32 – Ne brise pas mon cœur

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Yahel ruminait sous sa casquette. Des semaines de perdues.

— Voilà votre café, madame. Ça fera cinq unités.

Le gérant ne bougea pas de sa place, resta figé devant elle.

— Madame ? Désolé d’insister mais… Je sais, cela a encore augmenté.

— Ah oui, pardon.

Elle sortit l’argent, le lui donna, compta le reste.

— On a encore de quoi tenir ?

Marc, qui revenait d’une conversation avec des habitués.

— Ça ira encore, mais ce n’est pas ce qui m’inquiète. Et de ton côté ?

— Pas grand-chose. J’ai joué de malchance. Pas moyen de tomber sur des amateurs de cancans ou d’infos croustillantes. Comme beaucoup, ils vivent dans leur petite bulle, et peu importe le reste.

Elle soupira, jetant nonchalamment un œil sur l’écran au-dessus d’elle, diffusant des programmes insipides, avant de se reconcentrer sur son café.

— Un café, s’il vous plaît ! J’en ai besoin aussi, expliqua-t-il à l’attention de Yahel suite à son regard en coin.

Chuintement de la machine, tasse bringuebalant… Des cris. Un hurlement rauque, infini. Celui d’une bête qu’on égorge. Intriguée, tout en portant la tasse à sa bouche, elle dirigea son regard vers la source de ce son incongru, détonnant du reste. Vers l’écran.

Et elle vit.

Ses yeux s’agrandirent, sa bouche s’ouvrit, sa tasse sur le point de tomber de sa main.

La main de Marc pressa fortement son bras.

— Non, pas ici, gronda-t-il tout bas.

— Et voilà, monsieur… Oh, c’est pas vrai, encore ça !

Le gérant attrapa une télécommande, coupa le son, sans porter attention à sa cliente se frottant rapidement le visage dans sa manche.

— Excusez-moi, je changerais de chaîne si je le pouvais. Quelle idée de passer ça en boucle… C’est démoralisant. Je veux bien qu’on punisse les criminels, mais il y a des façons de faire. Là, c’est…

Il lâcha une expression de dégoût.

— Ma fille est tombée dessus, et depuis elle n’arrête pas de faire des cauchemars. Elle l’entend crier, la nuit. Et elle n’est pas la seule… Bande de malades.

— Vous ne craignez pas qu’on vous embête, avec des propos pareils ?

— Non. Regardez-les, dit-il en désignant une table du fond avec des soldats en combinaison noire. Ils l’aiment trop, mon bistro. Eux-mêmes viennent s’y défouler un peu.

— C’est quoi, en fait ?

Yahel, d’une voix sourde, le visage caché sous sa casquette.

— Vous ne savez pas ?

— On était en voyage, expliqua Marc. Un petit moment juste tous les deux, isolés du monde…

— Je vois ! Vous avez bien raison… Ils avaient annoncé une allocution surprise concernant l’avancée de la guerre contre les terroristes au lion. Je croyais que c’était terminé après l’annonce de la défaite de son armée de dragons. Mais ils ont diffusé ça en exclusivité, et seuls étaient conviés les militaires, les familles et amis des soldats morts au combat et des victimes de guerre. Tout cela en direct sur le parvis extérieur de la prison de la ville de M.

— Quand ?

— Oh, il y a bien trois ou quatre jours de ça…

Ils se forcèrent à finir leur café, l’air de rien, avant de partir. Il eut un goût bien amer.

Ils retrouvèrent Mylène à la camionnette.

— On sait où aller.

Ils se connectèrent à leur réseau sur l’appareil acheté au début de leur périple, trouvèrent, puis montrèrent la vidéo à Mylène, qui se couvrit la bouche d’effroi, larmes aux yeux.

Yahel tapa du poing sur le tableau de bord.

— Dites-moi qu’il n’est pas trop tard.

Elle avait été appelée, convoquée directement dans la pièce d’interrogatoire, y entra accompagnée d’un geôlier armé de son chariot. Il y traînait encore cette étrange odeur, en plus de celle du sang et de la sueur. Une odeur présente chaque fois qu’on la chargeait de débarrasser un corps. Cette pestilence, elle s’y était habituée, à la longue.

Il était encore là.

— Vérifie qu’elle est bien morte.

Elle obéit, se doutant déjà de la réponse. Ça aussi, elle s’y habituait, hélas.

Elle s’approcha du corps gisant en vrac dans un coin, s’agenouilla, l’ausculta, cherchant les signes de vie. Elle avait déjà reconnu qui c’était.

Pauvre femme. Quoi que tu aies fait, personne ne mérite de finir comme cela. Mais tu avais raison sur le sort qui t’attendait, au final.

Mais ?

Elle écarquilla les yeux.

— Alors, tu as fini ?

Elle resta la main devant la bouche de la gisante.

— Oui… C’est terminé.

— Bien. Débarrassez-moi de ça.

Elle invita le geôlier venu l’aider à la prendre par les pieds pour la mettre sur le chariot.

Pourvu que…

— C’est confirmé : pas de caméra de surveillance, ni de garde permanente de ce côté-là. Juste une ronde à heure régulière. Ils se méfient peu. C’est juste leur cimetière. C’est après qu’il faudra la jouer fine.

Marc rangea son petit appareil. Yahel opina.

— Alors on y va. Je passe en premier, j’ai plus l’habitude.

Elle passa par-dessus le mur, vérifia qu’il n’y avait personne, s’avança. Une prison avec son propre cimetière… C’était d’un autre âge. Toutes ces plaques avec tous ces noms. Toutes ces autres anonymes… Elle s’interrogeait sur les vraies raisons de leurs morts, et comment, vu la quantité. N’est-ce pas là, d’ailleurs, qu’ils devraient chercher ? Dans les tombes fraîchement retournées ?

Du bruit. Une porte s’ouvrant.

Merde !

Elle fonça se cacher derrière un arbre.

Un homme tirait un chariot transportant un corps. Une nouvelle victime, apparemment. Une femme le suivait. Lui avait l’air d’être un des matons. Pas elle, vu leurs tenues.

Il va falloir attendre !

Elle fit signe à Marc de se faire discret.

L’homme avança le chariot près de trous déjà creusés, le fit basculer jusqu’à ce qu’en tombe le corps.

— Mets-là dedans. Commence le travail. Moi je vais pisser, en attendant, l’entendit-elle dire. Moins je les touche, mieux je me porte. Et ne tente rien, je t’ai à l’œil !

Il se dirigea en grommelant vers le fonds du cimetière, droit vers le mur.

Après tout, un de moins, c’est toujours ça de pris, et on n’a pas de temps à perdre ! On doit dégager le véhicule avant la prochaine ronde.

Il passa devant Yahel sans la voir, le jeu d’ombre du coucher de soleil aidant. Elle le suivit sans bruit, attendit qu’il se positionne contre le mur. Il faisait partie des siffleurs.

La femme profita qu’il avait le dos tourné pour s’agenouiller près du corps à terre. Elle la mit doucement en position de survie.

Et oui, elle avait raison. Mais comment faire ? Quoi faire ?

Elle s’assit carrément par terre, prit sa tête sur sa cuisse, désespérée, pendant que le geôlier sifflait tranquillement pendant sa petite affaire. Que faire d’autre, sinon l’accompagner doucement vers son dernier souffle.

La chansonnette se coupa d’un coup. Sous ses yeux, le corps de l’homme s’écroula.

Une silhouette s’approchait. Une femme, couteau à la main, menaçante, un doigt sur la bouche pour lui intimer silence. Une autre ombre la suivait de loin.

Elle n’osa bouger, ne sachant si elle devait avoir peur ou non.

Ils n’ont rien qui les identifie, mais qui d’autre ?

Après tout, qu’est-ce que je risque ?

— Je vous en prie, elle respire encore…

Elle sortit le pendentif de sa poche, et tenant la chaînette dans son poing, elle le brandit.

— Elle m’a donné ça. Dites-moi ! Dites-moi que vous êtes de son groupe ! Dites-moi que vous êtes venus la chercher !

Yahel regarda la femme assise au sol, une main posée sur le visage du corps sur sa jambe, comme en protection, brandissant de l’autre ce qui semblait être un bijou. Elle s’approcha, se figea. Elle venait de reconnaître le sigle se balançant sous le poing de la femme. Elle s’intéressa alors au gisant, nu, amas de chair informe et d’os, couvert de croûtes de sang, les jambes tordues, difformes, le haut du dos n’étant plus qu’une plaie béante sentant le brûlé…

Impossible !

Elle ne voulait pas y croire.

Elle se mit à genou, le cœur lourd, approcha sa main de la tête de la pauvre âme. La femme avait reculé sa propre main pour laisser celle de Yahel passer dans ses cheveux ensanglantés, la prendre par la nuque et la soulever pour amener son visage vers elle.

Non !

Elle retira le bandeau recouvrant encore ses yeux. Une respiration très faible se fit entendre. Trop rare, un murmure sifflant.

— Marc !

Il guettait les alentours, mais réagit aussitôt, tourna la tête quand elle l’interpela d’une voix sourde.

— Marc, viens m’aider…

Il s’approcha, inquiet du ton de son appel, et il comprit.

— Oh non !

Il sortit une couverture de son sac à dos. Yahel s’essuya les yeux avec sa manche. Puis tous les trois, avec mille précautions, ils la posèrent sur la couverture, l’emportèrent dedans en direction du mur, se demandant comment la faire passer par-dessus sans l’achever. Ils y arrivèrent tant bien que mal, ou par miracle.

Marc fit signe à Mylène de rapprocher la camionnette. Ils l’installèrent à l’arrière.

La femme tendit le pendentif à Yahel pour le lui rendre.

— Si elle vous l’a donné, gardez-le. Mais vous, voulez-vous venir avec nous ?

— Non, je serais plus utile ici. Et là tout de suite, j’ai quelque chose à faire.

Elle la regarda, surprise.

— C’est mieux s’ils continuent à croire qu’elle est morte, non ?

Yahel hocha la tête avant d’aider la femme à repasser de l’autre côté du mur.

— Je prends le volant. Mylène, on a besoin de toi à l’arrière, fulmina Marc.

Yahel grimpa à la suite de Mylène, claqua la portière, ôta le pan de couverture recouvrant Tara.

— C’est pas le moment, râla-t-elle après Mylène quand elle la vit reculer, blanche comme un linge, retenant un haut-le-cœur. Prends la trousse et fait quelque chose !

— Excuse-moi, coassa-t-elle, c’est que… je n’ai jamais eu à gérer des cas si graves. Je ne suis pas celle qui passe en premier pour les soins. Je ne sais même pas par où commencer… Mon dieu, mais qu’est-ce qu’ils lui ont fait ?

— Ne me demande pas ça à moi…

Elle attrapa une grosse pince dans une caisse à outils.

— Commence par m’aider à virer ces chaînes.

Mylène, devant les yeux de Yahel en rage et en larme, calma les siennes et tenta ce qu’elle put.

— Merde ! Contrôle. Planquez-vous !

Mylène éteignit le réanimateur. Elles se couchèrent, rabattirent la bâche, retinrent leur souffle. Une voix demanda à Marc ses papiers d’identité. Yahel laissa une main sur Tara, espérant que cet interlocuteur n’ait pas l’oreille fine, qu’il n’entende pas les rares sifflements de sa respiration…

L’agent en combi noire jeta à peine un œil vers l’arrière, mécaniquement, blasé. Il lui rendit ses papiers, les ayant à peine regardés. La vieille ruse des documents falsifiés avait encore marché. Marc put redémarrer.

— J’adore les coups de bol comme ça, maugréa-t-il.

Il se demanda s’il n’avait pas parlé trop vite en entendant le son lugubre émis par le réanimateur lorsqu’il fut rallumé, puis celui du choc envoyé dans le corps massacré, la voix de sa compagne priant.

— Allez… Reviens !

Bien qu’un signal faiblement régulier suivit, dès qu’ils furent en rase campagne, il prit le risque d’accélérer au maximum.

Ils retrouvèrent leur van, parcoururent encore plusieurs kilomètres pour s’éloigner suffisamment de la frontière avant de lancer leur appel de détresse. On leur envoya l’hélidrone à un point de rendez-vous d’autant plus éloigné. Les compagnons à bord avaient apporté du matériel plus costaud. Ils furent tout de même atterrés devant la réalité.

— J’ai dû la réanimer une fois… J’ai pas pu faire grand-chose de plus, leur expliqua Mylène.

— C’est toujours mieux que rien. Vous montez ?

Seul Marc resta pour ramener leur van.

— Je fais au plus vite, dit-il à Yahel.

Et la course contre la montre continua.

Yahel leur confia Tara, assista, impuissante, à leurs efforts pour la sauver. Ils lui mirent un masque pour l’aider à respirer, poursuivirent le nettoyage de son corps pour y voir plus clair, l’ausculter, la scruter de tous les côtés. Ils la couvrirent d’une couverture spéciale, transmirent des informations aux collègues qui les attendaient.

Ils gagnèrent un temps précieux, rejoignant le nouvel hôpital en quelques minutes, alors que cela leur aurait pris des heures par la route.

Elle resta auprès de Tara, la suivit quand, à l’atterrissage, d’autres vinrent la prendre. Ils appliquèrent quelque chose sur les brûlures de son dos, la positionnèrent doucement à plat, continuèrent leurs gestes précis tout en échangeant un obscur discours. Sous ses yeux, ils lui écartèrent les bras, firent un trou sur le côté de sa poitrine, qui se souleva d’un coup, prenant une longue inspiration sifflante, reprenant vie.

Deux minutes plus tard peut-être, elle entendit des plaintes et des gémissements rauques provenir de son amie. Elle s’avança, alors que son bras commençait à bouger, le poignet à la chair marquée, rouge sanglante, par les entraves de métal, tout comme autour de ses chevilles, les doigts aux ongles absents, bouts de chair informes. D’un geste volontaire ou non, cette main nue, inerte au bout de ce membre agité, repoussa le masque l’aidant à respirer, dévoilant un autre masque, celui de la souffrance. Alors qu’ils lui faisaient une énième piqûre, son œil s’ouvrit à peine. Ses lèvres craquelées, bleu violines, bougèrent, remuèrent, articulèrent des mots silencieux. Elle s’approcha plus près pour lui caresser le visage.

Elle l’entendit murmurer.

— Tuez… moi…

Yahel ferma les yeux, espérant avoir mal entendu, mal compris.

Puis Tara se mit à tousser, cracher, éjectant des gouttes de sang. Une alerte sonore, lugubre, s’enclencha, alors que son œil se refermait et que son corps semblait se relâcher. Son corps, qui sursauta une nouvelle fois lorsqu’ils tentèrent de la réanimer.

— On l’emmène.

L’un des médics lui bloqua le passage. Elle n’eut d’autres choix que de les laisser l’emporter.

Atterrée, elle fixait le corps de Tara à travers la vitre donnant sur sa chambre. Ce corps d’où sortaient des tuyaux la reliant à des machines, des poches. Ce corps trop maigre, si pâle par endroit, là où il n’était pas marqué par les coups, les brûlures et les lacérations, là où il n’était pas recouvert de bandages, gazes et autres emplâtres, ou maintenu dans des carcans de plâtre et de métal. Son cou, où une large et horrible emprunte avait noirci tout autour, hématome barré par un pansement recouvrant une brûlure. Son visage, tuméfié par endroit, et d’où un tuyau sortait de sa bouche. Sa poitrine se soulevant au rythme d’une des machines…

Un compagnon vint lui parler, tenta de lui expliquer. Elle se tourna vers lui.

— On a paré au plus pressé, pour le moment. Elle est dans le coma. Si elle en sort seule, nous l’y maintiendrons. Il faut qu’on l’aide un peu, et aussi à cause de la douleur qui lui serait insupportable.

Il lui cita alors la longue litanie de tout ce qu’était aujourd’hui le corps de Tara. Des mots effrayants, témoins de la cruauté qu’il a subit. Affamée, droguée, côtes cassées, poumon perforé, os brisées à plusieurs reprises, les jambes surtout, tendons sectionnés, déchirés, hémorragies internes, brûlures, trauma crânien…

Plus la liste s’allongeait, plus quelque chose s’effondra en Yahel, se glaça.

— Je ne sais pas comment ils s’y sont pris, mais on dirait qu’on l’a passé sous un compresseur. On lui aurait roulé dessus, ce serait pareil. C’est étonnant qu’elle soit encore en vie après tout ça.

Elle se retourna vers la vitre.

— Pour le moment, il faut attendre. Attendre de voir les prochaines 24h. C’est un premier cap. Si elle le passe, d’autres opérations seront nécessaires. Nous ferons tout ce qu’il faut. Mais je dois être franc, pour que vous compreniez bien. Nous pouvons l’aider en réparant son corps du mieux possible, mais dans tous les cas, on ne sort pas indemne d’un tel traitement… Même si elle s’en sort, entre les traumas crâniens, son cerveau qui a dû manquer d’oxygène, nous ignorons combien de temps, sans parler du choc psychologique, il y a très peu de chances que vous retrouviez celle que vous avez connue.

— Merci, dit-elle après avoir dégluti.

Elle attendit son départ. Une fois seule, elle mit un bras sur la vitre pour y appuyer son front, son autre bras serrant le poing. Ses yeux la brûlaient.

— Pardon d’avoir tant tarder… Pardon de…

Elle se rappela.

“Ce n’est pas de la mort dont j’ai peur, c’est du passage”… “Hors de question de venir nous chercher”… “Elle l’entend crier la nuit, elle n’est pas la seule”…

Son poing cogna doucement la vitre.

— Pardon…

Marc la retrouva assise par terre contre le mur, rivés dans le vide.

Des yeux noir de jais fixaient Yahel à travers l’écran.

— Je vois… Reste auprès d’elle, et tiens-moi au courant.

Yahel opina, éteignit. Marc, de retour, vint l’aider à s’installer un camp dans la chambre de Tara.

— Où est Mylène ?

— Elle est partie. Elle ne pouvait rien faire de plus. Et d’autres cas l’attendaient, plus dans ses cordes… Mais je crois qu’elle a été sérieusement ébranlée.

Elle haussa les épaules, puis l’oublia, se concentrant sur son amie.

Elle resta auprès d’elle les heures qui suivirent, des heures qui devinrent des jours, puis des semaines. Des marques disparurent de son corps. D’autres stigmates évoluèrent, pour disparaître à leur tour. Ils l’emportèrent pour d’autres opérations.

Simon finit par donner des nouvelles. Il rentra, comme d’autres rescapés avant lui, amaigri et en piteux état. Simon dans une colère noire, enragé de son humiliation, assoiffé de vengeance. Il garda pour lui ce qu’il avait vécu, expliqua juste avoir trouvé refuge chez un vieil homme vivant seul dans une forêt, le temps de reprendre ses esprits, puis être rentré seul, à pied, besoin de s’éloigner, croyant avoir tout perdu.

— Pardonne-moi, la pria-t-il, alors qu’ils n’arrivaient pas à se lâcher, s’étreignant, se réconfortant, entre la joie de se retrouver et la peine pesant sur leurs épaules. J’ai tardé à rentrer. J’avais besoin de temps, je croyais que… Et puis, j’ai su, en passant dans une communauté… Elle est là ? C’est vrai ?

Une fois entré dans la chambre, elle vit son expression changer complètement, hélas passer de l’étonnement au désespoir. Il s’effondra.

Au fil du temps, Tara retrouva une apparence plus proche de ce qu’elle était autrefois. Ils lui enlevèrent définitivement le respirateur, la laissant respirer seule avec masque, puis sans. Ils traitèrent ses brûlures au dos et devant, bien heureux qu’elle ne soit pas consciente pour cela pour le moment. Certains plâtres furent ôtés, l’énorme pansement enveloppant son crâne disparut. Réapparurent les exosquelettes sur son bras et ses mains, ainsi que la prothèse de son œil. Son œil, qu’elle n’ouvrait toujours pas.

— Non, pas ses jambes, Yahel, cela doit rester son choix.

Elle aida pour les soins de base, lui lava le corps, lui tint la main, souvent. Elle râla, tempêta, ragea pour qu’on lui fournisse coussins, oreillers, atterrée de la voir manipulée de droite et de gauche, maintenue par un savant assemblage de sangles, de structures aux formes étranges, carcans de fer et autres machineries, comme déshumanisée. Pour son bien, lui expliquait-on, pour éviter les escarres, pour faciliter sa guérison, tout en gardant un semblant de confort.

— Laissez-moi au moins mettre une couverture sur elle ! Sa peau est froide, si froide… Je ne veux plus qu’elle ait froid.

Alors qu’elle avait déjà ajouté un oreiller sous sa tête, elle la recouvrit d’un joli patchwork en laine, lui caressa la joue avec, tout en lui parlant, l’encourageant à sentir sa douceur. Elle finit par lui laisser, le museau à moitié caché, comme elle aimait s’y réfugier, occultant ainsi en partie son visage toujours si pâle, émacié. Elle sursauta, croyant avoir rêvé. Mais non, elle avait bien bougé. Comme si par instinct, Tara avait voulu se frotter au lainage, contact plus doucereux que les tuyaux barrant ses joues, ou trouver une meilleure position dans le moelleux de son oreiller.

— Je t’en prie, reviens… Je te le jure, tu n’auras plus jamais froid !

Sans lui lâcher la main, collant son front contre le sien, elle lui parla, encore et encore, dans l’attente d’un autre signe. Marc la récupéra, pleurant d’épuisement et de découragement. Il dut la supplier à son tour, peiné de la voir dans cet état, la força à aller se reposer.

— Ne perds pas espoir. Tu la connais. Elle est sur le bon chemin. Il faut juste lui laisser du temps.

Enfin, un jour, Tara ouvrit les yeux.

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