CHAPITRE 30.1 * VICTORIA
TOME 2
24H POUR SE DÉCLARER
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PARTIE 2
PAR CŒUR
AU FIL DE l’EAU
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V.R.S.de.SC
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L’alarme de mon téléphone gronde à nouveau, déchirant le calme environnant. Blottis et emmitouflés dans notre nid douillet, James et moi bullons. Il est 9 h passé. Si je fais un calcul rapide, cinq heures de sommeil à peine pour nous. Pour beaucoup, c’est suffisant. Pour moi, tout juste reposant. Pour James, peut-être déjà trop.
Lors de la première sonnerie, il s’est empressé de repousser l’irruption tonitruante avant de me prendre dans ses bras. Dans un souffle, il m’a chuchoté que je pouvais encore dormir, qu’il savait à quel point j’étais fatiguée. J’ai cédé sans résistance, me fondant dans la chaleur de son corps et la douceur de la couette, retrouvant dans son étreinte la quiétude d’un havre caché.
Huit heures de dodo, c’est mon idéal. Au-delà, je me sens engourdie, dans le brouillard. Il y a des jours où, même après seulement quelques heures, je me lève avec une clarté inattendue, revigorée, comme si la nuit avait distillé des secrets dans mes rêves. Tout dépend de la phase dans laquelle je me trouve quand l’alarme tinte, comme un jeu de hasard où Morphée est le croupier. Ce matin, la bienveillance de ses bras m’enveloppe, la pesanteur des draps me cloue à cette intimité, et sa présence à mes côtés est un réveil qui n’a pas son pareil. Suspendue dans cet entre-deux, je prends une profonde inspiration, savoure l’instant, refusant de rompre le charme de sitôt.
J’avais remarqué que mon Écossais préféré luttait contre des insomnies récurrentes, que ces nuits s’avéraient souvent courtes. Il m’avait expliqué qu’il profitait de ses matinées pour aller faire du sport, se mettre en forme et amorcer la journée sur une note active. Pourtant, durant notre semaine estivale, il avait délaissé cette pratique sans broncher — avec enthousiasme même, si on tient compte de nos câlins coquins à la lumière de l’aube.
Je n’étais pas naïve : je savais que sa décision de sacrifier sa routine était animée par son envie de maximiser notre temps ensemble. Mais, maintenant que je connais ses antécédents et son historique avec ses addictions, je me demande si son trouble du sommeil et son obsession pour l’exercice physique ne cachent pas un combat plus profond. Une manifestation des symptômes de sevrage, peut-être ? Je manque d’expertise en la matière : il serait peut-être judicieux que j’en découvre davantage. Comprendre ce qu’il traverse pourrait m’aider à lui apporter le soutien dont il a besoin.
Mes doigts rôdent paresseusement sur ses muscles tantôt saillants, tantôt relâchés. Un grognement se fait entendre, lorsque je cale ma jambe sur lui et mordille la peau sous ma pommette. Une main se faufile dans mes cheveux, manipule mes boucles avec tendresse — une vieille habitude. Le beau dormeur émerge à son tour.
Je n’ai pas la moindre envie de me lever, de quitter cette suite, d’affronter la lumière du jour. Même à travers mes paupières closes, je sens le soleil qui tape fort, annonçant une matinée radieuse. Ce n’est pas pour me déplaire, au contraire. Mais, une fois exposée à ce rayonnement, c’en sera fini de ma nuit. Non, il n’y a vraiment aucune raison de se presser. Ici, blottie dans la chaleur de mon charmant lion, je pourrais prétendre que le temps s’est figé, que rien d’autre n’existe, que cette douce intimité durera éternellement.
Après tout, ce sont les vacances et je compte me vautrer dans la paresse jusqu’à n’en plus pouvoir, rattraper mes heures de sommeil et exploiter à fond mes grasses matinées. Surtout celles qui se profilent chez mes parents, quand je gagnerai la demeure familiale dans quelques jours. J’ai hâte de retrouver tout le clan, même si l’atmosphère sera moins joyeuse et festive que celle de Noël. C’est la Toussaint, et le cœur n’y sera pas vraiment. Les souvenirs des proches disparus resurgissent toujours, comme ma grand-mère, Angelina, dont l’absence reste si lourde. Grand-père Louis aura le moral en berne, tout comme nous.
Mamie et ses confitures maison, toujours préparées avec un soupçon de magie. Je la revois, penchée au-dessus de la marmite en cuivre, en train de mitonner avec amour sa recette secrète, les pots alignés sur le plan de travail. Mes frères, mes cousins et moi, les mimines enduites de cette substance sucrée, nous léchant les babines, hilares.
Ses doigts. Agiles et gracieux, façonnant les notes lorsque nous interprétions à quatre mains des partitions sur le piano du grand salon, emportées par la beauté de la musique qui jaillissait de l’instrument. Chaque leçon était une aventure pleine de découvertes, une danse entre les touches et nos rêves. Ma grand-mère me guidait à travers le clavier avec patience et tendresse. Chaque fois que je reviens à la maison, je joue pour elle.
J’irais faire un tour dans le jardin d’hiver, son endroit préféré entre tous, où elle passait des heures à bichonner ses plantes. Elle avait la main verte Mamie, était capable de glorifier chaque tige en une œuvre d’art, d’insuffler vie et éclat à chaque pétale, de transformer chaque parterre en conte de fées. Papi a pris la relève depuis qu’elle nous a quittés. Il continue à cultiver la serre, un sentier de couleurs et de senteurs en souvenir de sa bien-aimée. Le massif d’asters — ces petites étoiles nées des larmes d’une déesse lassée des maux des hommes — sera encore floraison, et je trouverai aussi quelques dahlias. J’en cueillerai un que je ramènerai chez moi, comme chaque année, depuis son décès. Il ajoutera sa teinte à celle des six autres, déjà séchés et encadrés, dans un écrin qui lui rend hommage.
J’adore les fleurs. Le bouquet offert par James — une démarche aussi inattendue qu’intentionnée — m’a touchée plus que je ne m’y attendais. Ce tourbillon d’émotions qui me submergeaient à ce moment-là m’a empêchée de lui montrer à quel point son attention m’avait fait plaisir. Je m’en veux de ne pas avoir été plus démonstrative, de ne pas avoir laissé mes sentiments éclater. Il faut vraiment que j’apprenne à accepter les choses telles qu’elles viennent, sans toujours les passer au crible de mon esprit.
Je soupire et m’enfonce un peu plus contre son flanc, appelant la chaleur de sa présence pour dissiper la froideur de mes pensées. Comme s’il avait perçu le tumulte dans ma tête, James serre légèrement mon épaule. Puis, le prince de ma nuit dépose un baiser léger, à la fois furtif et précieux, sur ma tempe, un geste infiniment tendre qui contraste avec le poids de mes réflexions. Ma grand-mère me manque. La douceur de son souvenir illumine mon cœur, mais cette lumière vacille sous le voile de son absence.
Je respire un grand coup, hume le parfum de sa peau, un remède à mon chagrin. Mon bras s’enroule autour de sa taille tandis que sa main trouve mon coude. Ses caresses languides m’écartent, un instant, de la mélancolie qui m’étreint. Il est là, solide, une ancre qui me maintient dans le présent. Avec lui, je me rappelle que la vie avance, même lorsque la saudade cherche à s’attarder.
Mais soudain, une ombre s’étend, occulte l’horizon de nos retrouvailles. Mon départ de Toulouse annonce, une fois de plus, la distance qui s’installera entre nous. Juste quelques jours, mais tout de même. À peine réunis, voilà que, déjà, la séparation nous rattrape.
Je rêverai de m’envoler là, maintenant, dans l’heure, avec lui, vers une destination paradisiaque. Une île à l’autre bout de la Terre, de celles qu’il affectionne : Bali, Hawaii, Tahiti… Peu importe. À mille lieues des obligations, des regards, des bruits du monde. Lui et moi, au rythme des vagues, l’océan pour seul témoin et le sable comme territoire privé. Une parenthèse, un aparté, où les heures ne compteraient plus. Une semaine, peut-être deux. Le nécessaire, l’indispensable. Le reste, tout ce qui viendrait après, disparaîtrait dans le lointain. Tout ce qui existe hors de nous, hors de cette bulle, serait suspendu, sans importance.
Mais la réalité se rappelle à moi. L’échappée belle n’aura pas lieu. Le temps que je vais passer loin de lui pèse sur mes épaules, étouffe ma sérénité. Instinctivement, je me recroqueville contre lui. Telle une confession muette, un nouveau soupir s’élève, long et profond. Cette fois, mon baume au cœur intervient :
— A gràidh, si tu continues à soupirer comme ça, je vais finir par croire que je t’ennuie, alors que je ne t’ai même pas encore dit bonjour.
Sa voix endormie me rend toute chose. J’enfouis mon visage contre son torse, laissant mes lèvres effleurer sa peau satinée.
— Mes soupirs ne sont plus à la hauteur de tes attentes ? demandé-je, feignant l’innocence.
— Ils sont ravissants, comme tout ce qui vient de toi.
Je lui coule une œillade mutine avant de refermer les paupières, m’étirant le long de son corps, d’un mouvement délibérément langoureux. Mes orteils frictionnent sa jambe de haut en bas. À son tour, James soupire.
— Vi… me gronde-t-il d’un ton suppliant.
— Oh, pardon… J’espère que je ne t’ennuie pas…
Il éclate d’un petit rire, caressant mon dos avec une lenteur exaspérément agréable, puis riposte avec douceur :
— Pas le moins du monde, au contraire. Si ça te chante, continue à te frotter contre moi toute la journée. Je t’encourage même.
Une bouffée de chaleur m’envahit, mêlée de surprise et d’envie. C’est fou comme il réussit à transformer chaque geste en une danse séduisante, à glisser dans ses paroles ses meilleures prouesses : me désarmer avec une simplicité déconcertante. Il ne m’accorde aucun répit, et pourtant, j’en redemande. Une matinée complète à ses côtés pourrait devenir… un terrain de jeu illimité. Un passe-droit vers le plaisir. Un sourire entendu éclot sur mes lèvres.
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