CHAPITRE 28.3 * JAMES
ATTENTION PASSAGE ÉROTIQUE
J.L.C
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La suite est baignée dans une lumière chaude et tamisée, émise par une lampe de chevet au design épuré qui projette des ombres dansantes sur le faux mur de fils argentés. L’ambiance est feutrée et intime, idéale et relaxante. La fraîcheur de la chambre contraste agréablement avec la chaleur partagée. Le silence est brisé uniquement par le froissement des draps quand ma belle bouge, et ses soupirs, discrets, se fondent dans la quiétude de la pièce.
Victoria, allongée contre mon flanc, sa tête nichée sur mon épaule, reprend son souffle calmement. Mon bras repose derrière elle, et sa main tâtonne la mienne, dessine des lignes abstraites, comme si elle essayait de prolonger cette connexion sans qu’aucun mot ne soit nécessaire. Son autre paume git sur mon ventre, légère, terriblement présente, synchronisée avec le rythme de ma respiration. Nos jambes s’entrelacent sous la couette, un enchevêtrement que je n’ai aucune envie de défaire. Je me sens comblé et repu.
Sous mes doigts, sa peau tiède semble s’accorder à ma propre température. Je crois que nos corps communiquent dans un langage secret. Sur mes lèvres, un goût subtil, à peine perceptible, mais qui porte toujours l’empreinte de notre dernier baiser, s’attarde. Cette douceur salée, mêlée au souvenir de sa ferveur, je m’en délecte. Une note de son parfum me parvient, un mélange vanillé — une fragrance de Guerlain ou peut-être de Lancôme, si je me rappelle bien — qui m’enivre depuis le début. Plus qu’un effluve, c’est la sensation qu’elle est partout : sur mes pores, dans mes poumons, incrustée dans chaque fibre de mon être tel un encrage olfactif. Oui, je sais, ça n’existe pas.
Sa saveur en bouteille, son odeur en tatouage, à quelle mièvrerie je vais encore m’adonner ? Sa voix dans un coquillage peut-être ? Ses battements de cœur sur du papier à musique plutôt ? Ou un recueil de poèmes dédié aux couleurs de son être, ses cheveux d’or, ses yeux whisky, son teint nacré, ses aréoles roses ?
D’ailleurs, du coin de l’œil, je les visualise, ses deux bourgeons dressés qui m’appellent, réclament mes caresses, ma bouche, ma langue… Enfin, pour dire la vérité, c’est surtout moi qui les désire, ces petits trésors aussi tendres que des bonbons… Putain, James, tu viens juste de lui faire l’amour ! Ressaisis-toi bon sang !
Franchement, à quoi je suis réduit. Le cliché du mec obsédé ! Oui, j’ai des priorités dans la vie. Et là, elles sont placées sous ma ceinture, pour pas changer. Je devrais probablement arrêter de penser qu’à ça, mais, un regard, un frémissement suffit pour que je sois pris au piège. Vraiment, je n’ai aucune dignité. Non, je préfère me dire que c’est la nature qui fait son œuvre.
Je rigole intérieurement. C’est ridicule et pourtant… sincère. Parce qu’au fond de moi, je le sais, je veux tout d’elle. Tout. M’imprégner de chaque nuance de sa présence, m’en nourrir, m’en abreuver, et ne jamais en manquer.
D’un mouvement tranquille, je m’accoude sur le matelas, tête contre paume, pour mieux la contempler. Dans le même élan, ma tentatrice se redresse pour se mettre de profil vers moi. Elle ajuste sa position, ses doigts effleurent ma peau avant de s’installer sur mon torse. Ses paupières, soulignées par ces longs cils noirs, sont lourdes, signe d’une fatigue latente. Sa soirée d’anniversaire bien alcoolisée combiné à son après-midi au boulot, sans compter le stress irrécusable suscité par mon retour et mes errances de la soirée, a dû l’éreinter. Et que dire de nos ébats amoureux.
Contrairement à moi, ma charmante partenaire tient plutôt de la marmotte que de l’oiseau de nuit. Chacun son petit plaisir, certes : je me lève aux aurores, elle traîne sous la couette comme si elle avait signé un pacte avec son oreiller. Je souris. Tirer cette polissonne du lit le matin relève presque de la mission impossible, sauf si, évidemment, je lui propose une belle et longue escapade sensuelle. Là, elle est toujours partante. Et moi, grâce à elle, j’ai appris comment dépenser mon énergie avec plus d’efficacité qu’une heure de course. En fin de compte, on y gagne tous les deux.
Je m’attarde un instant sur la finesse de son visage, si serein, et en même temps si envoûtant. Sa respiration calme et mesurée rythme notre intimité, et chaque inspiration fait écho à la plénitude qui me conquiert. Je savoure la vision de ses cheveux soyeux, délicatement éparpillés sur les coussins.
Elle sourit, ses traits se détendent. Notre connexion est indéniable. Je frôle de mes phalanges son cou, sa clavicule, la courbe de son épaule et de son sein. Son grain est satiné. Sa beauté est parfaite. Elle est faite pour moi.
Quand Victoria brise le silence presque palpable qui nous enveloppe, c’est d’une voix légère et posée :
— À quoi tu penses ?
Nos regards se croisent. Chacun capte les nuances subtiles de l’autre, laisse nos émotions parler plus fort que les discours. Une sorte de pression paisible, mais persistante, plane dans l’air, comme si notre étreinte était le prélude à quelque chose de plus significatif.
— À toi, lui dis-je sans détourner les yeux. À nous, aux dernières 24 h… et à celles qui vont suivre, et tout ce qui viendra après.
Ce disant, je coince quelques mèches blondes derrière son oreille, un geste presque instinctif pour dégager son visage, pour mieux l’admirer, pour lui montrer combien elle occupe chaque espace de ma pensée.
Victoria me scrute longuement avec une intensité à faire fondre la banquise.
— Tu n’as donc pas prévu de me lâcher d’ici là ? me taquine-t-elle avec son sourire angélique.
Je n’ai jamais été aussi sincère.
— Non, je ne te quitterai plus jamais, Vi…
Mes paroles sont graves et solennelles : je les pense de tout mon être. Son corps, blotti contre le mien, se fige imperceptiblement. Elle ne dit rien. Quelque chose dans son regard vacille. Une hésitation dans sa posture trahit un mal sous la surface. Elle retient une réflexion. Ma résolution a-t-elle réactivé une cicatrice encore fragile qu’elle croyait guérie, un souvenir amer qu’elle n’avait pas envie de ressusciter ?
Je la serre un peu plus contre moi, caresse son dos nu, cherche à apaiser cette tension à peine décelable, à calmer l’inquiétude que je devine derrière son silence. Elle cligne des yeux, détourne légèrement le visage, et, bien qu’elle s’efforce de maintenir l’apparence de la tranquillité, je sens bien que mon serment a réveillé quelque chose de plus ancien, de plus douloureux.
Et si ma confidence arrivait déjà trop tard ? Si elle ne suffisait plus ?
— À moins que…, je commence, ma voix se brisant sous l’émotion.
Je me mords la langue, hésite, mais je dois lâcher cette phrase, sinon elle m’étouffe.
— Oui ? m’encourage-t-elle, curieuse ou anxieuse, je ne saurais dire.
— À moins que tu n’éprouves pas les mêmes sentiments que moi à ton égard. Que tu me rejettes d’ici là. Que je te déçoive encore ou que tu réalises que tu mérites mieux que le peu que j’ai à t’offrir.
Les mots sortent enfin, presque malgré moi, et avec eux, une tristesse brutale. Ma gorge me brûle comme si chaque syllabe gravissait une pente escarpée. L’idée qu’elle puisse se lasser de moi, ou qu’elle s’aperçoive que je ne suis qu’une ombre dans sa lumière, un poids dans sa course, me ronge de l’intérieur. Et si je devenais exactement ce que je redoute le plus : une entrave, un obstacle à son bonheur ? Mon cœur bondit dans ma poitrine avec une vivacité que j’ai du mal à dissimuler, tambourinant tel un moteur en surchauffe prêt à éclater hors de ma cage thoracique.
Pourquoi est-ce si difficile ? Pourquoi faut-il toujours que je me batte contre ce doute implacable, ce spectre de ne jamais être assez ?
Encore une fois, elle reste muette, baissant la tête, se perdant dans l’examen de mon torse. Les secondes tombent une à une, lentes et pesantes, pareilles à des gouttes d’eau dans le silence.
Elle réfléchit, j’en suis sûr. Mais à quoi ? Pourquoi est-ce que ça me terrifie autant ?
Elle finit par se redresser, hausse légèrement les épaules, prend une grande inspiration. Son souffle soulève à peine l’air entre nous, mais il me frappe comme une rafale.
L’appréhension s’empare de mon esprit. J’ai l’impression d’être perché sur une falaise face au vide, immobilisé par un océan de vertige. Une tension subtile s’installe dans mes muscles, de celle qui précède une révélation importante, ce moment où tout peut basculer d’un côté ou de l’autre.
Ses pupilles, maintenant si brillantes, reviennent se poser sur moi. Elles débordent de douceur, mais aussi d’une force tranquille. Cette force qu’elle seule sait invoquer, même lorsque je me sens prêt à céder.
— Je ne vais pas te rejeter, James, si c’est ce qui t’inquiète, commence-t-elle. Si telle était ma décision, je ne serais déjà plus là ce soir.
Chaque mot semble s’échapper de ses lèvres telle une promesse. Et pourtant, je suis incapable de me détendre.
Pas encore. Pas tant que je n’aurai pas tout entendu.
Un instant, elle détourne son attention par-dessus mon épaule. Sa main remonte délicatement le long de mon bras, elle s’accroche à cette réalité, à moi.
— Je sais que tu as tes failles, que tu as tes luttes… Ce que tu imagines être des faiblesses, ce sont les aspects qui te rendent humain. Je ne veux pas d’un homme parfait. Je te l’ai déjà dit.
Elle marque une pause, déplace ses paumes sur mon torse, ébauche des cercles et des lignes paresseuses, comme si elle tatouait ses réflexions sur ma peau avec la pulpe de ses doigts. Le contact me fait frissonner.
— Je veux que ce soit réel. Pas juste ce moment… mais tout ce qui en découle. J’aimerais que ce soit plus qu’une parenthèse, ou une illusion pour nous faire croire qu’on peut tout réparer en une seule nuit. Il y a encore des choses que je ne comprends pas tout à fait, des parts de toi que je ne connais pas. Je sais que tu me caches des vérités, que tu ne m’as pas tout dit. Non, attends, s’empresse-t-elle d’ajouter alors que je m’apprête à lui répondre. Je n’exige pas que tout soit révélé maintenant. Les sentiments se construisent avec le temps. Il nous en faudra, à tous les deux. Je te soutiendrai, mais j’ai besoin de savoir… si ça en vaut vraiment la peine.
Ses mots résonnent, lourds de sens. Je respire profondément, pour intérioriser toute la portée et la gravité de sa requête, toute la charge de ses attentes, ses espoirs. Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Est-ce que je vais pouvoir lui offrir cette vérité, ce temps, cet engagement ?
Elle n’a pas peur des failles. Elle veut du solide, du durable, au-delà des blessures.
— Victoria, ce que je ressens pour toi est réel. Depuis le début, depuis toujours.
— Ce que j’ai besoin de savoir, c’est si tu seras là. Pas parfait, juste présent. Que tu ne vas pas finir par m’abandonner, t’enfuir et me laisser en plan encore une fois !
Je déglutis, ravale la boule qui s’est formée dans ma gorge. Elle m’enjoint à baisser le bouclier que je dresse instinctivement depuis Amy.
— Je serai là tant que tu m’y autoriseras, Vi, déclarè-je avec gravité.
Un bref silence guette, ses yeux fouillant les miens à la recherche d’une certitude.
— Tu es vraiment prêt à t’engager ? demande-t-elle presque timidement.
— Oui, je souffle, sans hésiter.
Je soupèse sa réaction, tente d’évaluer l’impact de mes paroles. Ma poitrine bat à un rythme assourdissant, et une pensée s’impose, crue et impitoyable : ce ne sont pas mes sentiments qui me terrifient, mais ce qu’elle en fera. La façon dont elle pourrait gérer cette vérité, l’influence qu’elle pourrait avoir sur nous. C’est ce qui me hante plus que la peur de la déception elle-même.
Victoria déplace ses doigts jusqu’à ma joue. Avec une note perceptible de tristesse dans la voix, elle m’avoue :
— Je ne veux pas revivre la douleur du passé. Mais je suis prête à essayer. Tu devras faire tes preuves, James. Je serais compréhensive et patiente… mais intransigeante. Tu entends ?
Je glisse une main dans ses cheveux, la rassurant autant que je me rassure moi-même.
Moi non plus, je ne souhaite pas ranimer le traumatisme vécu, celui où tout semblait parfait jusqu’à ce que la trahison ne me coupe l’herbe sous les pieds, fauchant mon cœur comme on déracine un arbre sans pitié. Victoria n’est pas Amy. Je le sais, et pourtant…
Je colle mon front au sien en fermant mes paupières. J’ai besoin qu’elle soit mon refuge après la tempête, mon jardin d’Éden avant le serpent. Mais si elle est Eve, que sera la pomme ? Non, je dois arrêter d’éroder mes certitudes, contrecarrer les souvenirs qui déforment ma vision.
Je chasse les ombres qui dansent dans les recoins de ma mémoire, je les remise, je les défie, je les enterre. Puis, je serre cette femme extraordinaire. Mes ongles s’enfoncent dans la chair de sa hanche. Elle n’est que chaleur et douceur, lumière et loyauté. Elle ne me trahira pas… sauf si je l’y pousse. Sauf si je faiblis, manque à mes principes, à ma promesse. Sauf si je laisse la drogue reprendre ses quartiers.
Je m’y refuse ! Rien ne me fera plus dévier de la trajectoire de son cœur. À part elle.
Je crois que je lui fais mal, car elle pose sa main sur la mienne et entremêle nos doigts ensemble. Quand je rouvre les yeux, je lis dans les siens la sincérité de ses intentions.
— Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais j’aimerais qu’on écrive la prochaine page tous les deux. Au fond, j’espérais… Non…
Elle secoue brièvement la tête avant de poursuivre :
— Non, j’attendais que tu me reviennes.
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