8 – 3 La paix ou l’annihilation
Elle stoppa net.
— Mais j’ai encore les idées parfaitement claires, ajouta-t-elle en se concentrant brusquement sur Mylène, afin d’assurer l’effet de sa réponse.
Oui, deux yeux, dont un artificiel qui vous fixe comme ça… Elle était curieuse désormais d’en voir le résultat dans la glace.
— Si tu changes d’avis…
— Toi, Mylène, cesse de parler sans savoir. Observe, apprends, et tu verras tout ce qu’accomplissent ces gens aujourd’hui, pour sauver des gens, pour nous protéger, éviter le pire. Et pour l’avenir, ils ont plein de projet. Moi, ils me donnent envie de croire en eux. Je souhaite les encourager en les aidant comme je le pourrais. Pour une fois que je tombe sur des gens qui veulent placer l’humain avant l’intérêt personnel ou pécuniaire… Ils tiennent quelque chose, je le sens. Et je parie que c’est toi qui changeras d’avis. Sinon, que fais-tu ici ? As-tu au moins emmené les filles, avec toi ?
— Nous étions parties toutes les trois, mais quand cette femme m’a répondue et m’a donnée un point de rendez-vous, elles ont préféré partir de leur côté. Le père de Tamy a une maison en pleine campagne, dans un trou perdu. Elles espèrent le retrouver.
— Toutes les deux toutes seules ?
— T’as pas vu Lucie avec mon tuyau d’aspirateur. Il y en a un qui l’a regretté. Une espèce de dingue qui a cru nous avoir facilement et qui a voulu nous sauter dessus, à l’heure qu’il est, il doit encore être sur le bitume en train d’agoniser.
— Avec un tuyau d’aspirateur ? Ça casse, non ?
— Le mien est en métal. Et elles ont pas pris que ça pour se défendre ! Tu aurais vu…
Oh, j’imagine ! Il y en a qui apprennent vite.
— Bref, reprit Tara, si cela ne te plaît pas ici, personne ne te retiendra contre ton gré. Si tu n’as même pas compris cela… Mais tout ce que je te demande, tout ce que j’exige, c’est que jamais tu ne les trahisses. Est-ce clair ?
J’aime bien sa tronche. Ça fait cet effet quand on fiche la trouille à quelqu’un ? C’est grisant…
Mylène hocha la tête en silence.
— Je t’attends demain. 9h.
— Tara, je…
— Tu peux y aller.
Regard noir, du style n’insiste pas. C’est drôle comme ça marche avec cette femme.
Elle suivit sa progression, un peu rapide, stoppée nette en fin de compte par une imposante silhouette juste après la porte. Un bras fila à ras de son visage, s’appuya, lui bloqua le passage, le reste du corps l’encadrant sans la toucher, la dominant. La crinière s’approcha près de l’oreille de la pauvre femme… Tara la vit blêmir, se faire toute petite et se sauver, pauvre petite souris.
Il entra.
— Je me demande ce que tu as bien pu lui dire pour l’effrayer de la sorte, lui dit-elle, intriguée. Tu fais ça à toutes les nouvelles ?
Le lion étant aux anges.
— Non, juste à elle. Je savais que ça te ferait plaisir.
Elle n’avait jamais constaté de coupure, ici. Ou alors, ce fut trop bref pour qu’elle s’en rende compte. Elle avait même cru comprendre que ce groupe avait lutté avec d’autres pour assurer la continuité du fonctionnement des centrales. Marc le lui avait expliqué plus longuement lors d’une de ses visites. Ils s’étaient préparés et avaient donc pallié au problème d’effectif en remplaçant le personnel déserteur des complexes électriques par des connaisseurs, mais aussi sécurisé les lieux pour empêcher toute intrusion malveillante, ce qui pourrait causer des problèmes bien plus graves que l’absence d’énergie, et dont les conséquences auraient été catastrophiques.
— Oui. J’ignore pourquoi, car une fois sortis de la ville, on est tombé sur des hameaux où cela marchait encore.
— Alors quelqu’un a probablement fait sauté les transfos à l’entrée de la ville… Ou des lignes à haute tension… Et on sait ce qui s’est passé ? Comment ça a commencé ? Les explosions au gouvernement…
— Non, rien, que des hypothèses. C’était tellement la panique… Rapidement, il n’y a plus eu d’infos fiables, plus de retransmission télé. Même le réseau Internet a montré ses limites. Et quand il n’y a plus rien qui marche… Même la bourse a pas tenu le choc. C’était déjà le chaos, avec le virus qui a attaqué les serveurs chinois…
— Ouais… Si ça se trouve, nous ne saurons jamais. De toute façon, ça n’a plus de sens, tout ça. Le fric, on n’a plus à s’en inquiéter. Personne.
— Tu crois ?
— Parce que ça te dérange ? Réfléchis un peu. Ça n’a pas aidé, ça a empiré les choses. Qu’est-ce qu’ont fait une majorité des gens quand ça a commencé à aller mal ? Bon, à part se mettre à taper sur tout le monde et à considérer que la seule loi qui tienne, c’est la sienne. Saccage, pillage et compagnie ! Et chacun pour sa couenne. Et la bourse, un pilier mondial s’écroule, tout le monde panique, veut récupérer du blé qui n’existe même pas, ou extrapole sur un futur improbable, sans lien avec la réalité, et boum !
L’air devenait compact quand Mylène gambergeait. Ça mijotait sévère.
— Mais quand est-ce que ça va aller mieux ? Quand est-ce qu’on pourra retourner chez nous ?
— Et vivre normalement ? Mylène… Dis-moi plutôt comment tu t’es débrouillée pour envoyer des messages radios.
— Ah ! C’est mon vieux voisin. Il était radio-amateur. Un vrai fan. Il avait plein de modèles chez lui. J’en ai retrouvé un à piles… Le pauvre, je sais pas ce qui lui est arrivé. Je l’ai retrouvé mort chez lui, par terre, devant ses précieuses radios.
— Crise cardiaque ?
— Avec le crâne fracassé et l’appartement fouillé ? Ça m’étonnerait.
— Bandes d’enragés…
— Mais, et toi ? Mon dieu, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
Mylène avait brusquement changé haussé de ton, mi-affolée, mi-écœurée, se redressant, se levant pour appuyer ses dires, comme soudainement revenue à la réalité.
— Tu l’as vu, non ? Quelques tarés qui ont voulu imposer leur point de vue. J’avais pas le même.
— Non ! Eux ! cria-t-elle presque en tendant la main vers la porte.
— Hein ?
— Regarde ton bras, tes mains ! continua-t-elle avec de grands gestes. C’est horrible ! Je peux pas te laisser là ! Tu arriverais à marcher ? Je vais te faire sortir d’ici.
Je vois…
— Pfff, t’as rien compris. Ces gens, qui t’ont accueillie, je te le rappelle, à moi, ils m’ont offert une seconde chance. Et tu devrais en profiter aussi.
Tara, qui n’avait pas remué un cil, s’étonna de rester parfaitement calme, juste un peu amusée du revirement de Mylène. Ou plutôt de sa révélation.
— Qu’est-ce que tu t’imagines ? Bibi elle a tout voulue ! Tu vois ça, ajouta-t-elle en recommençant le coup de la démonstration, faisant jouer les rouages d’ouverture et de fermeture de sa main. Ça, maintenant, c’est moi… Tiens, ça fait plus mal… Enfin si… Mais non, pas vraiment…
Bien sûr. L’injection de tout à l’heure devait encore agir.
— Mais tu ne vois pas ? J’ai pas tilté au début, mais te voir avec ces trucs, puis quand elle t’a piqué là, comme ça ! Sans te demander ! C’est pourtant clair ! Tu sais même plus ce que tu dis. Ils te le font souvent ? C’est comme ça qu’ils te gardent sous leur coupe, j’ai tout compris !
Tara s’entendit rire bêtement. Elle avait laissé Mylène continuer son film toute seule, le trouvant très drôle.
— Tiens, j’aurais bien aimé qu’ils le fassent plus souvent, tiens… C’est vrai que… je plaaane…
Elle continuait d’observer sa main s’ouvrir et se fermer, sentant parfaitement les étirements dans sa chair, mais comme à travers une couche de ouate.
Elle stoppa net.
— Mais j’ai encore les idées parfaitement claires, ajouta-t-elle en se concentrant brusquement sur Mylène afin d’assurer l’effet de sa réponse.
Oui, deux yeux, dont un artificiel, qui vous fixent comme ça… Elle était curieuse désormais d’en contempler le résultat dans la glace.
— Si tu changes d’avis…
— Toi, Mylène, cesse de parler sans savoir. Observe, apprends, et tu verras tout ce qu’accomplissent ces gens aujourd’hui pour en sauver d’autres, pour nous protéger, éviter le pire. Et pour l’avenir, ils ont plein de projets. Moi, ils me donnent envie de croire en eux. Je souhaite les encourager et les aider comme je le pourrais. Pour une fois que je tombe sur des personnes qui veulent placer l’humain avant l’intérêt personnel ou pécuniaire… Ils tiennent quelque chose, je le sens. Et je parie que c’est toi qui changeras d’avis. Sinon, que fais-tu ici ? As-tu au moins emmené les filles, avec toi ?
— Nous étions parties toutes les trois, mais quand cette femme m’a répondu et m’a donné un point de rendez-vous, elles ont préféré partir de leur côté. Le père de Tamy a une maison en pleine campagne, dans un trou perdu. Elles espèrent le retrouver.
— Toutes les deux toutes seules ?
— T’as pas vu Lucie avec mon tuyau d’aspirateur. Il y en a un qui l’a regretté. Une espèce de dingue qui a cru nous avoir facilement et qui a voulu nous sauter dessus, à l’heure qu’il est, il doit encore être sur le bitume en train d’agoniser.
— Avec un tuyau d’aspirateur ? Ça casse, non ?
— Le mien est en métal. Et elles n’ont pas pris que ça pour se défendre ! Tu aurais vu…
Oh, j’imagine ! Il y en a qui apprennent vite.
— Bref, reprit Tara, si cela ne te plaît pas ici, personne ne te retiendra contre ton gré. Si tu n’as même pas compris cela… Mais tout ce que je te demande, tout ce que j’exige, c’est que jamais tu ne les trahisses. Est-ce clair ?
J’aime bien sa tronche. Ça fait cet effet quand on fiche la trouille à quelqu’un ? C’est grisant…
Mylène hocha la tête en silence.
— Je t’attends demain. 9h.
— Tara, je…
— Tu peux y aller.
Regard noir, du style n’insiste pas. C’est drôle comme ça marche avec cette femme.
Elle suivit sa progression, un peu rapide, stoppée nette en fin de compte par une imposante silhouette juste après la porte. Un bras fila à ras de son visage, s’appuya, lui bloqua le passage, le reste du corps l’encadrant sans la toucher, la dominant. La crinière s’approcha près de l’oreille de la pauvre femme… Tara la vit blêmir, se faire toute petite et se sauver, pauvre petite souris.
Il entra.
— Je me demande ce que tu as bien pu lui dire pour l’effrayer de la sorte, lui dit-elle, intriguée. Tu fais ça à toutes les nouvelles ?
Le lion semblait aux anges.
— Non, juste à elle. Je savais que ça te ferait plaisir.
— C’est ça, fais-moi passer pour la méchante. Et dis donc, t’es pas censé être un guide bienveillant ?
— Je lui ai juste dit que tu ne serais pas la seule à l’avoir à l’œil. Je pensais pas non plus la mettre dans cet état… Tu dois déteindre sur moi !
Elle soupira, s’esclaffa dans son oreiller. Parfois ça fait du bien de jouer les gamins.
— Mais et toi, comment te sens-tu ?
Elle se tourna vers lui, en profita pour se tortiller, corriger sa position, se mettre bien à l’aise sur le côté, cœur vers le ciel, comme elle aimait, relevant la couette jusqu’à son menton.
— Je flotte… Je flotte dans du coton.
— C’est pas faux… Et dans les plumes aussi… Dans les oreillers, expliqua-t-il.
— Coool…
Oui, elle se sentait incroyablement bien, toute légère, son matelas et son oreiller devenus des nuages magiques portant ses prothèses à sa place. Elle sourit à Mahdi posant une main sur son front. Elle adorait cette sensation, un vrai baume miracle qui calmait soigner tout de suite.
Il la manipula légèrement pour que son œil humain cesse de vouloir s’enfouir dans l’oreiller, abaissa sa figure comme pour la dévisager de plus près.
— Je te vois en gros plan, pouffa-t-elle.
— Mouais, t’es encore un peu chargée, ma pauvre. Yahel s’en excuse. Elle ne supporte pas de te voir souffrir, tu comprends. Elle viendra se faire pardonner plus tard.
— Faut pas… C’est trop cool.
Il ne put se retenir de rire à son tour.
— Je vois ça ! Je vais te laisser te reposer.
— Oh, reste ! supplia-t-elle comme une petite fille réclamant avant un caprice. Viens contre mon dos.
— Ne me dis pas que t’as envie ?
— Non… Juste pour une petite sieste… J’aime bien, t’es tout chaud…
— Puisque tu insistes… Je vais en profiter pour te raconter la suite de l’histoire.
— Hein ?… Ah oui ! Celle de cette princesse super consciencieuse du devenir de son peuple. Pour une histoire de princesse, je la trouve pas ennuyante du tout. Ouais, vas-y. Je suis curieuse de savoir à quel point elle est prête à se sacrifier pour lui.
Après avoir ôté ses chaussures, il s’était installé par-dessus la couette, l’invitant à utiliser son bras en support supplémentaire pour sa tête.
— Tu sens bon… dit-elle tout bas, la joue, le coin des lèvres, au contact de sa peau.
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