27 – 2 Et je m’efface dans le vide

6 minutes de lecture

Elle comprit qu’elle était transie de froid quand, à son réveil, quelqu’un lui frottait le dos avec de la paille. Cela la réchauffa un peu.

— Vous êtes frigorifiée…

C’était la femme qui l’avait soignée la veille. Elle parlait doucement, sûrement pour ne pas être entendue par un garde à côté.

La nuit avait été difficile. Elle savait qu’il fallait qu’elle dorme un maximum pour être apte à supporter le reste. Mais entre les crampes de son ventre et les autres douleurs… Sans parler d’une étape qu’elle eut à franchir.

De la paille, oui… Quelle farce.

Elle n’avait pas eu d’autres choix, impératif de dame nature, que d’oublier sa condition d’être humain civilisé. Elle dut se vider, se souillant elle, la paille et le sol. La paille qui était là pour lui envoyer un message : ils voulaient la rabaisser au rang d’animal, elle n’était qu’une bête à leurs yeux. Et bien soit…

Face à cette femme, la seule qui ramenait un peu d’humanité dans cet enfer, la gêne, la honte de sa condition réapparut malgré elle. La femme dut le comprendre.

— Ne vous inquiétez pas, j’en ai vu d’autres.

Un instant plus tard, des doigts humides passèrent sur ses lèvres desséchées. Elle en gémit de soulagement.

— Chut. Je ne dois pas normalement, mais…

Elle lui souleva la tête, inséra une gorgée d’eau dans sa bouche. Cela la brûla autant que cela la soulagea. Une deuxième coula, puis une troisième.

— Là… doucement.

Elle attendit un moment avant de lui en redonner, toujours par petite dose. L’eau était fraîche, mais cela en restait malgré tout une véritable jouissance. Elle lui en donna encore, pas plus de quelques gorgées après de longues pause. Puis la paille servit à autre chose qu’à la réchauffer, lui rendant un tant soit peu de dignité.

— Combien de temps, finit par demander Tara lorsqu’elle se sentit à nouveau capable de parler.

— De temps ?

— Oui. Combien de temps… je suis là.

— Vous êtes arrivée avant-hier soir, et là c’est votre deuxième matin.

— Je vois… Merci.

Yahel tentait d’expliquer à la foule de villageois face à elle.

— Comme je vous l’ai dit, nos craintes étaient fondées, hélas. On s’attendait à ce scénario. Ils ont fini par nous vaincre. Ils ont eu le roi et ont tué beaucoup des nôtres. Mois aussi, quitter cette forêt me déchire le cœur. Mais nous devons partir d’ici. Nous pensons qu’ils vont vouloir cibler une prochaine attaque, et ce village est un des rares endroits stratégiques de notre réseau. Ils ont déjà l’une d’entre nous entre les mains et ils peuvent la faire parler. N’aggravons pas les choses.

— Et pourquoi on ne va pas la sauver ?

— Oui, et si ça se trouve, il y a d’autres survivants.

— La revanche est prévue, je peux vous l’assurer. Le combat continuera. Mais la priorité est d’assurer la zone, au cas où ils avanceraient vers nous. Il est hors de question que vous fonciez là-bas. Cela ne ferait que d’autres morts. Il a également été décidé que personne n’irait chercher les survivants, prisonniers ou non. Surtout les prisonniers. Les autres nous retrouverons quand ils seront sûrs de ne pas être suivi. C’est un ordre du roi. Ceux qui sont allés se battre le savaient en leur âme et conscience. Et au moment où je vous parle, nos ennemis doivent tenter de savoir où nous sommes.

Elle serra les poings à ces derniers mots. Puis elle continua.

— Vous allez donc faire ce qui était prévu et ce qui vous a été expliqué les jours précédents. Vous savez quoi faire et où aller. Pour le moment et pour votre sécurité à tous, tout le monde quitte cet endroit, et le plus vite possible. Vous savez dans quelle équipe vous êtes assignés, alors, allez-y ! Et si vous avez des questions, des responsables ont été désignés. Adressez-vous à eux.

Ils s’éparpillèrent, toujours en discutant mais en obtempérant. Tout cela avait pris quelques minutes à peine, mais Yahel se sentait exténuée, comme si cela avait duré des heures.

Et pendant tout ce temps, elle avait gardé sur elle un écran portatif relié à Tara.

Marc la surprit plus tard près des véhicules. Elle harnachait un sac sur une des motos.

— Pas de nouvelles ?

— Non. Rien à signaler. Les communautés les plus proches du site restent sur le qui-vive… Qu’est-ce que tu fais ?

Elle semblait gênée.

— Marc, je suis désolée… Je dois y aller. Il m’a dit que si cela arrivait, je devais aller la chercher et la ramener à tout prix.

— Mahdi ? Pourquoi ? C’est risqué. C’est pour ça qu’il a donné lui-même l’interdiction d’aller les chercher. Pourquoi aurait-il dit le contraire pour elle ? Sachant que c’est elle qui a émis cette idée au départ.

— Je n’en sais rien… et je m’en moque.

— Cela t’arrange, dit-il, jouant avec une de ses mèches de cheveux.

Elle ne nia pas.

— Je suis son ange-gardien, après tout. Et grâce à ça, je peux la retrouver.

Elle regarda l’écran, avec tous ces hommes assis autour de Tara, un en particulier qui la fixait.

— Je n’aurais qu’à suivre ce qui se passe et à retrouver les lieux qu’elle visualise. En y allant seule, c’est beaucoup plus discret. Je retrouverai nos contacts là-bas pour m’aider.

Elle remarqua l’image figée, presque tremblante, puis des bouts de doigts apparaissant dans les coins alors qu’approchait une main armée d’une pince.

— Qu’est-ce qu’il fait ?… Mais arrête !… Dégage !… NON !

Elle hurla ce dernier mot, quand l’écran vrilla avant de s’éteindre. Elle en pleura de rage, tapant du poing sur la poitrine de Marc qui tenta de la réconforter.

— Comment je vais faire maintenant ?

— On y arrivera. On trouvera un moyen.

— Hein ?

— Tu crois vraiment que je vais te laisser partir seule ? Ce ne serait pas prudent.

Ils furent interrompus par des voix provenant de derrière un des bus. Elles se rapprochaient.

— Mais où est-elle ? Pourquoi tu ne me le dis pas ? Ça fait des jours que je ne l’ai pas vu, et elle m’avait promis qu’elle serait là dimanche. J’ai préparé son plat préféré…

— Désolée, elle n’est pas là. Je vous le dirais quand elle rentrera, d’accord ?

Ils virent apparaître Mylène et la vieille Annie, la première soutenant la deuxième, pourtant déjà armée d’une canne. Mais on se demandait qui traînait l’autre. Mylène leur fit un petit salut et haussa les épaules en excuse.

— Ah, Yahel, tu tombes bien. Tu sais où je peux trouver Tara ? Son repas l’attend.

Tout le monde savait que la pauvre vieille femme commençait à perdre un peu la tête. Yahel avait pris sur elle pour se reprendre, le temps de lui parler pour la rassurer. Elle ne se voyait pas lui infliger la vérité.

— Je suis désolée, Annie, elle n’est pas ici. Mais on vous attend pour partir. Vous la retrouverez sûrement là-bas.

— Ah oui, c’est vrai. Je n’ai pas envie de partir, mais bon… Ce monde m’en aura fait voir… Vous partez vous aussi ?

— Oui, on vous y retrouvera.

— Bien, alors vas-y, va la chercher.

Et la vieille fit mine de repartir, faisant un pas de côté et reprenant le bras de Mylène.

— Tu y vas en moto ? Tu devrais prendre plutôt un van ou quelque chose du genre…

— Annie ?

Yahel n’avait pas rêvée le clin d’œil quand Annie avait dit “va la chercher”, et vu qu’elle la fixait d’un œil bien éveillé, elle s’adressait bien directement à elle.

— Tu crois vraiment qu’elle sera en état de monter derrière toi ? Je n’ai pas encore perdu toute ma tête, j’ai bien compris que son séjour là-bas sera loin d’être une sinécure. D’ailleurs…

Elle tapota le bras de Mylène, l’air de rien.

— Une aide ne serait pas de trop, au cas où… Quelqu’un qui a quelques notions médicales.

— Non !… Vous allez chercher Tara ? C’est elle qui est prisonnière ? s’exclama Mylène.

— Ça y est, elle a compris, marmonna Annie.

— Je veux venir aussi.

Yahel et Marc furent surpris par sa bravade.

— Tu es sûr ? Mylène… Ça ne va pas être facile.

Elle hocha la tête. Le couple se regarda. Après tout, Annie n’avait pas tort.

— Qu’est-ce que vous attendez ? Allez !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bea Praiss ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0