CHAPITRE 42.1 * JAMES

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CHAPITRE 42

CONSTANCE ET LEGERETE DES AMES

* *

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J.L.C

♪♫ ♪♫


Isla ouvre la boîte avec un sourire qui illumine son visage, découvrant les pasteis de nata alignés comme des petits trésors dorés.


— Sérieusement, James ? Tu les as pris pour moi ?


Elle lève les yeux vers moi, un éclat de surprise et de gratitude dans son regard. Je hoche la tête, amusé par son enthousiasme. Je la reconnais bien là : elle adore les sucreries.


— Eh bien, c’est plutôt Victoria qui te les envoie. Je ne suis que le messager.


Isla écarquille les yeux, surprise, puis son expression se fait malicieuse. Elle n’en dit rien, mais je devine à son regard qu’elle saisit l’intention cachée derrière ce geste. Elle attrape aussitôt une des pâtisseries et tend la boîte vers Antoine, qui se cale un peu plus confortablement sur le canapé en acceptant le petit gâteau avec un sourire.


Je m’installe à mon tour face à eux, observant mes acolytes croquer tour à tour dans la pâte feuilletée, laissant échapper un soupir de satisfaction. Ma jumelle ferme même les paupières pour apprécier pleinement la bouchée.


— C’est délicieux ! Confie-t-elle. Je dois avouer, elle m’a toujours plus ta Victoria.


Je m’empare de la dernière friandise avant de m’affaler. Ma sœur savoure un instant, l’œil brillant. Antoine, lui, se penche en avant, souriant à moitié, comme s’il pressentait que sa chérie allait se lancer dans une remarque. Ce qu’elle fait, bien évidemment.


— Transmets-lui mes remerciements. Et dis lui... Non, je lui dirais moi-même. Enfin, si tu ne fais pas tout capoter comme la dernière fois !


Elle lâche un petit cri. Je surprends les gros yeux de mon beau-frère et je ris sous cape. Il a dû lui mettre un taquet discrètement. Elle se tourne vers lui en protestant avant de me lancer un regard espiègle, adoucie.


— Ce que je voulais dire c’est qu’on s'entendait bien elle et moi, poursuit-elle, légèrement adoucie. Elle est adorable et je... Bon, c’est rien, oublie.


Isla essaie de dévier la conversation, mais je sais qu'elle veut y aller de son petit grain de sel. Elle a toujours été la première à comprendre mes erreurs, mais aussi la première à vouloir m’aider à les corriger.


— Non, non, je t’en prie, continue, dis-je en haussant un sourcil, le ton léger, mais attentif. Crois-moi, je suis parfaitement conscient d'avoir été un vrai connard avec elle. Et que j’ai beaucoup de chemin à faire pour espérer la reconquérir.


Isla incline légèrement la tête, son regard pétillant de détermination, mais aussi d'une chaleur fraternelle. Son soutien est là, inébranlable, et ça me touche profondément. Elle a toujours eu ce don pour sonder mes pensées, pour savoir ce que j’avais besoin d’entendre. La gémellité, je suppose. Elle sait où appuyer pour viser juste, et cette bienveillance me réchauffe le cœur, malgré cette pointe d’angoisse qui refuse de me quitter.


— C’est bien de le reconnaitre, frangin, concède-t-elle doucement. Mais fais-toi confiance, on en a déjà parlé. Moi, je suis persuadée qu’elle tient à toi.


Je lui fais un signe de tête, émue par ses mots, un peu déstabilisé aussi. Il y a quelque chose de douloureusement réconfortant dans ses encouragements. Pourtant, une part de moi résiste, se replie, comme si m’ouvrir entièrement revenait à remuer les erreurs du passé, à creuser dans cette culpabilité qui m’accompagne sans relâche. Ce poids que je traîne encore — l’abandon, la trahison, mes démons —. plane toujours comme une épée de Damoclès prête à trancher net dans mes espoirs de lendemain heureux. Vi est revenue dans ma vie, mais pour combien de temps au juste ? Rien n’est gagné. Et avec ma fâcheuse tendance à tout foirer, rien n’est moins sûr.


Je me lève, cherchant un peu de distance pour me recentrer. Un verre s’impose.


— Je te sers ?, demandè-je à mon beau-frère en me dirigeant vers le bar.


Un peu de whisky, voilà ce qu’il me faut pour apaiser les remous de mes pensées à cette heure.


— Non, ça ira. J'ai un mal de crâne carabiné là. Les effluves de vin m’ont complètement assommé aujourd’hui, m’informe Antoine en se prélassant dans le canapé, attirant Isla contre lui. Ma sœur se love tout naturellement dans ses bras.


— Les cuves sont remplies ? cherchè-je à savoir, heureux de pouvoir détourner la discussion du sujet qui fait mal.


— Presque. Tu nous accompagnes toujours au domaine demain ?


Avant que je puisse répondre, ma charmante sœur prend les devants, un sourire en coin :


— Je parie qu’il passera plutôt la journée avec sa petite amie, pas vrai ? Comme aujourd’hui. Je crois qu’on ne va plus trop voir mon frère dans les parages, Antoine.


La vérité ? Si ça ne tenait qu’à moi, je passerais mes jours et mes nuits avec Victoria. Mais la réalité s’impose brutalement : elle va partir pour quelques jours. Mon cœur se serre à l’idée de devoir me passer d’elle, de ruminer en silence, de me torturer les neurones, prisonnier d'un manque qui ne cesse de grandir. Je réponds, essayant de camoufler ma déception et ma lassitude derrière une apparence détachée :


— Victoria se rend chez sa famille pour la Toussaint. Donc oui, je viens. Faut bien que j'aille inspecter la distillerie, après tout.


Lorsque je débouche la bouteille, un parfum riche et boisé chatouille mes sens, m'arrachant un sourire nostalgique. Ce n’est pas l'un des miens, mais un grand cru écossais, que j’ai ramené et offert à Antoine, il y a quelques années, bien avant que notre propre aventure ne commence. Ce whisky porte en lui des souvenirs de longues nuits passées à rêver, à tracer les contours flous de mes ambitions.


— Ma famille sera très heureuse de t’avoir. Mais demain sera un jour chômé, James, déclare mon frère par alliance — ou presque, c’est tout comme —, avec un mélange de sérieux et de malice dans la voix.


Je verse un doigt du liquide ambré, prêt à laisser la chaleur de l’alcool apaiser mes nerfs. Comme d’habitude. Pourtant, sa remarque m’interpelle. Derrière son ton léger, je devine une invitation à ralentir, à lever le pied et profiter plutôt que de plonger aveuglément dans le boulot pour combler le vide. Antoine me connaît suffisamment pour comprendre que le boulot est devenu un rempart pour contrer mon manque.


Nos regards se croisent et il hoche discrètement la tête, comme pour m'assurer qu'il comprend bien plus que je ne le laisse paraître. Peut-être voit-il plus clair en moi que je ne le soupçonne.


— Et toi Izy ? Tu veux quelque chose ?


— Oui, un autre de ces petits flans, s’il te plaît !


Je repense à la remarque de Victoria plus tôt et ris intérieurement.


— Ne les appelle jamais “petits flans” devant elle, ou elle risque de se fâcher !


Je m’approche de la table, hésitant un instant en voyant le quatrième et dernier pastel de nata. Finalement, avec un soupçon de résignation, je lui tends le dessert, sacrifiant ma propre gourmandise.


Isla glousse et Antoine en profite pour glisser un bras autour de ses épaules. Sans un mot, elle coupe la pâtisserie en deux et propose la moitié à son compagnon. Mon beau-frère accepte le morceau avec un regard tendre, effleurant sa main au passage. Un petit geste, mais qui en dit long.


Ces moments d’intimité semblent si naturels entre eux. Ma sœur lui sourit, appuie doucement sa tête contre son épaule. Ils sont ensemble depuis des années, et leur complicité reste intacte, aussi vibrante qu’aux premiers jours. Un bref instant, la chaleur du whisky ne suffit plus à apaiser ce pincement au cœur — ce désir de recréer ce genre de lien, avec Victoria.


— Victoria est une perle, elle ne ferait jamais ça ! Mais surtout, dis lui bien merci, d’accord ?


— Je transmettrai, promis, acquiescè-je en prenant place sur les coussins moelleux du canapé. Mais arrête de l’encenser, elle a déjà assez la grosse tête !


— Peut-être, mais elle a de quoi, tu sais. Il a ce je-ne-sais-quoi qui te pousse à vouloir être meilleur, et ça, ça n’a pas de prix.


En entendant Isla défendre Victoria avec une admiration presque sororale, je sens un mélange de fierté et de tendresse monter en moi. Elle a de quoi, tu sais. Oui, je le sais. Vi n'est pas seulement belle ou intelligente ; elle a cette force intérieure, ce feu qui brûle avec une intensité rare. Elle fait ressortir chez moi une envie de dépassement, une envie d’être le meilleur pour elle, avec elle. Pourtant, ce désir me fait douloureusement écho à autre de mes peurs : celle de ne pas être à la hauteur de ses attentes.


Peut-être est-ce ça le grand Amour ? Cette sensation d’être à la fois encouragé et poussé à l'épreuve, inspiré et mis à nu ? Avec elle, chaque moment compte, chaque geste a son importance et chaque regard est précieux. Et si Isla voit ce potentiel chez elle, peut-être que moi aussi je devrais cesser de douter, de me tourmenter à l’idée de l’avenir ?


Mais mes pensées ne me laissent aucun répit : entre la fierté, la peur, et cette vulnérabilité étrange qu’elle éveille en moi, rien n'est certain. Avec elle, l’ordinaire devient extraordinaire. Je me dis que, oui, elle mérite bien tous les compliments qu’on lui adresse, voire un peu plus. Sauf que l’envol sera éclatant ou la dégringolade vertigineuse. La chute libre, je n’y résisterais pas…


Ma petite sœur, sensible à la tournure mélancolique que prennent mes pensées, brise le silence :


— Elle te mène par le bout du nez pas vrai ?


Je souris en secouant la tête, mais Antoine, réactif, lance l’air rieur :


— Et pas que ce bout là...


Le coup de coude qui le fait grimacer me fait sourire, content de ne plus être le seul à subir ses petites corrections. Isla, qui ne fait jamais dans la douceur avec ces choses-là, sait comment remettre les pendules à l’heure, souvent sans ménagement.


— Merci pour l’humour vaseux, Antoine, c’est toujours un plaisir de t’entendre !


Le concerné hausse les épaules, imperturbable.


— Oh, qu'est-ce que tu veux, mon amour ? Je ne fais que constater les faits. Si je ne partage pas mes observations, qui va le faire ?


Ma sœur roule des yeux, croisant les bras avec une moue exagérée :


— Oui, mais non, on va se passer de tes blagues à deux balles ! Un peu plus de subtilité ne te ferait pas de mal... mon amour !


— Tu sais que sans moi, ta vie serait d’un ennui mortel ?


Je les observe, amusé, tandis que leurs chamailleries continuent. Ce petit jeu de piques et de rires me rappelle combien la complicité est essentielle dans un couple. Chaque échange léger, chaque sourire partagé, tisse un fil invisible qui renforce leurs liens, offrent une évasion bienvenue et surtout créent un climat de confiance où chacun se sent libre d'être soi-même.


Un autre de mes souvenirs inestimables avec Victoria. Cette amitié, si naturelle, cette connexion presque instinctive qui semblait dépasser les mots. La facilité avec laquelle on se taquinait, se faisait rire, sans jamais forcer quoi que ce soit. On se lançait des répliques pleines d’espièglerie, des piques chargées de tendresse et d’affection, où chaque mot était une caresse déguisée.


Bien sûr, il y avait cette passion dévorante, ce désir insatiable de découvrir l'autre, non seulement dans l'intimité de nos corps, mais aussi dans les méandres de nos personnalités. Mais il y avait surtout la légèreté de l’être, l'insouciance de la jeunesse, les éclats de rire réciproques, une compréhension intuitive du bonheur. J'avais l'impression d'être à ma place.


Et ici et maintenant, ces fragments de notre passé commun ne se contentent pas de m’envahir ; ils m'interrogent aussi. Qu'est-ce qui a fait que tout semblait si simple, si pur ? Cette entente, cette harmonie des âmes, était-elle le fondement même de notre relation, plus que l’attirance physique ? J’aspire à retrouver la magie de ces instants, cet équilibre, cette fluidité, ce sentiment de liberté qui me fait défaut depuis tant d’années. J’ai l'intime conviction que Victoria est la femme qui peut m'apprendre à vivre pleinement dans le moment présent et à croire à nouveau en l'amour vrai et sincère.


Aujourd’hui, même si notre histoire a pâti de mes erreurs, ces souvenirs demeurent des repères, des points d'ancrage dans un océan d'incertitudes. Sans Victoria, je suis comme un arbre déraciné, toujours à la recherche de sa terre, de cette racine profonde qui me donne une véritable raison d’exister. Parce qu’en fin de compte, c’est avec elle, dans cette constance entre passion et complicité, que je me sens pleinement moi-même. Et peut-être que c’est ce que je cherche vraiment : un retour à cette vérité, cette authenticité partagée, sans compromis, sans peur. Oui, c’est avec elle que je veux vivre tout cela, encore et toujours.

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