CHAPITRE 15.4 * VICTORIA

7 minutes de lecture

V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫

Les minutes qui suivent sont un tourbillon rapide et pressé. Alourdie par la valise qui tire sur mon bras, je dévale les escaliers avec une telle précipitation que je manque de rater une marche, l’élan de ma hâte emportant presque mes pas. L’anxiété qui me talonne et l’élan de hâte m’emporte à chaque pas.


Je les rejoins dans une brume de sentiments contradictoires. Bien que curieusement hors de portée, leur chaleur m'entoure instantanément. Un câlin rapide à ma cousine, une bise distraite à Camille et à Flora, un sourire tellement faux, si lointain, que je m’étonne moi-même de réussir à le maintenir. Je prends à peine le temps de discuter et expédie les salutations sous couvert de boulot à rattraper, de ménage qui n'attend pas, et d'une douche qu'il me faut encore aller prendre. Comme un réflexe, je leur dis que je les retrouverai dans deux jours, mais la phrase semble m’échapper, comme si ce n’était pas moi qui la prononçais. Pourtant, mon masque, mon expression polie, qui cachent le tumulte qui fait rage en moi, parais les rassurer. En cinq minutes, les voilà partis, me laissant seule au milieu du terrain désert. Moka, le chat de ma voisine, se frotte contre mes jambes, je le gratifie d'une papouille distraite, referme les pans de ma veste sur ma poitrine et prends une profonde inspiration. Il est temps de retrouver James.


En remontant les escaliers, mon esprit est en proie à une déferlante de questions. Une part de moi est encore troublée — peut-être même bouleversée — par ce qu’on vient de vivre, tandis qu’une autre se débat pour comprendre comment on en est arrivés là. Le fossé entre ce que je ressens et ce que je pense ne cesse de se creuser, me laissant perdue dans ce labyrinthe de contradictions. Mon cœur qui serre ma poitrine semble vouloir me dire quelque chose, mais quoi ? Je suis prise entre l’urgence de tout éclaircir et celle, plus pressante, de retrouver un peut de calme, loin de nos tourments. Comment concilier ces deux impératifs quand tout en moi s’agite et se brouille ? Quelle direction claire prendre dans ce maelström émotionnel ?


Quand je rentre chez moi, j’aperçois James affalé sur le canapé, fixant le plafond comme si le monde au-dessus de lui était plus tangible que ce qui l’entoure. Lorsqu’il tourne la tête, ses iris bleutés engloutissent l’espace autour de lui, dévoilant une profondeur qui me secoue. Eprouve-t-il lui aussi ce mélange complexe de regret et de désir non résolu ? Son regard s’adoucit légèrement en me voyant. Les marques de l’angoisse, les signes de son tourment, sont évidents. Chaque détail — de la raideur dans sa nuque à la crispation dans ses mâchoires, de la tension dans ses mains, à l’expression pensive sur son visage — témoigne du conflit qu'il traverse. Aucun de nous n’est sorti intact de cette situation.


Il se redresse lentement et je continue mon inspection tout en retirant mes chaussures. Je garde toutefois ma veste en jean car le froid mordant de l’extérieur s'attarde encore sur mes cuisses dénudées, provoquant une chair de poule incontrôlée. Mon attention se porte sur les petites imperfections, ces indices subtils qui trahissent son état psychologique. James est marqué par une profonde lassitude. Ses cheveux ébouriffés, ses vêtements froissés, sa chemise déboutonnée qui laisse entrevoir une partie de son torse, comme un fragment de ce qui est resté de notre intimité explosive. À cet instant, je suis irrésistiblement attirée et en même temps, consciente du gouffre qui nous sépare. Le contraste entre sa posture et le désordre intérieur qu'il semble vivre est frappant. Ai-je la même allure ? Probablement...


Je prends un moment pour respirer, pour me décider. Mon désir de lui parler, de comprendre ce qu’il ressent, est aussi intense que l’instinct de me protéger de ce que je pourrais entendre. Mais l’inévitable est là, présent, dans le silence lourd de cette pièce, qui appelle à la vérité. On ne peut pas se cacher indéfiniment. James se lève, m'enveloppe de sa silhouette imposante, et malgré moi, je me sens minuscule dans son ombre.


Je prends une inspiration, luttant pour trouver les mots qui rendront justice à ce moment partagé, même si cela doit réveiller des douleurs enfouies.


— James, il faut qu’on parle de ce qui vient de se passer.


Je ne prends pas de détours, ma voix est nette. Il ouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Sa respiration devient un peu plus irrégulière, comme s’il luttait pour trouver les mots justes. Il lève les yeux, mais je vois déjà dans son regard un mélange de confusion et d’appréhension. Alors, je poursuis, résolue à exprimer ce que je ressens.


— J’ai besoin de savoir où nous en sommes James. Qu’attends-tu vraiment de nous ? Ce qu’on a partagé a encore de la valeur pour toi ? Ou c’était juste... un moment d’égarement ?


Ma voix se brise légèrement, et je m’efforce de garder mon calme.


— Je ne parle pas de ce qui vient de se passer dans la cuisine. Je parle de tout. De nous. Depuis le début. Je ne peux pas envisager quoique ce soit de plus tant que je ne sais pas où je mets les pieds. Toi et moi... qu'est-ce qu'on est ?


Un changement subtil se produit dans l’expression de James. Ses yeux s’illuminent d’une douceur que je n’avais encore jamais vue, une lumière apaisante qui vient comme un baume sur mes inquiétudes. J'ai l'impression qu'une compréhension profonde vient de faire jour en lui. Sa posture se relâche, ses épaules se détendent et il semble prendre une résolution. Son regard se fait plus clair, plus déterminé, comme s’il avait enfin trouvé les mots qu’il cherchait. Il se rapproche de moi, ses mains se posent doucement sur mes avant-bras, un contact léger, mais rassurant. Je fonds sous son contact, mais je brûle de savoir ce qu’il va dire. Je retiens mon souffle, mon cœur prêt à exploser. Malheureusement, le destin semble s'acharner sur nous ce matin. Avant qu'il ait la chance de partager ce qu'il a sur le cœur, la sonnerie du téléphone retentit, violente, invasive. L’instant suspendu éclate, laissant place à une déception si brutale que je ferme les yeux, incapable de croire à cette interruption fatidique qui nous prive d’une révélation attendue — enfin, je crois. Bon sang, le monde entier conspire contre nous ou quoi !


Je soupire, sentant notre moment s’évanouir, et plonge la main dans la poche de ma veste pour en sortir mon portable.


C’est Mati. Mon esprit est tiraillé entre la nécessité de répondre à cet appel et mon désir de l'envoyer valser : la conversation avec James semble sur le point de libérer des non-dits. Sauf, que Mati ne m'appelerait pas s'il n'y avait pas un problème. James aperçoit le nom de mon interlocuteur et il se crispe aussitôt. Sa réaction est claire, nette, tranchante : il est contrarié. Son visage devient indéchiffrable tandis que le tintement strident continue de se faire entendre, saturant l’air d’un malaise palpable.


Il exhale bruyamment, se recule et me relâche à contre-cœur, pour mettre de la distance physique entre nous et me permettre de décrocher. Je tente de lui adresser un regard, une excuse silencieuse. Mon expression se veut apaisante, mais je doute qu’il l’interprète ainsi. Son amertume s'étend comme une ombre autour de nous.


Je prends une profonde inspiration, me détourne et accepte l'appel.


— Allo ?


La voix de Mati, familière, mais pressante, résonne dans l'appareil. Je l’écoute attentivement, tentant de saisir le sens de ses paroles tout en restant consciente de la présence silencieuse de James. Malgré sa tentative de rester calme, son regard perçant et sa posture tendue m'indiquent un léger agacement, voire une contrariété palpable qui plane, s’immisçant entre nous comme une barrière invisible. Je me ressaisis en lui tournant le dos et me focalise sur les informations qui me parviennent.


— Je sais qu’on était censés se voir à 14h, mais y'a moyen que tu viennes un peu plus tôt au club ? On a un problème avec un fournisseur. La livraison des boissons est retardée et je dois aller m’en occuper de suite. Sauf que les gars pour la piscine sont déjà là, et que je peux pas les laisser seuls, sinon ils vont foutre la pagaille et Baptiste est même pas là encore...


Je l’interromps avant qu'il n’aille plus loin.


— C’est bon, j’arrive.


— Putain, merci ! Tu me sauves la mise, là !


— Je m’occupe des ouvriers, je le rassure aussitôt. Toi, concentre-toi sur la livraison. Je me prépare et je serai là dans, disons, une heure.


— Génial ! Merci, Vic ! Je dois filer. Je te fais confiance et je te revaudrai ça, promis !


J’entends le soulagement dans sa voix. Mais, alors que je m'apprête à raccrocher, Mati ajoute :


— Juste, tout va bien de ton côté ? Tu as passé... une bonne nuit ?


Il y a une note subtile dans sa question pas tout à fait anodine qui me fait hésiter une fraction de seconde.


— Oui, tout va bien. La nuit a été... mouvementée, mais ça va.


— Sûre ? Tant mieux. Et James, euh... est-ce qu’il est toujours avec toi ?


— Oui.


Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. James est là, silencieux, une expression neutre — non, pas neutre du tout — épinglée sur moi. Je me mords la lèvre inférieure, un tic nerveux que j’essaie de dissimuler.


— D’accord. Si tu as besoin de quelque chose, fais-moi signe, d'accord ?


— Bien sûr. À plus tard alors.


Dès que je raccroche, je sens un poids se déposer sur ma poitrine. Même si l'appel de Mati m'a ramenée à la réalité, la tension laissée par ce qui s'est passé avec James ne me quitte pas. Elle pulse encore dans mes veines. Un malaise s’installe, que je n’arrive pas à évacuer. Je reste là, immobile, le téléphone toujours dans la main, absorbée par la valse de pensées qui tourbillonne dans ma tête. Chaque fibre de mon être est encore en alerte. Mon cœur bat trop vite, trop fort, comme si la tension ne voulait pas me lâcher. D'un côté, il y a James et ce moment avec lui si brut et si puissant qu'il m'a presque consumée. De l'autre, il y a ma vie quotidienne qui me rattrape, le travail, les obligations auxquelles je ne peux pas me soustraire. Et dans un coin de ma tête, une idée persiste : si je laissais tout ça derrière moi aujourd’hui, rien qu'une fois ? Mais non, c’est impossible. Je respire profondément, chassant ma confusion.

Annotations

Vous aimez lire D D.MELO ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0