11 – 4 Couper, ôter, découper, trancher

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En réalité, ce furent des vacances improvisées pour tout le monde. Tara voyait bien que l’ambiance était plus détendue, qu’il en avait plus que d’habitude qui flânaient dans les jardins ou ailleurs. Ce ne fut cependant que lorsqu’elle réalisa n’avoir vu Mahdi nulle part de la journée et interrogée Yahel à ce sujet qu’elle comprit.

— Il nous a dit qu’il partait quelques jours, et que nous pouvions tous en profiter pour nous reposer et nous changer les idées.

Yahel soupira, puis ajouta :

— Je ne sais pas où il est allé, mais cette pause est vraiment la bienvenue. Nous en avions tous besoin.

Tara se limita ainsi à faire spontanément d’autres tâches les jours suivants, là où un coup de main était le bienvenu. Cuisine, préparation de conserves, même du jardinage ! La terre et les plants avaient bien apprécié l’arrosage exceptionnellement généreux par cette chaleur. Ou comment le bain improvisé n’a pas servi qu’aux humains.

Mahdi réapparut le matin du quatrième jour, très tôt vu la faible luminosité au moment où il ouvrit la porte de leur chambre. Tara était dos à la porte, mais se doutait que c’était lui. C’était tout à fait son genre. Surgir à n’importe quel moment de la nuit, il le faisait souvent dans l’autre abri. Étonnant tout de même qu’il vienne maintenant qu’elle partageait une chambre avec Yahel.

Elle tourna un peu la tête pour le voir alors qu’il s’approchait d’elle. Il mit un doigt sur sa bouche en montrant la couchette du haut.

— Tu ne dors pas… Tu as encore mal, n’est-ce pas ? chuchota-t-il.

Elle réalisa qu’elle se massait machinalement le cou et l’épaule gauche. Et en effet, cela la gênait au point de troubler son sommeil, la gardant éveillée de longs moments.

— Je m’en doutais un peu. Là où je suis allé, on m’a donné ça pour toi.

Il lui montra un petit pot, qu’il posa sur la chaise leur servant de chevet, avec sa cape et un châle de laine.

— Assieds-toi, dos face à moi.

Cela allait tout juste, vu la hauteur entre les lits.

— Je ne sais pas pourquoi, cela ne passe pas. J’ai de nouveau cette épaule qui me tire depuis, un peu comme après l’opération, lui dit-elle pendant qu’il l’aidait à enlever son débardeur.

Elle ne le vit pas faire la grimace. Il tâta au niveau de la jonction de l’armature dans l’épaule et l’omoplate.

— Peut-être que cela ne vient pas de là…

Il appuya à un autre endroit, ce qui la fit sursauter en grognant.

— Mais de là… Oui, j’ai trouvé…

Alors que ses doigts insistaient, elle réprima un cri.

— J’espère que tu n’es pas retournée t’entraîner ?

— Je crois que même si j’avais voulu faire du combat, personne n’aurait souhaité prendre la place de mon maître. Non, je me suis limité à des exercices d’assouplissement et d’étirement, pas plus que ce que tu as laissé en consigne à notre belle au bois dormant du dessus.

— Bon, je crois qu’on va régler ça avec ce petit tonifiant. En version traitement de choc, cela devrait aider ton corps à se remettre. Il a un peu trop été malmené ces derniers mois. Mets-toi en slip et allonge-toi sur le ventre.

Elle s’exécuta.

— Maintenant, essaie de te détendre, et surtout, laisse-toi faire.

Celle-là, il ne l’avait pas encore faite, se dit-elle. Il la prit par en dessous avec sa main, au niveau de son sternum, la souleva en lui répétant de se laisser porter. Il avait l’air de chercher ces points douloureux dans son dos avec le talon de sa main, les retrouva, appuya légèrement par endroit en faisant de petits cercles.

— Respire bien à fond.

Elle se concentrait sur sa respiration quand tout à coup, un choc résonna dans sa chair, comme un coup qu’il lui portait, mais sans douleur. Le plus étrange fut la déflagration, le souffle d’une explosion qui la balaya de ce point central, traversant son corps. Elle perdit contact avec la réalité un instant, se retrouva complètement avachie, juste maintenue par lui, le cœur palpitant dans sa poitrine. Elle n’arrivait même plus à penser, sans comprendre ce qu’il lui avait fait. Elle ne pouvait que se laisser porter, poupée de chiffon entre ses mains.

Il la reposa sur le matelas, la positionnant de cette manière si parfaite. Elle ne put voir la tête de Yahel au-dessus d’eux, qui devait faire une drôle de tête, car il lui parla.

— Désolé, on t’a réveillé.

— Je ne sais pas ce qui se passe, mais vu d’ici, on dirait que tu essayes de la tuer…

Il ouvrit le pot, prit de la crème qu’il étala sur l’intérieur de ses mains avant de lui masser le dos.

Cette crème lui procura d’abord une sensation de fraîcheur bienfaisante. Mais plus il massait, plus ce froid devenait chaleur, effaçant tous les points sensibles. Il en appliqua soigneusement sur tout le dos et la nuque, mais aussi sur cette épaule, là où le métal se fichait dans la chair, insistant jusqu’à ce que le produit pénètre entre les plaques de métal, et continuant sur tout le bras, l’autre bras et les jambes. Il posa le châle sur son dos et la retourna. Même chose sur tout l’avant de son corps. Il prit le temps de le faire très minutieusement pour ses mains, les prenant délicatement dans les siennes et massant pour que le produit passe bien entre la structure métallique. C’était beau ce geste, elle aurait dit celui d’un amour éperdu, ou celui d’un vassal exprimant son profond respect envers son maître.

Il termina par le cou avant de refermer le châle sur elle. Ainsi emmaillotée, il lui remit le drap par-dessus. Elle fut effarée quand elle le vit ajouter sa cape pour terminer de la border. Elle avait déjà l’impression de bouillir. Seul son visage ressortait des couches. Mais elle était encore si confuse suite à cette étrange manipulation qu’elle ne réagit pas. Impossible d’en trouver la force. Elle était complètement à sa merci.

Il lui en mit tout de même sur le visage, juste une dose infime, celle qui imprégnait encore la paume de ses mains. Là, sur le moment, elle en ferma les yeux de bonheur.

Elle pensa avoir dormi un peu sur le coup, car la lumière s’était intensifiée.

Pouvait-on être desséché dans une bouillotte ? Elle pensait en avoir la réponse, mais impossible de se libérer. Elle se sentait encore un peu faible, groggy, presque nauséeuse, se demandant si finalement il ne lui faisait pas plus de mal que de bien. Mais il était là, à veiller au grain.

Il la fit boire, puis la recala sous ses couches de tissu. Il posa sa main sur son front, agréable réconfort.

Plein soleil la fois suivante où elle ouvrit les yeux. Et toujours impossible de dire si elle avait vraiment dormi ou juste somnolé. Elle entreprit de repousser les couvertures, mais il la retint.

— Non, pas encore. Tant que je suis là, tu ne bouges pas.

— Soif…

Il fit comme la première fois, une bonne ration. Du coin de l’œil, elle aperçut ce qui restait de la cruche après qu’il lui eut reversé un autre gobelet d’eau.

— Encore. Il faut que tu boives. Beaucoup.

— Mais… et les rations ?

— Je m’en fous. Je veux mon arme. Et en bon état, si possible.

Elle en hoqueta de surprise. Était-ce vraiment de l’humour ?

Quand elle se mit d’instinct sur le côté, il la laissa faire. Mais elle eut à peine le temps de se dire que ce geste repoussait suffisamment les strates de tissu la recouvrant pour atténuer l’effet étuve qu’il vint les recaler sur elle, en dépit de ses protestations. Il fut pointilleux au point de lui repositionner la tête par rapport à son corps, ce qui n’était finalement pas une mauvaise idée.

La troisième fois, elle voulut fuir la lumière en se pelotonnant sous les couvertures, s’y trouvant finalement très bien au bout du compte.

— Je sais que tu es réveillée… Tu peux sortir, il est parti. J’ai même pour mission de te libérer de ta prison.

Tara entendit Yahel, mais elle n’avait qu’une envie : continuer à dormir dans ce doux cocon bien chaud.

— Allez, qu’est-ce que tu attends ? Je m’attendais à te voir bondir !

— Le problème avec les prisonniers de longue durée, c’est qu’ils finissent par s’habituer à leur geôle, au point de craindre l’extérieur.

— Très drôle. Et… pas de besoins naturels par hasard ?

— Oh si… s’exclama-t-elle dans un râle désespéré, rageant qu’elle lui ait rappelé cet état de fait.

— Je te préviens. C’est aussi ma chambre. Il est hors de question que cela pue le fennec.

— C’est bon ! soupira Tara.

Yahel lui laissa le temps de se réhabituer à la gravité, en profitant pour lui présenter une autre ration d’eau.

— Première étape : direction la salle d’eau. Il va falloir décrasser tout ça.

— Dommage, ça sent bon, dit-elle en reniflant sur son bras un léger parfum résiduel de plantes.

Elle l’emmena se laver, puis prendre un bon repas. Lorsqu’elles furent à table, au bout d’un moment, Tara voulu retourner se soulager.

— Tu comprends, avec tout ce qu’il m’a fait boire.

Yahel sourit, la vit partir, attendit… Elle finit par partir à sa recherche, ne la voyant pas revenir. Elle ne la retrouva pas dans sa chambre, ni à la salle d’entraînement. Finalement, Simon, la voyant errer, lui donna l’info.

— Tu cherches Tara ? Viens voir…

Il l’emmena à l’extérieur.

— En fait, tu es passée tout près. Tu vois ce banc sous l’arbre ?

— Ne me dis pas qu’elle a fait un nouveau malaise ?

Il rit en la poussant à s’approcher plus près, la traitant de mère poule.

— Elle m’a dit qu’elle s’arrêtait juste deux minutes pour prendre l’air. Deux minutes, pas plus, qu’elle a insisté, le doigt en l’air. Et voilà : notre tueuse de sang-froid est juste en train d’en écraser une bonne…

Et en effet, Tara s’était installée là, en chien de fusil, profitant des petits coussins mis là depuis le début de la belle saison, dormant profondément, paisible, sereine. Elle ne broncha même pas aux rires de Simon et des autres qui s’approchaient à leur tour pour assister à la scène. Lorsque Yahel vit venir Mahdi, elle ne put s’empêcher de l’interroger, suspicieuse.

— C’est normal, ça ? Ou tu as mis quelque chose dans sa nourriture ?

Il souriait jusqu’aux oreilles.

— Elle a tout simplement trouvé seule la suite du processus…

Le roi fit un tour d’horizon sur tous ceux qui arrivaient encore, attirés par l’attroupement. Il ajouta :

— D’ailleurs, vous devriez tous faire de même aujourd’hui, et j’espère que vous avez tous bien profité de ces quelques jours. Car demain, nous devrons nous y remettre.

Tout le monde se tut, attentif.

— L’hiver arrive. Nous devons finir de nous y préparer. Ce sera le premier, et ce sera le plus dur, le plus déterminant. Pour nous tous. Alors profitez de cet instant de paix.

Les premiers à réagir furent les enfants.

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