CHAPITRE 40.1 * VICTORIA
TOME 2
24 H POUR SE DÉCLARER
PARTIE 3
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DES PIQUES ET DES CŒURS
PERSÉPHONE ET HADÈS
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V.R.S.de.SC
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Ses satanées mèches vont avoir ma peau. Sérieusement. Je devrais peut-être enterrer mon envie de chignon flou et capituler, offrir à mes cheveux leur autonomie tant convoitée… Non. Mauvaise idée. La soirée s’annonce mouvementée et je refuse de passer mon temps à batailler avec des boucles rebelles qui viendraient me chatouiller la nuque comme des tentacules en quête de vengeance. Si je veux survivre sans irritation chronique, je dois discipliner cette crinière infernale. Haut perchée, hors d’atteinte. Les relever, c’est la seule option viable.
Je m’échine donc à dompter cette tignasse récalcitrante, à y imposer un simulacre de contrôle sous couvert de négligence étudiée. C’est à se demander si elle n’a pas plus de caractère que moi aujourd’hui ! Ou alors elle me fait une crise de jalousie parce que j’ai laissé James s’en occuper ce matin… C’est ça que tu attends, n’est-ce pas ? Que le beau gosse affalé dans mon canapé me file un coup de main ? Bah, tiens, un caprice capillaire de haut vol. Rêve toujours. Pas besoin d’un prince charmant pour me sauver de mes propres galères, je vais me débrouiller seule, comme une grande. Bien que… ses doigts, si sûrs, si experts, si énergiques, si… si jamais il me proposait de les utiliser ailleurs que… non, mais, stop les fantasmes, Vic ! Mauvais timing.
Je soupire, résignée, en enroulant une boucle folle autour de mon index. C’est peine perdue… Elle s’obstine, insolente, à défier les lois de la gravité, à se désolidariser de ma volonté. Si elle avait une âme, elle me rirait au nez. Je peste.
Adieu l’effet « sortie de lit » chic et sexy. Place à la catastrophe naturelle version « j’ai dormi sous un buisson et survécu à une tempête tropicale ». Chaque mèche a décidé de jouer les divas, de s’insurger contre mon autorité. Là, c’est plus une coiffure, c’est une mutinerie en spirale. Mais zut aussi ! Je refuse d’abdiquer. Ma mise en beauté doit conjuguer l’aérien et le sophistiqué, la désinvolture et le glamour, un chaos maitrisé suffisamment souple pour magnifier la couronne de tiges, branches et roses que je vais porter, tout en restant assez structurée pour ne pas que tout fiche le camp avant minuit. Après tout, je suis Perséphone, la Reine des Enfers, tirée à quatre épingles et résolument divine. J’ai une stature à préserver, une aura à incarner. Je ne peux décemment pas ressembler à une sauvageonne sortie des ronces.
Je resserre une dernière barrette, croisant les doigts pour que ce miracle de construction tienne au moins jusqu’au premier quart d’heure.
Une voix grave me parvient du salon.
— Tu t’en sors ?
Bien sûr que non, je râle dans ma tête, en enfonçant une énième tige en métal dans mon crâne. Voilà que je me fais mal maintenant. Des larmes me titillent. Je jure de plus belle. Silencieusement.
— Non, ça va. Je suis juste en train de faire un parcours du combattant, quelques obstacles, rien de bien méchant… Si je sors vivante, c’est un miracle. Sinon, tu peux m’envoyer des fleurs.
Ou programmer ma mise en bière à défaut de mise en plis… Ma main disparait dans ma trousse à accessoires, avec la détermination d’un chirurgien au cœur de l’urgence.
— À moins que tu m’aies caché des talents d’architecte capillaire, je lance, sarcastique.
Ma superbe idée de « coiffé-décoiffé » s’envole minute après minute. Pourquoi est-ce que l’univers semble toujours se liguer contre mes plans ? Ce n’est pourtant pas la première fois que j’essaie ce chignon, alors pourquoi ai-je l’impression d’avoir deux mains gauches aujourd’hui ? Et pourquoi, pour l’amour du ciel, suis-je incapable de rester calme ? Allez savoir.
Je perds patience, ma frustration me noue la gorge et mes yeux, humides d’émotions, sont sur le point de déverser leur trop-plein. Je jette un coup d’œil à mon reflet, qui me renvoie un air de défaite. Au moins, ma peau est impeccable, c’est mieux que rien. Pas de rougeurs ni de tiraillements. Mais eux, là, ils me narguent ! Ils me catapultent en plein Mission Impossible. Bon sang… C’est stupide, vraiment, et ridicule aussi… Mais il me faut cette perfection capillaire pour ne pas me sentir démunie. Ce soir, plus que jamais, chaque détail doit être irréprochable.
Allez, on respire, c’est juste une coiffure. Pas de quoi en faire un drame… enfin, en théorie. À condition de ne pas devoir sauver le monde dans l’intervalle. Mais à choisir, je sais que mes priorités seraient claires. Au diable ce chignon !
James apparaît soudain dans l’embrasure de la porte. Son regard glisse sur ma silhouette, générant un frisson le long de ma colonne vertébrale, cependant trop timide pour atténuer mon sentiment de déception.
— Oula, oui, je capte le problème…, commente-t-il, l’air interdit.
Voilà ! C’est bien ce que je me disais : c’est une catastrophe ! Je lâche un long soupir, totalement désenchantée. Un gloussement discret se fait entendre derrière moi. Je jette un coup d’œil à James à travers le miroir. Sa main posée sur le chambranle, son corps légèrement incliné vers l’avant, ses muscles saillants, visibles sous son t-shirt blanc… Cet homme me fait perdre le fil de mes pensées. Mais, matez-le, lui ! Impeccable. Sexy à en faire pâlir les anges, alors qu’il n’est même pas coiffé du tout ! Qui a dit que le karma était équitable ? Ça me rend folle. Le monde entier m’insupporte, cette foutue crinière m’agace !
Il glisse son poing dans sa poche, se frotte le front et fixe le sol. C’est moi, où il se retient de rire ? Je suis à deux doigts de taper du pied par terre comme une gamine de cinq ans et d’envoyer valser ces saletés de barrettes traitresses qui ne servent strictement à que dalle ! Mais, alors, je contemple mon reflet et mes épaules s’abaissent et un autre soupir désabusé s’échappe de mes lèvres.
— Tu sais, même les reines des enfers ont leurs jours sans. Sur un malentendu, ça peut passer…
Qu’est-ce qu’il en sait lui ? Je relève la tête et le toise intensément, mes yeux crachant des minis éclairs invisibles. C’est plus qu’exaspérant de voir à quel point il semble s’amuser de ma situation. Mais, puis-je lui en vouloir ? Non. C’est un désastre. Ni plus ni moins.
Néanmoins, je ne vais pas me laisser démoraliser davantage. Mais, en attendant… lui, là, il m’insupporte.
— C’est facile à dire pour quelqu’un qui ne se bat pas contre ses cheveux ! bougonnè-je.
Je suis à deux doigts de me jeter sur sa propre tignasse, histoire de lui arracher ce sourire suffisant et de faire taire cette arrogance qui me hérisse les sens ! On en reparle de ses dents d’une blancheur éclatante, comme si le soleil lui-même avait pris place sur ses lèvres ? Ce type.... Avec son charme à la star hollywoodienne, il réussit à faire palpiter mon cœur tout en m’irritant. Je pivote pour lui faire face, les bras croisés sur ma poitrine adoptant une attitude de défi et une mimique de nonchalance glaciale, même si je sens la chaleur colorer mes joues. J’en pince pour lui, c’est normal, OK ?
— Puisque tu aimes jouer les spectateurs aguerris, pourquoi tu ne m’aiderais pas au lieu de rester planté là, Monsieur le commentateur du dimanche ?!
Bon, je dois avouer, j’y vais un peu fort, mais c’est lui qui a commencé. James pénètre d’un pas feutré dans la pièce et se campe devant moi.
— Je pourrais, dit-il hésitant légèrement.
Sa voix traînante, basse et — presque — sensuelle, fait naître des papillons dans mon ventre.
— Mais tu devras te soumettre à mes doigts habiles, déclare-t-il avec un sourire carnassier.
Je ris sous cape. Je parie qu’il n’a jamais coiffé une femme de sa vie. Certes, ce matin, il m’a lavé les cheveux, mais ça ne prouve rien. Je doute de ses compétences en la matière. Mais, soit. De toute manière, la situation ne peut pas être pire, si ?
— Très bien. Alors, vas-y, l’expert ! je lui lance sur le ton du défi.
Si James réussit à me sortir de ce guêpier, un remerciement pourrait être envisageable. Dans l’état actuel des choses, il me donne surtout envie de l’envoyer sur les roses avec son air prétentieux, son rictus ravageur et ses manières de grand chevalier. Ses doigts habiles, hein ? J’attends de voir ça !
Mon prétendu « sauveur » s’avance encore, arborant maintenant un regard sérieux et concentré, comme s’il était vraiment en mission. C’est mignon en vrai. Oh ! Je vais pas me laisser berner aussi facilement. Je décroise les bras et appuie mes paumes derrière moi contre le mobilier. Ses doigts s’affairent avec délicatesse, démêlent par-ci, réajustent par là. Leur contact est… agréable. Ne pouvant voir ses gestes, je me retiens de juger. Mine de rien, il semble parvenir à maîtriser son sujet.
À mesure que je me détends, sentant mes muscles se dénouer petit à petit, James attrape mes hanches et, avec une aisance déconcertante, me soulève pour me poser sur le meuble vasque. D’une main, je m’agrippe au rebord, de l’autre à son épaule, pour éviter de dégringoler.
— Qu’est-ce que tu fais ? lui demandè-je, la panique m’étreignant la gorge.
OK, là c’est officiel, ce beau mâle a une idée en tête. Et il est sur le point de la mettre en pratique. Ma bouche s’assèche immédiatement.
À quelques centimètres des miens, ses sublimes yeux azurs, brûlants et perçants, me détaillent avec une intensité accrue. Je me presse un peu plus contre lui, mes cuisses épousant son bassin. Mon plus-tout-fait-coiffeur me soutient d’une poigne assurée. Si la proximité me désarçonne, il en joue comme un violoniste avec son archet. Je n’ai même pas le temps de réfléchir avant de réaliser… à quel point je suis proche de lui. Et de cette virilité qui m’envahit… Bon sang, il… Nous… Oui. Mon corps se liquéfie.
— Comme tu l’auras deviné, ma petite fée capillaire, je n’ai aucun talent pour ce genre de prouesses techniques, argue-t-il en esquissant une expression charmeuse.
Je m’en doutais, oui…
— Mais je peux te dire une chose : tu es absolument magnifique et ta coiffure est parfaite. À la fois étudiée et négligée. Digne d’une couverture de magazine.
Sous la lumière blanche de la salle de bain, ses pommettes saillantes, l’ombre de sa barbe de trois jours, la courbure de ses cils épais dessinent des contours fascinants, donnant à son visage une insolence féroce. Son sourire devient une invitation à la provocation. Mon cœur accélère, mais je hausse un sourcil pour dissimuler mon trouble.
— Oui, enfin, c’est juste ton avis. Ça ne veut pas dire que je dois te croire sur parole, raillè-je en grimaçant.
Il pourrait me redire que je ressemble à une déesse — pour le coup, tant mieux c’est l’idée du jour — que je ne serais toujours pas convaincue. Le pire, c’est que son compliment m’émoustille, effritant un peu plus ma maîtrise de moi.
— Très bien, si tu refuses de me prendre au sérieux, tant pis pour toi. Mais j’ai une proposition qui pourrait t’intéresser.
Ce regard énigmatique… encore un de ses tours. Quant à sa bouche… Il sait pertinemment que je vais céder.
— Tu as peur que ton joli chignon ne tienne pas, c’est ça ?
Ah, quelle perspicacité… Maintenant qu’il le dit, tout devient clair.
— Vraiment, merci pour la précision, Sherlock, ironisè-je. En fait, je suis en train de régler un problème de physique quantique, James. Un vrai casse-tête.
Il glousse. Tu parles d’une aide précieuse. C’est ce foutu chignon qui me rend folle, pas du tout cette situation qui part en vrille avec toi à deux souffles de moi. Et ton sexe qui pulse contre le mien. Non, ça, c’est rien qu’un détail confortable…
— Tu me fais confiance, Victoria ?
La pièce, pourtant familière, semble soudain trop petite, l’air trop lourd. Je hoche la tête en déglutissant, parce que, Mon Dieu, à l’instant où il prononce sa question, une vague d’anticipation submerge mes sens et mes pensées, mon bas-ventre se serre tandis qu’une douce chaleur s’y propage comme un courant électrique prêt à éclater.
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