CHAPITRE 41.3 * VICTORIA

7 minutes de lecture

V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫

Sans conditions ? Rien que ça ? Et c’est censé me faire peur ? Balance le programme !

Je souris, mes doigts tapotent nerveusement sur l'écran. Chaque mot que James envoie est comme une braise qui s’allume dans mon ventre, un rappel du désir qui grandit dès que je pense à lui. C’est tout lui, ce jeu maîtrisé de séduction. Mon cœur s’emballe et l’excitation monte encore d’un cran.

L’invitation à cette bataille des sens est bien trop irrésistible pour que je puisse m’y soustraire ou y résister. Ma position d’hôtesse devient une scène où je suis à la fois actrice et spectatrice, où mes gestes et mes sourires sont calculés. Mais derrière cette apparence, mon esprit est aux aguets, harponné à mon téléphone.

La musique et les voix autour de moi se fondent en un brouhaha lointain. J’attrape des bribes de conversation, mais elles ne font que passer à travers moi, comme si mon corps était là, mais pas entièrement. Les compliments et remerciements me parviennent à peine ; mon regard erre, s’accroche brièvement à quelques silhouettes familières, avant de dériver à nouveau, ailleurs. Je sais ce que je fais : je le cherche lui. Toujours.

Endurance, vivacité, dévouement, créativité… Je relis mon propre message, les dents plantées dans ma lèvre inférieure, quand un tintement coutumier me signale sa réponse. Ma poitrine se serre tandis que mon pouce déverrouille l'écran. Je n'ai même pas le temps de finir de lire le texte en entier. Ses mots surgissent et un frisson me parcourt l’échine. Les premières lignes suffisent pour que le monde autour de moi se dissolve, happé par la ferveur de mes sensations. Un vertige me traverse. Ma main tremble, mes jambes vacillent, et je me tortille sur place comme un papillon coincé dans la toile d’une araignée, totalement prise au piège de mon désir croissant.

Jamais je ne détournerai mon regard de toi. Ni de tes yeux d’ambre... de ta bouche rieuse... de tes courbes sensuelles... de ton corps de rêve…

Cette montée d’adrénaline, cette tension délicieuse, je l'espérais, je l’ai provoqué et James s’en empare avec une précision qui me fait chavirer.

Mes pensées voguent vers notre instant volé, vers le goût du whisky sur ses lèvres, l'odeur de sa peau, ses yeux de braise… Je peux encore sentir ses mains sur moi, sa langue courir sur ma peau, son corps frémir contre le mien, son sexe profondément enfoui en moi. Dieu, que j'ai chaud et la soirée ne fait que commencer. Des picotements de plaisir me traversent, mon bas-ventre est en feu, la sueur perle à ma nuque, mais il me faut sourire encore, sourire aux invités, me tenir droite, faire bonne figure, ne rien laisser paraître. Ah, la grande maîtresse de l’événement, impeccablement lisse, mais noyée dans un tourbillon de désirs secrets. Mon amant sait exactement comment faire remonter cette température, comment me faire fondre et m’amener à perdre pied... Bon sang, que j'aime ça !

Je dépêche un regard autour de moi ; personne ne semble remarquer mon trouble. Et c’est peut-être ça, le plus grisant : ce jeu confidentiel qu’on mène au cœur de cet univers public, où je devrais être concentrée sur mon travail. Sauf que je ne le suis absolument pas. Revenir à mon rôle mais… Je n'y arrive pas. Ma réalité s’est diluée dans l’invisible, là où mes pensées dérivent entre les lignes qu’il m’envoie.

Mes doigts dansent, rapides et sûrs, rédigeant une phrase courte, une taquinerie chargée de sous-entendus. À peine ai-je reposé mon téléphone que je ressens une légère vibration, l’écran s’éclaire à nouveau. Je me détourne un instant, jette un coup d’œil furtif à ma messagerie :

Bien… je serai ton élève le plus appliqué.

L'ironie douce de sa réponse m’atteint, comme une caresse évanescente. Un sourire se forme sur mes lèvres, malgré moi. J’ai plus appris avec lui qu’avec tout autre homme. Avec James, j’ai découvert un contrôle insoupçonné, une emprise subtile qui m'échappe à chaque instant. Le pouvoir sur lui, sur moi, sur cet équilibre fragile qui nous unit. Grâce à lui, j'explore mes limites, et ce soir n'est pas une exception.

Je m'apprête à lui répondre lorsqu’une connaissance m'interpelle et me prend dans ses bras. Alors, je distribue encore quelques bises, laisse mes lèvres bouger automatiquement, et revêt un masque de circonstance. Mes gestes sont presque mécaniques, mais dans ma tête, c'est un tout autre monde qui se déploie.

Postée à l’accueil du Diamant Rose, je souris aux invités, leur glisse quelques mots de courtoisie ou d’amitié, et les encourage à pendre place pour la séance photo. Tout autour de moi semble être une performance, une mise en scène orchestrée avec justesse, et chaque détail reflète les semaines de préparation que j’ai investies dans cet événement. C’est mon œuvre, mon projet, et voir les invités s’imprégner de l’ambiance que j’ai créée me remplit d’une profonde satisfaction. Ce soir, je suis dans mon élément, le résultat de mes efforts s'épanouit autour de moi, et je savoure chaque moment. Peut-être sont-ce précisément la minutie de mes préparations, ou ma rigueur dans le détail qui m’autorisent à relâcher une part de ce contrôle dont je ne me sépare jamais.

Mais il y a aussi autre chose, quelque chose de plus puissant, plus viscéral, qui dépasse le simple fait d’être parfaitement en maîtrise. Il y a une légèreté dans mes gestes, un décalage entre ma façade professionnelle et l’agitation qui se joue dans ma tête, un contraste saisissant. Chaque fois que je dirige un invité vers l’un des décors soigneusement pensés, une part de moi reste ancré à lui, à l’idée de son apparition. À chaque salutation, je sens mon esprit se dérober un peu plus, fuyant vers cet autre univers, celui où James et moi jouons, où chaque notification, chaque syllabe, est une promesse à venir. D’un côté, des costumes somptueux, des ailes d’anges aux cornes de démons, des sourires polis, des rires convenus ; de l’autre, un monde parallèle où les échanges ont le goût de l’interdit. Car toujours, mes doigts traînent sur mon interface, là où James m’attend. Lui aussi fait partie de ma soirée, mais d’une manière différente, intime, clandestine. Il m’enivre, me captive, flirte avec une expertise qui ébranle toutes mes résolutions. L’attrait qu’il exerce sur moi est plus fort que la retenue que je m’impose d’ordinaire.

Soudain, Mati me rejoint. Son visage est fermé, comme une porte verrouillée que rien ne pourrait ouvrir. Son regard, tout aussi impénétrable que son silence, me garde à distance. Sous son propre voile de civilité, il affiche une expression de bienséance, un visage avenant. Son attitude préfabriquée, la posture décontractée qu’il arbore, ne sont que des leurres, des stratagèmes destinés à amadouer la foule, à pousser à la consommation et séduire la clientèle. La lueur dans ses yeux l'a trahi, celle que j’ai découverte lorsqu'il est apparu à mes côtés, sombre, triste et torturé.

Je ne me permets pas de le questionner sur son état, je m'abstiens de tout commentaire sur le fait qu’il ne porte pas ses ailes d'anges comme prévu. Le grand boss veut me voir sous mon meilleur jour, alors je range mon portable dans ma pochette et me recentre sur les clients qui affluent, qui s’extasient devant l’ambiance, se perdent dans l’effervescence de la soirée. Moi, j'ai une mission à tenir, une image à préserver. Mais l'illusion, elle, se fait de plus en plus fragile, presque transparente. Je le laisse poser ses mains sur moi, car je sais qu'il le fait par souci des convenances, parce que ça fait partie du décorum, du marketing, du spectacle : le patron au sourire d'ange et l’ambassadrice ténébreuse, la paire iconique de l’évènement, les garants de la mise en scène.

Il n'y a rien à dire, de toute façon et les réponses seraient aussi opaques et fuyantes que la souffrance qui l'entoure. Manifestement, éclaircir la situation n’est pas sa priorité et, étant dans le cadre de mon travail, je suis tenu de rester professionnelle. Le défier ne ferait que jeter de l’huile sur le feu et envenimer les choses inutilement. Et ce soir, le risque est trop élevé.

Donc, même si l’envie me dévore et qu’il me semble avoir le droit de le faire, je ne lui demande pas de rendre des comptes sur la scène qui s’est déroulée devant le club, et dont James m’a informé. Je sais que c’est à cause de Leslie. C’est toujours à cause de Leslie. D’ailleurs, dès que l’occasion se présentera, j'irai la trouver. J’aimerais bien comprendre pourquoi diable ma meilleure amie s’est permise d’embrasser mon homme. Une explication s’impose et je doute qu’elle soit des plus agréables. Non pas que je lui en tienne rigueur — je sais parfaitement ce qui l’a poussé à agir de la sorte — mais surtout parce qu’il est grand temps de la secouer. Mati et elle doivent prendre une décision une bonne fois pour toutes. Je n’en peux plus de voir deux des personnes qui comptent le plus pour moi se déchirer à cause de ce feuilleton d’amour stérile qui les ronge. L’ange Cupidon ferait bien de se pointer à cette soirée, histoire de faire un peu de ménage dans tout ce foutoir. Parce que, franchement, c’est bien la seule chose qui pourrait arranger cette impasse existentielle qu'ils empruntent chacun de leur côté au lieu de le faire ensemble et d’enfin entrevoir une issue fiable. Mais non, bien sûr, on va encore s’enliser dans des non-dits, des regards fuyants, des diatribes venimeuses et des coups bas, en veux-tu, en voilà, comme toujours. Tant pis, je n’ai plus l’énergie de jouer à l’âme charitable ce soir. Oh non, j'ai bien mieux à faire ! Celui dont j'ai désespérément besoin et qui m’obsède est à un écran de moi.

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