Barrières ? Quelles barrières ?
Dès ses prémices, la communication officielle sur le coronavirus, fâcheuse comme une fausse note dans notre envie d’unité nationale, nous a laissé cette impression : ils nous prennent pour des cons. Pas d’ordre clair, des consignes sujettes à interprétation. Passons sur le « Restez chez vous mais allez voter », longuement débattu depuis. Endurons que ceux qui sont sortis ce jour-là (y compris la première dame, qu’on ne peut soupçonner de méconnaître les subtilités de la langue française) se soient fait traiter d’« imbéciles » par un ministre de l’intérieur furieux. Tout enseignant sait qu’un échec massif à la compréhension d’une consigne ne signifie pas que son public est attardé, mais que la consigne a été mal formulée. Ou le vocabulaire inadapté.
C’est au vocabulaire que je veux m’attaquer ici, aux « gestes barrières » en particulier. Qui a inventé cette expression, et s’est probablement trouvé très malin ? En a-t-elle insurgé d’autres que moi ? Je n’en ai pas décoléré pendant des jours. Il m’en faut peu, direz-vous, mais c’est avec peu qu’on fait les grandes soupes !
Pouvez-vous m’expliquer en quoi un seul des gestes barrières constitue une barrière ? Tousser dans sa manche ? Se laver les mains ? Rester à distance ? Les vraies « barrières » auraient consisté en masques, gants, ou même visière et autres plaques de plexi. Ne revenons pas sur cette polémique non plus, qui n’est pas close, dans ce domaine la com se noie toujours dans ses contradictions. J’affirme qu’il eut été plus adapté de parler de « précautions d’hygiène », voire de « mesures prophylactiques ». Ne m’objectez pas « trop compliqué », on en a avalé, du vocabulaire, et du beaucoup plus tarabiscoté dans cette crise. J’ai été instit. Je vous assure qu’on enseigne des mots bien moins utiles au quotidien. Didascalie. Assemblée constitutionnelle. Homonyme. Polyèdres. Je suis sûre que mes collègues n’auraient pas hésité à introduire "prophylactique" auprès des bambins de 5 ans, et que ceux-ci s’en seraient emparés aussi bien que des "gestes barrières". Voilà ce qui m’a tenue énervée : qu’on infantilise une population globalement éduquée, historiquement rompue au discours politique, informée, avide de comprendre et d’agir dans le bon sens. Toutes les réserves que vous pourrez émettre ne m’en feront pas démordre : demandez le meilleur aux gens et ils vous l’accorderont. Stigmatisez-les et vous les contraindrez à se renfermer et à se défendre.
Peu à peu, l’épidémie gagnait le monde entier, et nous apprenions comment chaque pays gérait sa crise. Le terme de « geste barrière » était-il partagé ? Le 20 mars, j’envoyais un mail aux amis dont je savais qu’ils avaient des contacts avec des francophones à l’étranger, pour qu’ils relayent une bouteille à la mer.
Demande de service : récolte de données à usage perso.
En France, nous avons vu apparaître ces quatre expressions :
— Confinement
— Distanciation sociale
— Gestes barrières
— Autorisation de déplacement dérogatoire
Par quels mots désigne-t-on cela chez vous ? Quelle serait la traduction littérale en français ?
Merci de votre retour, bon courage à tous !
Caroline
Mon but était de découvrir s’il y avait des différences dans l’appréhension de la maladie, car je crois que les mots sont importants en tant que révélateurs d’un état d’esprit des gouvernants et des populations. Les réponses ont été moins nombreuses que je l’espérais et quelquefois à côté de la plaque. Problème de formulation des consignes, encore, mais quand même, une bonne vingtaine me sont revenues d’Europe et d’ailleurs.
1. Confinement : on utilise plutôt quarantaine, par exemple en Allemagne, au Liban, en Russie ou en Italie. On m’indique que le mot « confino » est connoté là-bas, puisqu’il s’agissait du mot employé pour assigner les opposants à résidence sous le fascisme. En Amérique latine, on dit plus facilement « aisliamento » plutôt que « confinamiento ». En roumain, izolare. En anglais, l’usage a consacré l’emploi de lockdown.
Autrement dit, certains « confinent », de confiner (enfermer), ou se confiner (se cloîtrer, s’isoler), avec une connotation de douceur, de cocon. D’autres sont en « quarantaine » (isolement imposé aux voyageurs revenant de pays où sévissent des maladies contagieuses), avec une notion plus administrative, un rapport direct à la maladie. Le mot « isolement » me semble assez neutre. Le mot anglais « lockdown » suggère une impression d’enfermement subi.
2. Distanciation sociale : en anglais, social distancing, l’expression est très unanimement adoptée, utilisée aussi en Allemagne de préférence à Soziale Distanzierung/Räumliche Distanzierung. Au Liban espacement social, en Turquie sosyal mesafe, mais en Amérique Latine « distanciamento contacto fisico, pero no el social »
3. Gestes barrières : n’existe dans aucun autre pays. Au Liban, on dit gestes de prévention ou réduire la prolifération, en espagnol : contingencia de alcance / normas de confinamiento / mesures generiques de protecció, en Turquie hijyen kuralları (« mesure d’hygiène »), en Russie правила личной гигиены (respect des règles d’hygiène individuelle).
Ah, je savais bien qu’on était les seuls rigolos à avoir inventé un hochet !
4. Attestation de déplacement dérogatoire (notez que là on n’a pas eu peur des gros mots) : Dérogatoire est symptomatique du fonctionnement institutionnel pathologique des rouages administratifs de la machine-état française (merci, Mick !). Ce papier n’existe pas en Angleterre, ni dans de nombreux pays. Autorisation de voyager en Turquie. Dans les pays hispanophones : certificat autorresponsable de desplacament, autocertificazione en Italie.
L’appel à la RESPONSABILITE ? Quelle drôle d’idée ils ont eue ces pays-là ? Au fait, n’est-ce pas ce mot récemment multiplié dans les bouches de nos gouvernants ? ENFIN !
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