’humeur railleuse, je suis à deux doigts de lui flanquer un missile verbal. À peine ai-je tourné la tête que mon appareil me signale la réception d’un nouveau texto. Pavlov, version 2.0. Mon univers se reconfigure autour de son prénom — mon système nerveux, mon focus, ma foutue boussole interne. Mon cerveau s’y recale, tel un vinyle sur son sillon d’obsession. Vive la dépendance affective, sponsor officiel de mes dérives.
Un soupir, une pression sur l'icône, et je replonge dans l’arène, là où les mots piquent, séduisent, dévorent...
Endurance, vivacité, dévouement, créativité… et, bien sûr, ne jamais détourner les yeux même quand le plaisir frise l'indécence et que la passion frôle l’interdit. (Emoji interdit aux moins de 18 ans).
Bordel ! Elle vient de m'envoyer une injection pure de dopamine ! Un uppercut sensuel direct au plexus. C'est comme si elle m'avait branché sur du dix mille volts.
Ma tentatrice n’y va pas de main morte et j'ai aucune intention de battre en retraite. Je relis ses lignes, presque incrédule, mais déjà en combustion instantané. Victoria trace la carte et place les pièges tandis que, moi, je me demande jusqu'où mènera cette piste sulfureuse. Mes joues en feu, la pudeur disparue au dernier virage, mon corps ne connait même pas le mot subtilité et l'urgence fait trépigner ma queue.
— Allez, raconte-moi ce qu’elle t’écrit ! Je veux savoir ce qui te transforme en guimauve ambulante ! lance Madame la conductrice.
Je fais non du chef, mime un air grave, comme si j’étais en train de résoudre une énigme mathématique hautement confidentielle.
— Si tu crois que je vais te livrer tous les détails… T'as pas d'accréditation pour ce genre de pensée, frangine !
Un éclat de rire franchit ses lèvres, une onde sonore qui explose dans la voiture.
— Victoria a au moins le pouvoir de te rendre joyeux. C'est pas donné à tout le monde.
La remarque de ma sœur me va droit au cœur. Elle a raison, Victoria est ma clé de voûte.
Je tape ma réponse, sourire en coin.
Jamais je ne détournerai mon regard de toi. Ni de tes iris d’ambre, ni de ta bouche sensuelle... tes courbes hypnotiques... ton corps de déesse... De toute façon, je n’accepte rien de moins que l’excellence. Et je suis prêt à devenir très… compétitif. (Icône gants de boxe).
Au feu rouge, le FBI familial entre en action : Isla se précipite éhontément sur mon écran, ses yeux tels des radars à ragots. Je réagis au quart de tour en éloignant l'appareil de son expression fouineuse.
— T’es sérieuse là ! Arrête de faire la gamine !
— Compétitif ? Des gants de boxe ? Oula, mais de quoi ils parlent vos messages ? pouffe-t-elle.
— Occupe-toi de conduire, rétorquè-je, j'ai autre chose à faire que de t'expliquer.
— Dis-lui que ta sœur veille au grain. Je m’assure que tu ne flanches pas !
Je lui lance un regard torve.
— Quoi ? Faut bien la prévenir, non ? commente-t-elle, très satisfaite de m’embarrasser.
— T’es vraiment incorrigible !
— Et toi, t’es aussi rouge que le tartan de grand-père Graham !
Super. Me voilà métamorphosé en écossais émoustillé. Paix à ma virilité.
Un rictus se forme sur mes lèvres, puis mes yeux cherchent le ciel. Loupé, y'a que le plafond de la bagnole.
Au cœur de cette ambiance saturée de moqueries fraternelles et de vœux enflammés, je me sens étonnamment serein, léger, en phase.
Concentration et curiosité me rattrapent aussitôt : un nouveau message clignote à l'écran, m'aspirant dans le vortex ardent de la passion. Les attaques verbales de ma jumelle passent en mode second plan.
Pour un mec aussi sûr de lui, n’oublie pas que tu devras tenir la distance et les pauses ne seront pas autorisées, soldat !
Elle ne compte pas faire les choses à moitié. Excellent. Moi non plus. Mes doigts dansent sur l'interface.
Parfait… Considère-moi comme un élève modèle. (Smiley lunettes de soleil).
L'attente s'étire. Je m'affale contre le dossier.
— Vous jouez à quoi tous les deux, en vrai ? insiste Izy quelques minutes plus tard.
Un air de rock alternatif emplit l'habitacle.
Pas besoin d'y aller par quatre chemins.
— Là, tout de suite ? On se chauffe, t’es contente ?
Isla glousse et glisse une mèche rousse derrière son oreille .
— Tant que vous ne concluez pas dans ma voiture, j'ai rien contre.
Déjà fait...
Je feins de ne pas avoir entendu, focalisé sur l'asphalte devant moi, sauf qu'Izy, dont l’intuition n’a d’égal que son impertinence, décèle mon mutisme. Mon air contrit n'échappe pas à son œil de lynx. Elle se fige une fraction de seconde.
— Mais non ? Tu rigoles ? Merde, c’est… c’est...
— C’est quoi ? répliquè-je, amusé, en agrippant la poignée de maintien. Combien de fois vous avez squatté mon lit king size avec Antoine ? À chaque séjour, j'ai regretté de vous avoir refourgué les clés ! T'as besoin que je te rafraîchisse la mémoire sur le jour où je vous ai surpris dans les écuries, y'a pas si longtemps ? Sur une botte de foin, les fes...
— D'accord, j'ai rien dit ! me coupe-t-elle.
Ma sœur chérie lâche un soupir exagéré, mais son rire étouffé trahit son sérieux.
— À l'avenir, tâche de garder tes exploits hors de mon véhicule, compris ?
Je me contente de hausser les épaules, désinvolte, nourri par ma provocation.
— Remarque, au moins, ça doit être ça, l'esprit de famille, plaisante-t-elle.
— Faire ça au grand air, tu veux dire ? Ouais, c’est dans nos gènes. Tu sais, l'Écosse et ses traditions...
Je lui décoche un clin d’œil et ma frangine, par un sourire solidaire et ironique, me fait entendre qu’elle n’est pas dupe, avant de me sermonner sur un ton mi-taquin, mi-affable :
— Ouais c'est ça ! Mais je te prierais de bien vouloir éviter que tes « traditions » n’aient des répercussions sur l’état de mon habitacle.
Je m’esclaffe tandis qu'elle fait mine d'être dégoûtée. Je sais bien que, derrière son masque de fausse consternation, elle s'amuse comme une folle.
— Sois sans crainte, je m'engage à ce que les seuls vestiges qui restent dans ton SUV soient des souvenirs mémorables.
— Non, ça ira merci. Tu veilleras surtout à ne pas réitérer l’expérience. T'as qu'à te remettre à la bécane, sinon. Et si t'as des lubies, privilégie l'utilitaire d'Antoine. Tu verras, il y a des avantages non négligeables à opter pour ce genre de véhicule.
Maintenant, c’est moi qui suis envahi par des images improbables et mime l’indignation. Ma sœur rit de plus belle.
— OK, promis, les prochaines fois, je choisirai un endroit un peu plus… civilisé.
— En d'autres termes, un qui ne réclame pas un nettoyage en profondeur et qui n'endommagera pas le cuir de ma voiture. Merci.
Regrettable. Il est surement temps que j'investisse dans ma propre caisse. La Polo de Victoria... ne répondra pas à ce genre d'exigences. Bien trop compacte. Une Maserati Levante Trofeo ? Luxueuse, des stats impressionnantes, une esthétique soignée. Le modèle avait déjà capté mon attention. L'Audi RSQ8 ? Imposante, rapide, technologie de pointe, alliant sport et confort, plus discrète, mais non moins performante. Pourquoi pas ? En vrai, peu importe les chevaux, dès que l'accélérateur est enfoncé, les horizons deviennent infinis. Surtout les rodéos. Pas uniquement sur l'asphalte.
En parlant de pratiques olé olé, je scrute mon écran. Silence radio. Ma main retombe sur ma cuisse. Téléphone en veille.
— Tu connais le principe, mo piuthar, quand l'occasion se présente, on ne s'embarrasse pas de questions.
Bien sûr que non. On fonce sans attendre, sans réfléchir. La spontanéité forge les meilleures histoires. Et d’ailleurs, je compte bien prouver à ma chérie ce soir même que l’art de l'improvisation peut être sublimé.
— Comme le veut l'adage, ajoutè-je distraitement, le cœur a ses raisons que la raison ignore, non ? Quand ça chauffe, c'est la bête qui commande. On agit et on s'excuse après.
Une grimace, un coup de coude et une tête dodelinante, voilà ce que je récolte avec mes gamineries. Isla actionne le clignotant et prend la première à droite. Son quartier se profile, on arrivera à destination d’une minute à l’autre.
Mon portable s’éclaire enfin. Ma chère petite blonde va encore me surprendre, je le sens.
Tu as intérêt à être irréprochable. Pas le droit à l'erreur, mon brave, sinon je vais devoir te donner une leçon que tu n'oublieras pas de sitôt. Détends-toi, ce ne sera pas si terrible.
Mon brave ? Pourquoi pas « mon petit » tant qu'à y être ! Toujours plus loin, toujours plus fort. Je me régale de chaque mot et laisse échapper un soupir lesté de désir. Mes pouces hésitent un instant avant de répondre, l’excitation palpitant sur le bord des lèvres.
C'est moi ou tu rêves de me « corriger » ? Attention, je suis loin d'être fermé aux jeux de domination. Mais me faire cravacher ? Souviens-toi que je sais me défendre.
Isla coupe le moteur. Je lève enfin les yeux. À travers le pare-brise, les lumières tamisées du salon et les halos mouvants à l’étage trahissent la présence d’Antoine. Au moment où mes doigts se serrent sur la poignée pour m’extirper du véhicule, une vibration surgit contre ma cuisse. À peine rangé dans ma poche, à peine revenu dans mes mains. Je déverrouille mon téléphone, impatient.
Attends, c'est moi qui divague ou toi qui fantasmes ? Tu viens de suggérer une séance de bondage là, non ? Parce que j'ai des accessoires intéressants en boutique si jamais t'as envie d'une soirée spéciale. (Smiley festif).
Nom de dieu... Cette femme... Une succube déguisée en petite fée. Je m'apprête à lui répondre que je ne verrais aucun inconvénient à ce qu'elle embarque les menottes en cuir ou les jolies plumes aperçues dans les photocalls au club, quand un second SMS éclipse le précédent.
Désolé, je dois filer. Le boulot me harcèle. (Emoji triste) (Cœur).
Une lame de déception me traverse. L’échange s’interrompt trop tôt, me laissant en apné, affamé d'elle. J’aurais espéré grappiller quelques phrases en plus, mais ma belle s'évapore à l'autre bout du réseau, convoquée par ses impératifs pros, et je l’aime encore plus pour ça. Évidemment.
Je sors de la voiture puis m'appuie contre le capot glacé. La fraîcheur du métal me ramène à l’instant présent. Un frisson court sur ma peau, l’adrénaline pulse. Mon désir s’enflamme, alimenté par l'idée délicieusement déplacée qui germe dans mon esprit : j'imagine déjà Victoria réagir, mi-éberluée, mi-joueuse. L’image m’obsède.
La voix de ma jumelle me percute, me rappelle à l’ordre avec la douceur d'un seau d'eau froide sur la nuque.
— J’arrive dans une minute, Izy.
Isla m’étudie brièvement, soupèse le moindre de mes tics, puis roule des yeux, comme si mon cas relevait de la perte irréversible. Peut-être qu’elle n’a pas tort. Une fois son scan terminé, le verdict tombe, sans appel :
— Je crois que t’es foutu, frérot. Éloigne-toi de ma caisse, avant que je découvre des cœurs gravés sur la carrosserie.
Note pour plus tard : ne jamais sous-estimer la capacité d’Isla à lire en moi et lui interdire de causer quand elle a raison. Si j’étais pas déjà cramoisi, elle m’aurait grillé à dix bornes.
— Me juge pas, j'ai une marmite sur le feu.
Pas que je compare Vi a une marmite...
— Comme tu voudras. Juste... si t'as besoin de mouchoirs, j'en ai dans la boîte à gants. Pour la bave... ou tes pulsions.
Est-ce que je viens vraiment de me faire traiter de branleur par ma propre sœur ? Nickel. Même ma frangine me prend pour un obsédé.
— Va crever... Poétiquement parlant, bien sûr.
Izy ricane puis se détourne. Faut que je change de jumelle ou que je l'éduque à la bienséance. Mouais, trop tard, je crois.
Tandis qu'elle se précipite vers l’intérieur et que ses bottes en cuir claquent sur les marches du perron, mes doigts pianotent sur mon appareil. Dans un sursaut d’audace, je tape ma requête avant que mon courage ne se dérobe. Le jeu en vaut la chandelle. J'assume tout. Pile, je la rends folle. Face, je me fais blacklister.
Impossible de te laisser filer sans un baroud d’honneur…
Son prochain message me hante déjà. L’anticipation me tord le ventre, exquise et incendiaire.
All in. Abats tes cartes, Monsieur Flush Royal. (Icône flamme).
Mon souffle se dérègle, ma langue fourmille d'impatience. Je lâche l’idée, tranchante comme un as tiré d’un étui de velours.
Fais-moi une faveur. Quand je te rejoindrai ce soir... sois nue sous ta robe.
Le silence me tombe dessus, intense. J’imagine son cœur rater une mesure, sa respiration s'étrangler, son joli minois se décomposer : pommettes en feu, lèvres plissées en un sourire canaille, éclat fauve au fond du regard. Ou alors je me goure sur toute la ligne. Mais la possibilité suffit à m’électriser jusqu’aux os. Si jamais elle frissonne, si elle m’attend avec cette même faim au creux du ventre, ce sera l’explosion.
Sa réponse met trois plombes à arriver. J’ai cru que mon téléphone avait rendu l’âme, que le réseau s’était volatilisé ou que le temps s’était arrêté exprès pour me faire suer. Le ciel au-dessus de ma tête gronde soudain, comme si l’univers avait décidé de me répondre à sa place. Sérieusement ? J’ai toujours pensé que Victoria était une tempête, pas qu’elle pouvait en foutre une en marche rien qu’en lisant un message. Je suis plaqué contre la bagnole de ma sœur, la carrosserie froide dans le dos, et j’ai l’impression d’avoir misé gros avec une main bancale. J’ai lancé l’idée comme on balance un pari débile entre potes, sauf que là, c’est elle. Et si elle le prend mal ? Si elle m’envoie balader ? Si elle enfile un pull en pilou pour me punir ? Bordel… je la veux nue. Mais pas furieuse.
Tout à coup, un ding. Léger, traître, presque moqueur. L'écran s'allume. Mon cœur rate un battement, ou deux. Peut-être trois.
Challenge accepté.
Putain, oui ! Poing levé dans le vide, comme un abruti triomphant sous la pluie. Si quelqu'un me voit, tant pis. Ce soir, je décolle vers les étoiles. Si je m'écrase pas avant.
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