Exil
Il y a deux ans, le passage du premier millénaire a engendré une période quelque peu troublée dans le monde du Christianisme.
En effet, quelques érudits pensant bien interpréter les Saintes Écritures, ont pris au pied de la lettre l’Apocalypse de Saint Jean qui dit, dans le chapitre XX, 1-8 :
« Puis je vis un Ange descendre du ciel, ayant en main la clef de l’Abîme, ainsi qu’une énorme chaîne. Il maîtrisa le Dragon, l’antique Serpent – c’est le Diable, Satan – et l’enchaîna pour mille années. Il le jeta dans l’Abîme, tira sur lui les verrous, apposa les scellées, afin qu’il cessât de fourvoyer les nations jusqu’à l’achèvement des mille années. Après quoi, il doit être relâché pour un peu de temps (…) Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s’en ira séduire les nations des quatre coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre, aussi nombreux que le sable de la mer. »
L’interprétation au premier degré voulait que le délai s’achève avec le premier millénaire, sinon pourquoi compter le temps qui passe ?
La majorité du clergé, fort heureusement, ne voyait pas là une divination précise, prétextant que les « mille années » n’étaient qu’un euphémisme. Peut-être était-ce seulement par peur de ce qui pourrait arriver si c’était vrai, difficile à dire. Toujours est-il que cette pensée s’est généralisée.
De toute façon, personne, Saint-Jean y compris, ne peut légitimement prédire quoi que ce soit, la connaissance absolue du futur appartenant exclusivement à Dieu, et étant hors de notre portée.
L’analphabétisme très présent engendre une dépendance au sujet de la parole de Dieu. La concordance entre les événements de grande ampleur tels famines et épidémies est loin d’être convaincante. Les méthodes de datation, qui n’est d’ailleurs pas encore systématisée dans les documents officiels, sont très disparates, ne plaçant pas le début de l’année, et donc du millénaire, au même jour – naissance ou décès du Christ, par exemple – et certains comptent à partir des règnes pour se situer dans le temps.
Toutes ces raisons ont annihilé quelque effet de masse qui aurait pu se produire, et le commun des mortels chrétiens n’eut même pas conscience de cette affaire.
Parmi les fidèles qui se laissèrent influencer, figure le baron Guillaume. C’est un homme de quarante-cinq ans, dont la famille a été anoblie depuis plusieurs générations déjà. Il dirige un château-fort, constitué d’un donjon ainsi que d’un village attenant, le tout entouré de remparts, situé à proximité de la mer Méditerranée, dans le Comté de Provence, au sud du royaume de Bourgogne. Il porte le nom d’Oridern.
Ses connaissances de la religion, ainsi que des événements tournant autour de la magie, l’ont conduit à imaginer que des catastrophes plus ou moins naturelles étaient sur le point de se produire. Des superstitions concernant les années avec des chiffres ronds se sont révélées au final bien stupides une fois la date fatidique passée. Il ne put que constater son erreur.
Il fallait alors se mettre en quête d’une pénitence. Simplement demander pardon à Dieu n’est pas suffisant en pareil cas. La faute est grande, la punition doit être à la hauteur. Son chapelain lui confirma sans fard que des “notre père” même combinés avec des “je vous salue Marie” ne pèseraient pas bien lourd dans la balance. Non, il fallait quelque chose de bien plus conséquent.
Ensemble, ils parvinrent à la conclusion qu’un pèlerinage était le plus adapté. Attention, cette solution est bien moins facile qu’il n’y paraît car en ces temps, les voyages se révèlent fort périlleux et nombreux sont ceux qui n’en reviennent jamais.
La première destination qui lui vint à l’esprit fut la Terre Sainte. Les dangers d’un tel périple auraient nécessité une véritable armée pour lui assurer de revenir en vie, mais malgré son statut, il ne pouvait se le permettre.
En second lieu, il considéra Saint-Jacques-de-Compostelle. Mais l’Église ne reconnaît pas encore officiellement ce lieu, même si de plus en plus de fidèles s’y rendent régulièrement.
Le troisième objectif était Rome, abritant le Vatican, lieu de résidence des Papes. Le chemin ad limina Apostolorum se termine au seuil de la tombe des Apôtres Pierre et Paul. C’est le choix qu’il fit, avec la bénédiction de son chapelain.
Il prit donc la via Francigena, route commune pour ce périple, accompagné de l’un de ses chevaliers nommé Brandelis, un écuyer, deux gardes, ainsi qu’un guide.
Ils partirent à pied, comme la tradition l’exige. Enfin, sur une lieue, à peine. Ensuite, ils ont poursuivi sur le dos des chevaux qu’ils avaient fait amener là.
Dans l’absolu, rien n’empêche ceux qui en ont les moyens de cheminer sur une monture lors d’un tel périple, mais les phases de départ et d’arrivée doivent autant que possible suivre un protocole bien défini.
Les apparences sont importantes.
Annotations