La Portada a disparu ! 1/2
Antofagasta – Chili
La plage, à perte de vue. Une plage immense, magnifique, la plus belle que je connaisse, en tout cas pour l’instant ! Et il faut voir comme les oiseaux qui la survolent s’en donnent à cœur joie au coucher du soleil ! Mouettes, goélands et frégates planent par centaines au-dessus des vagues du Pacifique, dessinant des arabesques dans le ciel orangé.
Alphonse et moi courons pieds nus sur le sable, derrière les pélicans qui viennent se dégourdir les pattes. Malgré leur air pataud, les gros volatiles se montrent d’une vivacité qui nous étonne, et ils s’échappent toujours à quelques centimètres de notre approche.
Le Chili ne ressemble pas à l’Argentine, il est tout en longueur et en contraste : du désert d’Atacama au nord, aux glaciers du grand Sud, la variété des paysages est telle qu’on a le sentiment d’explorer plusieurs pays en un seul voyage, dit Papa. Et passer des reliefs montagneux de la cordillère des Andes aux côtes sauvages du Pacifique permet de découvrir une multitude de mondes en une même journée !
Papa m’explique encore que la ville d’Antofagasta, où nous avons posé nos valises, va se révéler elle aussi pleine de contradictions, car elle a les pieds dans le Pacifique, et la tête dans le Grand Atacama. Cette proximité avec le désert donne à son ciel une lumière pure et limpide, notamment la nuit, où les étoiles se comptent par milliers. Mais le ciel peut également se charger de sable, comme maintenant, au coucher du soleil, quand la grosse boule rouge plonge dans l’océan. Papa parle de « lumière africaine » devant cette atmosphère remplie de particules, parce qu’elle lui rappelle d’autres beaux voyages, et un autre continent. Je fais la moue lorsqu’il évoque des lieux que je ne connais pas, et il sourit. Il dit qu’il est ravi de mon désir de découvrir le monde, et me promet qu’un jour prochain, il m’emmènera en Afrique... En attendant, je retourne courir sur le sable, derrière les oiseaux de mer, et je respire, heureuse, le parfum iodé d’une belle fin d’après-midi au Chili.
Partout où je passe, il se produit des choses étranges. L’influence du kaléidoscope magique ? Nous ne sommes pas à Antofagasta depuis deux jours que déjà, la ville est en ébullition : journalistes et curieux arrivent de tout le pays, et même des états voisins. Des cars régie et leurs antennes satellites fleurissent dans chacune des rues, et les journaux télé s’emballent pour couvrir un événement extraordinaire et inexpliqué : la Portada a disparu !
La Portada, c’est le grand symbole d’Antofagasta, le monument à photographier. Il s’agit d’une arche rocheuse immense, sorte de « porte » naturelle posée sur l’océan, à une vingtaine de kilomètres au nord. Je l’ai vue le soir de notre arrivée, car nous avons dîné juste à côté, au restaurant qui porte son nom, Maman ayant repéré ce point de vue remarquable dans les guides. Le site est en effet très joli, surtout au coucher du soleil, dans la lumière sableuse que j’ai déjà évoquée. Mais depuis ce matin, c’est l’effervescence : il paraît que la Portada a disparu ! Qu’a-t-il bien pu se passer ? Elle n’a tout de même pas fondu durant la nuit! Un géant l’aurait-il volée ?
Les rumeurs vont bon train et les théories les plus folles circulent. Les miennes ne sont pas les pires, alors imaginez ! Maman a commencé par rire de ces histoires, mais Papa a voulu aller vérifier : nous avons donc pris la direction du nord et roulé près d’une heure avant de parvenir à approcher les lieux.
J’ai d’abord été surprise de l’intérêt suscité par cet événement : plusieurs kilomètres avant la zone, des dizaines de bus venant de toutes les régions du pays stationnaient en file indienne sur le bord de la route, et un nombre incalculable de voitures avaient été abandonnées par leurs occupants, jusque sur la plage ! Nous avons eu beaucoup de mal à trouver un endroit où nous garer ! Maman répétait sans cesse à Papa de faire demi-tour, de ne pas entrer dans ce jeu idiot, de ne pas participer à cette folie. Nous nous sommes arrêtés très loin du site, et nous avons parcouru les derniers kilomètres à pied. À l’approche de la zone, la rumeur montait, comme un grondement, une clameur qui semblait venir du centre de la Terre et faisait vibrer le sol un peu plus à chaque pas...
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A suivre...
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