CHAPITRE 49.3 * JAMES

14 minutes de lecture

J.L.C


♪♫ ... ♪♫




Je fais tournoyer le liquide ambré dans mon verre, le regard vagabond, mais l’esprit aiguisé. Une gorgée plus tard, la brûlure de l’alcool s’insinue, familière, diffuse une chaleur douce-amère. Ça pique. Ça réveille. Ça me berce un instant. En surface. Est-ce vraiment ce dont j’ai besoin ? J’en doute. Là, tout de suite, je veux… Victoria. Et pas dans une semaine ! Maintenant. Comme un abruti sans patience.


Cette femme m’obsède, me dévore de l’intérieur. Elle est mon enfer, mon paradis. Savoir qu’elle se promène sans son tanga couleur chair, au beau milieu d’un club bondé, cernée par une horde de rapaces à cornes ou à plumeaux dans le fion, commence à me donner des palpitations. Quelle putain de fausse bonne idée ! D’emblée, j’aurais dû savoir que c’était une connerie monumentale cette histoire ! Ma Victoria, sans sous-vêtements, dans un carnaval de prédateurs ? Sérieusement, qu’est-ce qui m’a pris de lui souffler une hérésie pareille ? Résultat des courses : un supplice dantesque signé de ma propre main. Formidable. Mon moi m’applaudit ou me maudit. Je ferais mieux de penser à des sujets plus importantes. Sans rire… Rien, absolument rien, n’est plus important qu’elle ! Je suis obnubilé par cette fille. Et chaque fois que je bois, je coule plus vite. Super, la stratégie… Quoique, j’avais pas un gramme dans le sang quand je lui ai demandé de balancer sa petite culotte… Un vrai plan de champion en manque…


Je descends mon verre d’une traite et grimace. L’amertume me resplendit au palais et me tord la bouche. Nickel. C’est parti, mission diversion activée. J’ai besoin d’une échappatoire. N’importe quoi qui me rappelle que tout ne tourne pas en orbite autour de son foutu tanga. À défaut d’avoir mon amour contre moi, j’ai un public tout trouvé : Monsieur de la Clastre et sa future femme, ma jumelle adorée, Isla.


J’épluche mentalement mes meilleures vannes, prêt à dégainer un trait d’esprit, quand Izy surgit de la cuisine, bras chargés d’arômes fumants. Les effluves avaient déjà insinué leur promesse, mais voici l’œuvre achevée : un banquet de liquides et de vapeurs. Pour les tempêtes crâniennes d’Antoine, une infusion — de camomille, si mes narines savent encore reconnaître l’apaisement ; un cacao épicé pour Madame l’Impératrice des fourneaux ; et enfin, un Hot Toddy pour frère en dérive. Isla sait. Isla anticipe. Isla délivre.


Je la remercie pendant qu’elle se recroqueville contre son homme sur le canapé, mug en main. Allez, un petit effort, James, arrête de broyer du noir. Et pense à sourire — même si c’est juste pour planquer ta misère bien empaquetée. Je saisis ma tasse : y’a un clown là-dedans ?


Une mimique en coin, tout en nuance, précède ma réplique faussement détachée :


— Franchement, Antoine, t’as une chance insolente d’avoir Izy pour ensoleiller ta vie.


Et moi, la météo dépressionnaire en boucle.


Le veinard en question remue la tête avec un rictus sucré au sucre et plante un baiser sur la tempe d’Isla. C’est leur vie, leur routine, et, pour une raison que je commence à cerner, cette scène me frappe plus fort que d’habitude.


— C’est pas tous les jours qu’on tombe sur une fille comme elle, argue-t-il, tout fier et tout sourire.


Tant mieux pour toi, frérot. Moi j’ai une nana qui a tombé autre chose. Allez, putain, encore un shoot mental d’érotisme ! Les images de son corps me reviennent à tire-larigot, comme si mon cerveau avait enclenché le mode rediffusion permanente. Y’a pas un bouton « off » dans ma cervelle de collégien en rut ?


Sans un mot, ma frangine laisse échapper un soupir de contentement, ses traits se nourrissent du compliment, une satisfaction discrète s’épanouit lentement dans son regard. Lui, feint une modestie qui rebondit comme un ballon crevé : je sais qu’il donnerait tout pour ma jumelle. Elle ne serait pas avec lui pour moins.


Monsieur et Madame converse tranquillou pendant que je me jette sur mon grog.


Antoine, de prime abord, te fait rouler les orbites à l’intérieur du crâne : il aligne les qualités comme s’il avait absorbé et digéré le manuel du parfait gendre. Trop souriant, trop fiable, trop flegmatique — genre pub pour mutuelle. T’as envie de le griffer pour voir s’il saigne du jus de carotte bio. Et puis tu piges — à ton corps défendant — tu te rends à l’évidence : il interprète pas un rôle, il vit sa nature. Et toi, tu percutes que t’as aucune excuse pour être un connard instable…


Le mec est câblé de la sorte, version artisanat d’âme. Il écoute plus qu’il parle, il agit plus qu’il promet, et il encaisse sans broncher ni rager. Pas par faiblesse, non. Par force tranquille. Au moins, lui, sa maîtrise ne claque pas la porte. La mienne fait des allers-retours avec les valises. Après, sur le terrain comme sur le papier, quand il plaque, Antoine, il y va au bulldozer. Une fois, il m’a planté un orteil dans les côtes, j'ai cru qu'un parpaing m'éviscérait et capté direct à qui j’avais affaire. Plus question de sous-estimer la bestiole.


Il aime Isla avec l’instinct des battements de cœur — sans le savoir, sans le vouloir, mais toujours. Et bordel, même mon radar fraternel ultra-affûté au cynisme et à la méfiance, trouve rien à objecter. Pas une fausse note, pas le moindre faux pli et pourtant, j’ai l’oreille fine et le compas du sceptique. Je peux pas rêver mieux pour ma moitié née. On a dépassé l’admiration à ce stade : c’est de la reconnaissance existentielle. Un jour, faudra que je lui crache le morceau au garçon... Le hic, c'est qu'on est deux bonshommes, alors on se file des tapes sur l’épaule devant un match de foot ou de rugby, bières en main. Quoi ? Oui, je sais ça se travaille. Parfois, on monte des boîtes ensemble et on devient associés — enfin, une fois. Parfois, il m’assigne d’office le rôle de témoin à son mariage — une fois, pas deux. Le type est si carré que je le laisserais gérer mon testament et mon épitaphe. Pas Izy, elle risquerait de faire graver : « Si tu veux un exemple de comment ne pas vivre ta vie, c’est par ici. »


Antoine a colonisé notre clan avec une telle évidence que j’en oublie qu’il n’a pas nos chromosomes. Ou alors, il a juste une appli : « La conquête de la belle famille en 5 étapes ». À voir s’il envisage de ma la filer. Il a apprivoisé Isla comme on apprend une langue rare. Avec patience, tendresse… et zéro traducteur. C’est qu’il parle le gaélique maintenant, le bougre.


Peut-être que ce n’est pas seulement Victoria qui me manque. Peut-être que j’envie ce calme-là, cette clarté que je vois dans les yeux d’un homme qui a trouvé sa place, son foyer, sa foutue gravité.


— C’est à se demander ce que tu lui as promis pour qu’elle tolère tes blagues de récré, le taquinè-je en prenant une gorgée de mon whisky chaud.


En vrai, la voilà la tache sur son costume trois-pièces de prétendant idéal : son humour de sale gosse. Va savoir pourquoi, ça fait partie du charme. De son humanité.


— Ne t’emballe pas, c’est elle qui rafle toute la mise, ironise-t-il. Je suis le jouet dans la pochette surprise.


Je le reconnais là, Antoine : quand il regarde Isla, on dirait qu’il la contemple danser sur un fil d’or tendu entre les étoiles. Et qu’il s’excuse d’exister à côté. Alerte info : ma mièvrerie perso s’appelle Victoria…


— Antoine a ses éclairs de génie. Façon veilleuse, pas projecteur, mais c’est mieux que rien, se moque ma frangine.


L’air de rien, mon faux frère attrape une mèche de cheveux d’Isla entre ses doigts. Elle ne relève pas la tête, mais sa main part automatiquement en direction de sa cuisse quand il tire dessus. Un petit clac sonore résonne, plus complice qu’agacé.


— Donc, lui, il joue le pom-pom boy et toi, la vedette du show ? Quelle équipe de choc, lancè-je.


Elle mime l’indignation, il fait le paon.


— Exact, je suis le coach, elle, la star. J’encourage et je chauffe. Ta sœur s’en est jamais plainte. Au contraire… Elle réclame toujours la troisième mi-temps.


Antoine, en pleine démo. Un gentleman avec un viseur thermique négocié sur le black market de l’humour. Le type peut dire des conneries avec l’élégance d’un sommelier. Et ça passe.


Amusée, Isla pouffe, le chamaille et réplique :


— Jamie, sois gentil, délivre-moi de cet énergumène avant qu’il me fasse signer un contrat à vie… et crois-moi, il n’est pas vraiment taillé pour la durée, celui-là.


Je les feuillette tous les deux : Isla, joues rosies, l’arrogance tranquille d’une tigresse au soleil ; Antoine, toujours un peu policé, mais droit dans sa décontraction. Il la chatouille et elle rit en se débattant. Même son rire me rappelle celui de Vi, quand elle se laisse aller, quand elle oublie de tenir le monde à distance.


— OK, je fais pas des runs comme toi chaque matin, c'est vrai. Seulement, tu sais bien que je suis plus marathonien que sprinteur, déclare-t-il. D’ailleurs, j’arrive toujours au bout de mes ambitions, même si ça me prend six ans…


Il ponctue sa phrase d’un clin d’œil dans ma direction. Ouais, une demi-douzaine d’années, ça en fait des pompes verbales, des squats d’éloges et des kilomètres de petits-déj au lit pour décrocher une bague au doigt — le mec mérite une médaille.


— Depuis que t’as dit adieu au rugby, t’as la condition physique d’un ours qui sort d’hibernation, un dimanche matin, après la fête… glousse-t-elle.


Il rigole, le con. Elle le désarme avec une boutade bien sentie et il la vénère. Ah, l’amour…


— À quelle heure tu décolles James ? J’ai deux trois petites choses à prouver à Madame Forme olympique…


Je souffle d’exaspération, mais c’est surtout une façon de cacher un sourire qui gronde dans ma gorge. Heureusement que je file rejoindre Vi, ces deux-là ont un programme musclé en perspective.


— Fais gaffe, vieux, Izy fait son jogging même quand il pleut des cactus. Tu veux réellement te lancer là-dedans sans assurance vie ?


C’est pas un conseil, c’est un avertissement. Je sais qu’il va foncer, c’est ça qui est beau.


— Ouais.


Simple et direct. Sans ambiguïté aucune. Il compte se taper ma sœur et il me prie de foutre les voiles. Son regard ne flanche pas. Il ne la lâche pas d’un pouce. Comme si le reste du monde pouvait bien s’effondrer derrière.


— Mec, t’as intérêt à carburer. Tu viens de t’aligner face à une championne régionale de l’endurance.


Je termine avec un demi-sourire, mais je le pense à cent pour cent. Isla est une épreuve de fond. Heureusement, Antoine court pour l’instant, pas pour le trophée.


Izy arbore un air victorieux, à peine dissimulé, qui trahit totalement sa joie. Elle se redresse, croisant les bras avec une posture de médaillée prête à relever un autre défi.


— Je t’ai jamais imaginé si perspicace, mo brathair. Dis-moi, c’est pas trop dangereux pour toi, d’avoir des éclats de lucidité tout à coup ? T’as pas peur de cramer tes neurones sans préavis ?


Isla aime pousser mes boutons, juste pour le plaisir de voir jusqu’où elle peut aller avant que je franchisse la ligne rouge.


— Toi, fais pas trop la maligne… T’as beau avoir un sacré cardio, tu tiens pas deux secondes sans ta dose de caféine et une playlist de Beyoncé pour te booster.


— Oui, et ? me nargue-t-elle, en dégustant son chocolat chaud, paupières papillonnantes.


— Enfin, faut reconnaître que t’as jamais été aussi rayonnante que depuis qu’Antoine s’est pointé dans ta vie. Il t’équilibre. Te rends plus… supportable.


— Et depuis quand mon petit frère est devenu si fleur bleue ?


— À croire qu’il est amoureux ! surenchérit mon associé adoré, l’air bien trop satisfait.


Je croise brièvement son regard de crapule avant de boire dans ma tasse et j’enchaîne, déterminé à ne pas me laisser enterrer sous les insinuations, aussi vraies soient-elles :


— T’as peut-être attrapé le gros lot, Antoine, mais parfois, ma sœur me ressemble un peu trop.


Ce dernier hausse un sourcil, feint de réfléchir deux secondes, puis rétorque, l’expression fameuse :


— Dans ce cas, Jamie, si jamais je change de bord un jour, prépare-toi à ce que je te fasse des avances. T’as tout d’Isla, mais en plus viril.


Pas faux… Ma jumelle et moi, on est comme deux miroirs qui se renvoient : même traits, même lueur dans nos pupilles azur, mêmes gestes et mimiques. Cela dit, nos éclats diffèrent : je suis l’écho masculin de son énergie féminine. On est connectés, c’est indéniable, si ce n'est que chacun de nous possède une part que l’autre n’a pas. Isla respire une douceur que je n’ai jamais su maîtriser, une grâce qui lui appartient entièrement, une endurance légendaire, un mental d’acier et une combativité à toute épreuve, là où moi, j’ai succombé aux sirènes de la drogue, de l’autodestruction et de la misère humaine. Je prône une indépendance farouche qu’Izy ne cherche pas à revendiquer et je dégouline de nuances de caractère qu’elle n’a pas à m’envier, bien au contraire.


— Eh bien, mon gars, je suis touché ! Mais entre nous, mo piuthar, garde bien un œil sur ton Don Juan. Qui sait, avec un minois pareil, je pourrais être tenté…


Antoine éclate d’un rire franc tandis que ma cadette secoue sa tête en humant sa boisson cacaotée. Une reine lassée de ses bouffons.


— Chérie, tu devras te battre pour ta place, je crois que ton frangin mijote un rapt sentimental. Je suis pas sûr de pouvoir lui résister éternellement.


— Eh bien, si c’est une invitation, Antoine, je pourrais bien sauter sur l’occase, répliquè-je du tac au tac.


J’ajoute un petit jeu d’œillades coquines pour épicer la plaisanterie. Quoi ? Il a tendu la perche. J’y ai accroché les deux mains, forcément.


Isla élève les yeux au plafond. Encore. Elle mime la mère indulgente devant ses deux garnements, son sourire mi-moqueur mi-blasé suspendu entre deux gorgées.


— Si je suis de trop, n’hésitez pas, hein ! Ou dois-je désormais me méfier chaque fois que vous partez en voyage d’affaires tous les deux ?


Elle connaît nos joutes, mais la voir batailler pour maintenir son flegme tout en étant tordue de rire à l’intérieur me régale toujours.


— Relax, ma… petite tigresse. Je n’ai d’yeux que pour toi. Même si je dois bien admettre que ton double a un certain charme, il est loin de correspondre à mes… faims nocturnes ou de rivaliser avec… tes griffes acérées. Désolé t’es trop… brut de décoffrage, frérot.


— Trop brut ? D’accord, je suis pas brodé façon dentelle fine, mais un poil de rudesse n’a jamais fait fuir les plus aventureux… Je sais aussi manier les gants de velours, si t’es du genre délicat. Tu préfères le cuir ou la soie, toi ?


Un rictus carnassier lui fend le visage. L’étincelle dans ses iris m’avertit que mon acolyte plonge dans mon jeu.


— Cordes, je suis chatouilleux et j’aime les chapeaux de cow-boy. En revanche, j’entre par la porte de service, sans frapper. T’assumes jusqu’au bout, mec ?


Izy, visiblement divertie, en spectatrice avisée de notre petit duel de piques, se lance :


— Wow, j’ai à peine cligné des yeux et vous est déjà en zone rouge ? Prévenez, la prochaine fois, que je sorte le pop-corn. Sérieux, je me demande qui de vous deux tombera le premier dans le traquenard qu’il tend à l’autre. J’ai mes pronostics.


— Tu connais les limites de ton homme mieux que moi… s’il en a.


— On m’a susurré tes prouesses, mon charmant beau-frère. Mieux encore : j’ai assisté à une démonstration en live.


— Égalité parfaite : j’ai eu droit à la séance botte de foin. Sans parler des audios enregistrés à chaque visite ou voyage ensemble. Les murs sont fins. Les portes grincent. Isla couine et t’es plus haka et claquage.


— Elle aime quand ça percute, moi je m’ex...


Il a pas le temps de finir que ma jumelle le coupe, la conversation déviant trop à son goût :


— Vous deux, vous êtes désespérants, nous chambre-t-elle. Je vais devoir vous fliquer à chaque œillade ! Et Jamie, cesse d’alimenter ses lubies, il est inflammable au possible. Son imagination n’a pas besoin de carburant.


Je me penche légèrement en avant :


— Oh, je connais l’artiste et je sais qu’il a beaucoup de créativité, raillè-je.


Antoine, piqué au vif, s’offre un rire court.


— Eh bien, merci. Je te laisse quand même les grandes manœuvres. T’as une approche plus… instinctive.


Isla, pas impressionnée pour trois sous, rétorque sarcastique :


— Tu parles ! C’est plutôt une technique de « fais-leur croire qu’elles ont une chance » !


Sa tocade se faufile dans ma tête, vibre telle une écharde de lumière, rapide et mordante. Mon sourire reste en façade, mais une fêlure discrète serpente en moi, l’ironie fait son chemin et érode mon assurance. Je m’empare de la tasse comme on saisit un talisman, mes doigts s’enroulent autour du souffle chaud qu’elle exhale encore. La chaleur coule en moi, pourtant c’est celle de son trait d’esprit qui marque — un feu fin et corrosif, invisible, tenace. Je raffermis ma prise, tentative maladroite de contenir le frisson d’orgueil blessé qui me pique la nuque.


Oui, j’ai été ce type-là. Celui qui a joué les prédateurs sans morale, qui a pris et jeté, usé et abandonné, sans scrupules, sans un regard en arrière. La collection de conquêtes, les nuits sans lendemain… Sauf que… ras le bol de me projeter dans le passé. Le sourire pirouette, je ravale l’amertume, la recouvre d’un voile de sarcasme et bascule en mode par défaut :


— C’est ta faute, sœurette. À force de me négliger et de me laisser en friche affective, fallait bien que je me trouve quelqu’un pour panser mes blessures…


Le rictus placardé sus ma face vient tout seul, mécanique, creux, fonctionnel. Je l’affiche pour la forme, histoire de donner l’illusion que tout va bien, alors que c’est du vent. Je sirote ma boisson — prénommée « alibi d’enfer » — et me vautre à nouveau dans mon super fauteuil, en guettant la prochaine salve de ma jumelle. Elle ne se fait pas attendre.


— Ouais, sauf que t’avais une fâcheuse tendance à opter pour la version mannequin de la trousse de secours. Si c’est ça ton pansement, t’es plus dans l’esthétique que dans le soin, frangin. T’aurais peut-être mieux fait de te dégoter une peluche grandeur nature à la place et de rester chez toi au lieu de courir les poupées gonflables à la Amy ou Elaine et de t’enfiler des rails de poudre.


Isla s’élance brusquement et quitte le salon, bouffée par la tension, fuyant cet air saturé de non-dits. Sa diatribe a dévalé à toute vitesse et à mesure qu’elle prononçait ses mots, gorgés de rancune et de douleur, ses yeux se sont embués, sa voix s’est éraillée, mon coeur s’est comprimé. Antoine pousse un long soupir de résignation, passe une main nerveuse dans ses cheveux et se lève à contretemps. Il me balance une phrase que je n’entends même pas avant de disparaître hors de mon champ de vision. Mon regard s’échoue dans l’obscurité anthracite, droïde, immobile du mur derrière le canapé. Un sifflement distordu envahit mes tympans, déconnectant mon esprit du présent.


Une porte claque à l’étage. Des pas résonnent dans l’escalier. Antoine part réconforter ma sœur. Elle a craqué.




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