CHAPITRE 42.2 * JAMES
J.L.C
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Je fais tournoyer le liquide doré dans mon verre, le regard un peu absent, mais l’esprit aiguisé. Je prends une gorgée, l’alcool me brûle la gorge avec cette chaleur réconfortante, un peu comme une vieille habitude. Ça me pique, ça me réveille. C’est sûrement ce dont j’avais besoin, mais j’en suis pas absolument sûr. Je pense que ce dont j'ai vraiment envie, là, tout de suite, c'est... Victoria.
Cette femme m'obsède, me dévore de l’intérieur. C’est l’enfer et le paradis à la fois, et le fait qu'elle se promène sans son petit tanga couleur chair, au milieu d’un club bondé, commence à me donner des sueurs froides. Vraiment, quelle putain de fausse bonne idée… Qu'est-ce qu’il m’a pris de lui demander ça ? Maintenant, je passe mon temps à me torturer l’esprit. C’est génial. Je pourrais probablement penser à des choses bien plus importantes. Mais non, bien sûr que non. C’est plus fort que moi. Je suis là, obnubilé par elle. Comme d’habitude. En plus qu’est-que je raconte, rien n’est plus important qu'elle, bon sang !
Je vide mon verre d'une traite et grimace. Il faut que je me change les idées et mon public est tout trouvé. Monsieur de la Clastre et sa future femme, ma sœur chérie, Isla. Je cherche la formule juste pour balancer une petite boutade, alors qu’Izy revient de la cuisine avec un plateau chargé de boissons chaudes. J’avais déjà senti les effluves caresser mes sens, mais je vois désormais le fruit de ses préparations. Elle pose devant Antoine une infusion — surement de camomille, pour alléger sa migraine —, un chocolat chaud épicé pour elle, et enfin, un Hot Toddy pour moi. Ma jumelle me connait par cœur.
Je la remercie tandis qu'elle se recroqueville contre son homme sur le canapé, mug en main. Un petit sourire s'étire sur mes lèvres, alors que je lâche faussement désinvolte :
— Franchement, Antoine, t’as une chance insolente d’avoir ma chère petite sœur à tes côtés.
Le veinard en question secoue la tête avec un air malicieux, se saisit de la tasse fumante et plante un rapide baiser sur la tempe d’Isla. C’est leur vie, leur routine, et pour une raison que je commence à comprendre, ça me frappe plus fort que d’habitude.
— Tu sais, c’est pas tous les jours qu’on tombe sur une fille comme elle.
Ma frangine laisse échapper une expression de contentement, ses yeux s’adoucissent, mais elle ne dit rien, comme si elle savourait en silence ce compliment, une pointe de satisfaction discrète dans son regard. Lui, il tente de dissimuler sa fierté sous une fausse modestie, mais je sais qu'il donnerait tout pour ma jumelle. Elle ne serait pas avec lui pour moins.
— C’est à se demander ce que tu lui as promis pour qu’elle accepte de supporter tes blagues, les taquinè-je gentiment.
— Eh déjà, c'est elle qui profite de moi, plaisante-t-il en retour.
Amusée, Isla pouffe, le chamaille et réplique :
— Et depuis quand mon tendre frère est-il devenu si fleur bleue ?
— À croire qu’il est amoureux ! renchérit ma crapule d'associé, un sourire moqueur en coin.
Je ris à mon tour et lui lance un clin d’œil :
— Faut avouer que t’as su attraper le gros lot, Antoine, mais fais gaffe... parfois ma soeur me ressemble un peu trop.
Ce dernier hausse un sourcil, feignant de réfléchir, puis rétorque, l'air fameux :
— Dans ce cas, Jamie, si je change de bord un jour, prépare-toi à ce que je te fasse des avances. T’as tout d’Isla, mais en plus viril.
Ma jumelle et moi, on est comme deux miroirs qui se reflètent, mais avec des éclats différents. En vrai, même si on se ressemble comme deux gouttes d’eau — même traits, même lueur dans nos regards azur, même gestes et mimiques parfois — je suis l'écho masculin de son énergie féminine. On est liés, c’est certain, mais chacun de nous possède quelque chose que l’autre n’a pas. Elle, une douceur que je n’ai jamais su maîtriser et une grâce qui ne lui appartient qu'à elle ; moi, une rude indépendance qu’Izy ne cherche pas à revendiquer et des nuances de caractère qu’elle n’a pas à m'envier, au contraire.
— Eh bien mon vieux, je suis touché ! Mais entre nous, soeurette, garde bien un œil sur lui. Qui sait, avec un minois pareil, je pourrais être tenté…
Antoine rit de bon cœur et ma cadette secoue la tête en savourant son chocolat chaud.
— Chérie, tu devras te battre pour moi, je crois que ton frangin essaie de me voler.
— Eh bien, si c’est une proposition, Antoine, je pourrais bien te prendre au mot…, répliquè-je, avec un air faussement intéressé, en jouant du regard, pour attiser la plaisanterie.
Isla lève les yeux au ciel en souriant.
— Si je suis de trop, n'hésitez pas à me le dire, hein ! Ou dois-je commencer à me poser des questions chaque fois que vous partez en déplacement ensemble ?
Elle connaît notre humour et sait que ça n'a rien de sérieux, mais le voir tenter de maintenir son flegme me régale toujours.
— T'inquiète, ma... petite tigresse. Je n’ai d’yeux que pour toi. Même si je dois bien admettre que ton double a un certain charme… Mais, il est loin d'égaler ton sex-appeal. Ça, c’est un territoire réservé à Isla, et toi, James... t’es trop brut pour ça.
— Trop brut, hein ? Bah, un peu de rudesse n’a jamais fait fuir les plus aventureux... Mais pour toi, mon vieux, je resterai gentleman… Ou est-ce que t’es trop sage pour ça ?
Je le vois esquisser un rictus narquois, de ceux qui signifient qu’il ne va pas me laisser m’en tirer si facilement. L’étincelle dans son regard m'avertit que mon acolyte entre dans mon jeu.
— Allez, faut bien savoir apprécier un peu de mordant, t'as raison. Par contre, va falloir assumer jusqu’au bout, mec, me glisse-t-il avec un clin d'œil.
Izy, visiblement diverti, secoue la tête, jouant la spectatrice avisée de notre petit duel de piques.
— Vous deux, vous êtes désespérants, nous chambre-t-elle. Je vais devoir surveiller chacun de vos regards ! Et Jamie, ne va pas lui donner des idées, il a déjà du mal à rester sérieux cinq minutes.
Je me penche légèrement en avant, avec une lueur malicieuse dans les yeux.
— Oh, je connais mon beau-frère et je sais qu'il a beaucoup d’imagination…, ironisè-je.
Antoine semble séduit par ma réplique et laisse échapper un petit rire.
— Eh bien, je laisse les grandes manœuvres à James. Il a une approche plus... instinctive.
Isla, pas impressionnée pour trois sous, rétorque sarcastique :
— Tu parles ! C’est plutôt une technique de "fais-leur croire qu'elles ont une chance" !
Je laisse sa voix se faufiler dans ma tête, sa tocade vibrant comme un éclair frappant la nuit noire. Je garde le sourire, mais quelque chose dans l'ironie de ses mots commence à éroder mon assurance.
Je tends la main et saisis la tasse de hot toddy, mes doigts glissant sur le verre encore fumant. La chaleur du liquide m’envahit, mais c’est surtout celle de ses mots, comme un rayon trop brûlant, qui me laisse une trace indélébile. Je serre l'anse un peu plus fort, comme pour museler cette pensée qui m’effleure, subtile et insidieuse.
Oui, j’ai été ce type-là. Celui qui a joué les prédateurs, qui a pris et jeté, usé et abandonné, sans scrupules, sans un regard en arrière. La collection de conquêtes, les nuits sans lendemain… Sauf qu’Izy et Antoine n'y sont pour rien, alors je reviens à un ton moqueur.
— C'est ta faute, sœurette. Si tu ne me négligeais pas autant… Faut bien que je trouve quelqu'un pour panser mes blessures…
Un sourire se dessine sur mon visage, sans effort, mais il est vide, comme une formule usée. Je l'affiche pour la forme, histoire de donner l'illusion que tout va bien, mais je sais que c’est juste du vent. Je sirote ma boisson et m'installe confortablement, en guettant la réaction de ma jumelle. Elle ne se fait pas attendre.
— Justement, tiens, ton “pansement” ressemble plus à une belle blonde qu'à un gros ours tout poilu !
— Eh ! Les ours poilu, ça câline mieux ! marmonne mon beau-frère, d'un ton faussement vexé.
J’entends leur échange, mais déjà, leurs mots s’effacent. Je me perds dans mes pensées, glissant peu à peu hors de ce petit jeu.
Je me croyais invincible, indestructible, incapable d'être un jour à nouveau pris au piège. Pas après Amy. Je m'étais juré de ne plus jamais laissé une femme m'atteindre de la sorte. Oublier l’amour, c’était plus facile. Il suffisait de fermer les portes, de tout verrouiller. Je n’avais plus aucune envie de m’ouvrir, de m’exposer. Aucune d’elles n’aurait le pouvoir de me réduire en charpie. J’avais fait de mon cœur une forteresse de détachement, calfeutré par des remparts d’indifférence et de froideur. Mon armure ? Une cuirasse de déni, construite pour me maintenir à l’écart. La drogue ? Le passe-partout pour rester hors de portée. Le sexe ? A peine un pont-levis, le temps de recevoir sans donner...
Mais aujourd’hui… Aujourd’hui, la donne a changé. Ce besoin de chasser, de dominer, il a disparu. Non, mieux encore. J'ai compris que ce que je voulais, ce que je désire, c’est elle. Victoria. Juste, elle. Une évidence. Il n’y a plus de doutes, plus de faux-semblants. Elle a bouleversé mes certitudes. Elle m’a fait évoluer.
Si je devais devenir une proie, je le ferais sans la moindre hésitation. Pas de résistance. Pas de retraite. Pour elle, je me dépossèderai de mes mécanismes de défense. Je suis prêt à être vulnérable, à baisser ma garde. Je n'ai pas peur d’admettre que je suis à terre. Tombé, certes, mais dans cette chute, je trouve enfin une forme d’émancipation. La liberté de ne plus fuir ni esquiver, me mentir ou me saboter. Le droit de l’aimer, vraiment, pleinement.
Je la veux. Non pas comme une victoire à ajouter à mes trophées de tombeau des cœurs — jamais ! —, mais comme la promesse de donner tout ce que j’ai, tout ce que je suis.
Un pansement, oui, un de ceux qui ne cachent pas la blessure, mais qui la rendent presque belle, presque douce. Rien que de penser à Victoria, là, maintenant, ça me rend tout bonnement heureux. Je prends une gorgée, un peu pour dissimuler mon sourire, un peu pour savourer l’instant.
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