CHAPITRE 31.2 * JAMES
J.L.C
♪♫ ... ♪♫
Alors que je lutte contre chasser cette angoisse qui creuse son sillon dans mon esprit et fait courir un frisson glacé sur tout mon corps, je me force à revenir au présent. Laissons les cauchemars s’évaporer dans l’ombre de la nuit, pour que les rêves puissent fleurir à la lumière du jour. Voilà que je me transforme en Shakespeare du dimanche. Au lieu de batailler vainement contre un avenir incertain avec mes élans dramatiques, je ferai mieux de me concentrer sur ce que nous réservent les heures qui viennent.
Je sais d’ores et déjà où elle passera la soirée : au Diamant Rose, pour la fête d’Halloween à laquelle elle m’a invité. Ce n’est pas l’option que j’aurais choisie, mais l’idée me réjouit quand même. J’ai hâte de la voir à l’œuvre, moi qui n’ai encore jamais eu l’occasion de découvrir cet aspect de sa personnalité — même si je ne doute pas une seconde de sa rigueur et ses compétences professionnelles. J’imagine déjà son sourire radieux baigné par l’éclairage tamisé du club, l’assurance dans sa démarche, et cette manière qu’elle a de capter l’attention sans même la chercher. Elle est admirable. Ce soir ne fera pas exception. J’en suis convaincu.
Oui d’accord, elle ne sera pas entièrement disponible. Il faudra que je compose avec. Côtoyer à nouveau son cercle d’amis ne me dérange pas trop — certains d’entre eux, à coup sûr, ne manqueront pas à l’appel. Par contre, ce qui m’énerve, c’est la présence de l’autre con, Mati. Je soupçonne — non, je sais — qu’il se passe un truc entre eux, et cette intuition me démange.
Je noue doucement nos doigts avant de briser le silence feutré qui nous entoure :
— Qu’as-tu prévu de faire aujourd’hui ?
Son corps bouge imperceptiblement sous le mien. Sa poitrine se soulève quand elle prend une grande bouffée d’air avant de répondre :
— Et bien, comme tu le sais, j’ai quelques obligations professionnelles. Ce soir, le club organise sa soirée d’Halloween. Il me reste quelques préparatifs de dernière minute à finaliser.
Elle marque une pause. La connaissant, elle doit probablement parcourir sa liste mentale de tâches à rayer.
— J’ai passé tout l’après-midi à bosser au club hier, à superviser chaque détail donc…
Ah, voilà pourquoi elle m’a posé un lapin… enfin pas vraiment « pourquoi », mais ça m’éclaire sur son emploi du temps. Dommage pour notre déjeuner, j’imagine que ça n’entrait pas dans ses priorités. OK, elle avait besoin de temps, mais ça n’empêche que ça m’a donné l’impression d’être une option jetée dans le panier des trucs à faire plus tard… J’aurais même préféré qu’elle me dise qu’elle avait trop de boulot. Mais soit, faut voir le bon côté des choses. Au moins, elle a été sincère et n’a pas utilisé le travail comme excuse.
Soudain, je sens ses doigts glisser dans mes mèches, caressant doucement mon cuir chevelu. Sa voix, tendre et chaleureuse, me tire de mes pensées.
— James ?
Je relève la tête d’un coup. Elle me regarde d’un air calme.
— Quoi ? souffflè-je.
Ses yeux brillent d’une curiosité tranquille, mais moi, tout ce que j’ai, c’est une migraine sourde qui commence à s’installer. Ça sert à rien de tourner en boucle là-dessus. Il y a les causes et les conséquences et, sans ça, on ne serait pas là, dans cette chambre d’hôtel ce matin. Donc… je vais arrêter de ressasser, même si j’ai encore un goût amer dans la bouche.
— Désolé, tu disais ?
Elle me dévisage un instant, avant de glisser une main sur mon bras. Mes épaules se relâchent.
— Que… je ne suis attendu au club qu’en milieu d’après-midi.
Sa remarque me fait sourire intérieurement. C’est comme si elle me tendait une perche, m’offrait, sans le dire, une chance d’avoir un peu plus de temps avec elle. Peut-être m’accorde-t-elle une ouverture, une opportunité ? Je pèse mes mots, hésitant à briser cet équilibre parfait entre détente et anticipation. Pourtant, l’idée de jouer des prolongations avant que la réalité ne reprenne ses droits est plus que séduisante. Devoir la quitter même pour quelques heures, me vrille l’estomac.
Un ange passe. Le temps de méditer mes prochaines paroles sans la brusquer.
— Ça nous laisse… quelques heures, dis-je prudemment.
Elle ne répond pas tout de suite, mais son silence ne m’apparait pas désapprobateur, plutôt, absorbé. Les jolis petits rouages de son cerveau toujours à l’affût me fascinent. Ses pensées se battent peut-être entre l’envie et la raison, je n’en suis pas sûr. Mais la tension qui émane d’elle, la douceur de sa présence sous mes doigts qui vont et viennent sur sa peau mouillée, me dit qu’elle n’est pas contre.
— Tu as quelque chose en tête ? s’enquiert-elle.
Un sourire s’esquisse sur ses lèvres. Je détecte un brin de curiosité dans son timbre,suffisamment pour me signifier qu’elle est tout à fait réceptive à l’idée. Elle se redresse à peine sous moi, me laissant deviner qu’elle est à l’écoute.
Je suis parfaitement conscient que ma proposition pourrait fixer le ton de notre matinée. Ne rien faire, juste rester là à profiter l’un de l’autre me paraît l’option la plus tentante. Toutefois, les souvenirs de nos journées estivales émergent de ma mémoire. Cette semaine passée ensemble, où tout semblait si léger, si simple.
— Je repense à cet été…
Ma voix se perd dans l’instant présent tandis que mes yeux observent nos doigts entremêlés, l’eau qui s’écoule entre nos jointures, les éclaboussures qui clapotent à la surface.
— Tu te rappelles nos balades en ville ? Tu jouais les guides touristiques, me racontait telle ou telle anecdote sur tes coins préférés…
Je souris en me projetant ces moments.
— Si on était à Biarritz, on irait flâner à la plage, et je te propulserais sur une planche…
Son rire me coupe la parole.
— Oh, non, pitié. Tu veux vraiment m’humilier encore une fois avec cette histoire de surf ?
Ma gaieté répond à la sienne. Cette combinaison de légèreté et de complicité, c’est tout ce que j’adore avec elle.
— Je dois admettre, t’avais l’air plutôt intrépide sur cette planche… pour les cinq premières secondes.
— Intrépide ? Plutôt inconsciente de me laisser embarquer par un type persuadé que tout le monde est né pour surfer, rétorque-t-elle, railleuse.
Son commentaire me fait sourire davantage. C’est ce que j’aime chez elle : charme et répartie.
— Franchement, t’étais pas si mal. Avec une ou deux sessions de plus, tu dominerais la houle.
Avant qu’elle n’objecte, je la devance, une pointe de malice se glissant dans mon ton :
— Et, entre nous, t’étais sacrément sexy en combi…
— Ah, tu viens de trahir tes véritables intentions ! C’était donc ça ton objectif, me faire enfiler cette tenue moulante ?
Putain, oui ! Victoria en combi, ça vaut vraiment le détour ! Je ne peux m’empêcher de m’abandonner à cette image. Elle était tout simplement canon, mais il n’y avait pas que ça. Elle, la mer, ses cheveux flottant au vent, le parfum salé des vagues, la synergie du moment. Le paradis.
— Un bonus non négligeable, c’est vrai, j’admets, en coulissant mes mains sur ses cuisses immergées.
Ses doigts, toujours en mouvement, tracent des arabesques paresseuses sur mes avant-bras. Ses ongles effleurent ma peau et me font frissonner. Ses gestes sont mesurés, comme si elle savourait chaque contact.
— Cette escapade, rien que toi et moi, sous le soleil, au bord de l’océan… Ça… me manque.
Son calme me fait comprendre qu’elle pense probablement à la même chose. Notre semaine ensemble a été intense et unique, un mélange de liberté, de découvertes et de passion. Elle ne répond pas tout de suite, mais je sens son corps se détendre davantage sous le mien. Son menton effleure ma tempe avant que sa joue ne vienne se poser doucement sur le sommet de ma tête. Elle inspire profondément, comme pour se reconnecter à ces instants.
— Moi aussi, ça me manque, murmure-t-elle finalement.
Sa voix est douce, presque rêveuse. Puis, elle précise, avec un ton plus léger :
— Mais oublie l’idée que je devienne un jour championne de surf !
Je souris, amusé par son humour, mais, derrière ce masque, je devine une pointe de nostalgie. Aura-t-on l’occasion de revivre ça ? Je l’espère de tout mon cœur. Un pas vers une vie à deux, la promesse du bonheur… La perspective d’être enfin ensemble, de former un… couple, me donne le vertige. Je me ressaisis. Arrête de tirer des plans sur la comète, James.
— Reçu cinq sur cinq. T’es déjà une championne pour plein d’autres choses de toute façon…
Victoria éclate de joie. Je la sens se décontracter davantage sous mes doigts qui massent ses bras lovés sur mon torse.
— Ah oui ? Quelles choses, exactement ? Je suis curieuse, James… éclaire-moi.
Dans ma tête, c’est le chaos ! Je sens la chaleur me monter aux joues quand je pense à sa bouche gourmande qui s’empare de mon sexe avec fièvre ; à ses hanches déchaînées qui m’emportent vers le septième ciel ; à ses fesses rebondies qui vibrent sous mes assauts tempétueux ; à ses gémissements sans fin qui se répercutent dans mon ventre.
— Vi, bébé, t’as pas besoin de dessin.
Un claquement de langue réprobateur me parvient.
— Alors là, si t’arrives à dessiner mon cerveau, je te dis respect. Tu veux que je te trouve crayon et papier ?
Victoria, toujours Victoria : brillante, imprévisible, et diaboliquement douée pour me remettre à ma place avec un simple trait d’esprit. Bien sûr qu’elle a deviné où mes pensées s’étaient aventurées. Mais au lieu de s’en vexer, elle s’en saisit pour me porter une estocade bien sentie. Et maintenant, elle me défie, me pousse à prouver que je la vois pour ce qu’elle est, au-delà de son corps qui m’obsède.
Je me redresse légèrement, cherchant à garder une attitude calme alors que mon cœur bat plus vite. Il est temps de sortir l’artillerie lourde, mais pas avant de m’être amusé moi aussi.
— Ton cerveau, hein ? Ça risque d’être compliqué…
— Pourquoi ? Trop complexe pour toi ?
Je relève la tête pour capter son regard.
— Non, parce que même le plus grand artiste serait incapable de retranscrire un tel chef-d’œuvre, soufflé-je, mi-sérieux, mi-taquin.
Je sens l’onde de son rire se propager à travers ses côtes. Ses bras se resserrent autour de mon torse.
— Bien rattrapé, James. Mais ta technique de drague commence à manquer de peps. T’as encore du pain sur la planche si tu veux m’impressionner.
— T’es sûre ? Même pas un peu séduite ?
— Non, franchement, t’es plus inspiré d’habitude.
Je souris et me réajuste dans le bain de manière à bien voir son visage.
— OK, donne-moi une autre chance. Ton cerveau est comme un labyrinthe. Complexe, intriqué… et carrément dangereux pour un gars comme moi.
Un rictus narquois éclaire ses traits.
— Dangereux ? Tu ferais mieux de rebrousser chemin, alors.
— Trop tard, Vi. Je suis déjà perdu au beau milieu et j’ai bien l’intention de m’y perdre encore plus.
Verrouillant sa main sous ma mâchoire, pour m’attirer à elle, elle se penche et m’embrasse tendrement. Je me laisse prendre dans son filet avec grand plaisir. Le parfum vanillé de sa peau, l’humidité de l’eau, la chaleur de sa bouche... Un pur torrent sensuel. Nos langues se chatouillent et la douceur de ce contact m’enivre.
Je me recule, le souffle court, le cœur affolé, ses lèvres me léguant une empreinte mielleuse et entêtante. Ses yeux dorés pétillent d’amusement et d’envie.
— Bon alors, après ce bain James, qu’allons-nous faire ?
Sa voix m’éveille. OK, rebroussons donc le fil de notre conversation. Après, on rebroussera le fil de ce baiser. Puis de notre réveil. Et de notre nuit. Il y a toute une pelote de sensations à dérouler, encore et encore.
Je lui réponds, feignant un brin de nonchalance pour cacher l’étreinte de désir qui serre ma poitrine.
— Un pique-nique, ça te dit ? Il fait beau.
Ma proposition jaillit du tréfonds de nos souvenirs partagés. Ce n’est pas l’été, mais il fait encore beau pour une fin octobre. Et puis, le soleil est radieux ce matin. Je n’ai pas besoin de plus pour imaginer l’instant.
Victoria laisse échapper un léger son de gorge, comme un acquiescement contenu, avant d’enfoncer ses doigts dans mes cheveux
— Pourquoi pas. Et si on passait au marché Victor Hugo ? Tu vois où c’est ?
Je hoche la tête.
C’est l’endroit idéal pour flâner. Je visualise bien les étals colorés, les odeurs alléchantes de fruits, fromages, charcuteries et pains frais. C’est une excellente idée.
— Ça sonne comme un plan parfait, approuvè-je.
— Super. On pourrait se constituer un panier-repas et se poser dans un parc. Je t’avoue que ça m’arrangerait de nous rapprocher de chez moi. Le parc du Grand-Rond, le Jardin des Plantes… Tu te souviens de notre après-midi sous le saule au Jardin Royal ?
— C’est celui avec le petit étang ?
Elle acquiesce d’un oui. On avait passé une après-midi de rêve sous cet arbre majestueux, où la lumière jouait en ombres dansantes sur son corps alangui. Cet avant-goût d’une journée en plein air, bercée par la douceur de l’automne, me plaît beaucoup.
— Comme tu voudras, opinè-je. À partir du moment où je peux encore profiter de toi, tout me va.
Elle réajuste à son tour sa posture dans le bain, étendant ses jambes le long de mes flancs, ce qui a pour conséquence de nous enfoncer un peu plus dans le liquide désormais tiédi. L’eau s’infiltre entre nous, chatouille nos peaux, mais, comme le temps, elle file entre nos doigts. Un pincement au cœur me saisit : chaque seconde écoulée ici me rapproche du moment où elle devra aller bosser.
Comme pour confirmer mes craintes, Victoria explique :
— Par contre, je dois être au club vers 16 h au plus tard…
Une pointe de frustration me traverse. J’ai envie de suspendre le temps, d’allonger chaque seconde dans ce bain avec elle. Mais je sais qu’elle a des obligations.
— …et avant ça, je devrais faire un saut chez moi pour récupérer mes affaires et ma tenue. Tu viens toujours ce soir ? Je veux dire, je ne pourrai pas vraiment te consacrer beaucoup de temps. Je serai plutôt en mode course. Mais je te promets un verre, voire une danse ou deux.
— Un verre — à condition que ce soit un whisky, alors — et quelques danses, c’est déjà ça, dis-je avec le sourire. Au fait, ange ou démon, ton déguisement ?
— À toi de deviner ! répond-elle.
Même si je ne peux pas voir son visage, je sens la lueur espiègle dans son ton.
— Facile. Ton apparence crie ange, mais ton tempérament ? Démon. Ton côté sauvage, celui qui prend toujours le dessus, ne peut pas mentir.
— Je te renvoie le compliment, réplique-t-elle en pouffant.
— Flatteuse…
Délicatement, je me décale pour m’installer à ses côtés, dos à la paroi. Mon bras glisse derrière ses épaules, l’invitant à se blottir contre moi. Victoria se positionne confortablement, ses jambes enfin libres venant jouer à la surface de l’eau. Elle s’enroule contre moi, sa peau glissant doucement sur la mienne, comme si l’eau elle-même conspirait à nous rapprocher. J’ai maintenant tout le loisir de l’admirer, nue sous cette eau cristalline.
— Cela dit, je parie que tu vas sortir la carte de l’innocence. Ange, je mise tout dessus. Même si... avec ce regard provocateur, c’est difficile à croire, je précise avec un clin d’œil.
Elle m’éclabousse. Je riposte en la pinçant en retour.
— Aïe ! Un ange ne se laisserait pas maltraiter ! s’exclame-t-elle en feignant d’être outrée.
— Oh, alors c’est la petite voix du démon qui parle, là ?
— Méfie-toi. Lucifer était un ange à la base…, susurre-t-elle en inclinant la tête vers moi, ses iris pétillant d’une lueur coquine.
Un sourire se glisse sur mes lèvres.
— Et il a séduit la moitié du paradis. Ça expliquerait certaines choses.
Elle éclate de rire, doux et clair, mais son regard reste braqué sur moi, brûlant de cette énergie magnétique qui me fait flancher.
— Non, tu as raison. Tu n’as rien d’un ange… mo aingeal, chuchotè-je.
Du bout des doigts, je trace une ligne invisible sur sa clavicule, un chemin lent et précis jusqu’à son épaule.
— Qu’est-ce que ça veut-dire ? demande-t-elle, intriguée.
— Mon ange…
Cet aveu contient bien plus qu'une traduction...
— Tu te contredis James.
Je ramène mes yeux vers elle, un éclat de défi dans le regard, et hausse les épaules avec une désinvolture feinte.
— Je m’en fiche.
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