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Les trois autres reviennent à pas vifs. Ils s’engouffrent dans la voiture.
- Continuez tout droit commandant ! Dit son guide, il y a une piste beaucoup plus carrossable au bout du douar, vous prenez à droite et ça va vers le Ksar des français, c’est eux qui l’ont fait aménager et payée.
- Ils auraient pu aménager aussi la rue principale de ce bled tant qu’ils y étaient, râla Hamid.
- C’est peut-être volontairement qu’ils ont laissé un accès difficile à leur piste, rétorqua Farouk. Bon, en attendant, vous surveillez bien votre portable, si des infos remontent, on a laissé nos deux numéros, alors on est vigilants. Faites moi un topo sur les maisons ! Vous les avez toutes visitées ?
- Oui, plus ou moins vite. Drôle de sensations. Rien à signaler de particulier, pas de casse, ni de sang, ni d’aucune sorte de violence. Mais tout est là comme si les habitants avaient tout laissé en plan et allaient revenir et reprendre leurs activités. Il y a encore de la nourriture dans les assiettes, vieille, moisie et sèche ; ça fait plusieurs jours que personne ne vit plus dans ces gourbis. Vraiment, j’ai une sale sensation.
Ils arrivent enfin au bout du village et s’engagent à droite sur la piste parfaitement carrossable.
- Vingt minutes de piste et on tombe direct sur le ksar, annonce le gendarme devant.
- On distingue le haut d’une antenne relais, remarque Farouk, ils ne se refusaient rien les français, hein ?! Tant mieux, on aura plus de facilité pour communiquer avec tout le monde.
L’approche du ksar est sinistre, tout les quatre ressentent le malaise. Des champs à perte de vue avec un pauvre maquis d’épineux et quelques rares touffes d’herbes sauvages mais pas âme qui vive; un silence irréel.
Ils commencent à apercevoir les contours du mur d’enceinte du ksar, ça ressemble presque à une fortification. Toujours le silence, ni bêtes, ni hommes, pas même un oiseau. Farouk regarde Hamid dans le rétroviseur, il voit que son adjoint a des suées sur le visage. Lui fait mine de rien mais la sueur lui coule dans le dos tant son malaise est grand.
A leur gauche, juste à l’amorce de la dernière ligne droite avant l’imposante demeure et son énorme portail, ils remarquent un énorme bûcher. Les deux flics se regardent envahis d’un sinistre pressentiment.
- Descendons et allons voir un peu les restes de ce feu, commande Farouk en stoppant net la voiture, ça ne me dit rien qui vaille.
Les quatre hommes s’avancent, les deux gendarmes derrière les flics. Hamid arrive le premier devant le tas carbonisé. Farouk est au téléphone voulant profiter de l’antenne pour appeler son collègue en France. Les trois autres l’appellent assez excités.
- Chef ! Il y a plein d’os, de carcasses de moutons, de chèvres, beaucoup.
Il coupe l’appel et les rejoint. Le spectacle est immonde tellement il semble y avoir un grand nombre d’animaux sacrifiés. Il espère que ces pauvres bêtes étaient mortes de maladie ou autre et qu’elles ont été brûlées post mortem.
- Allez prendre la pelle qui est dans le coffre, intime t-il au premier gendarme et on va dégager tout ça pour voir combien de bêtes sont là.
Aussitôt dit aussitôt fait, le gendarme dégage à grands coups de pelle la cendre et les bois noircis.
- Stop ! intime Farouk, mettez vos gants !
Il a déjà les siens enfilés suivi de près par son adjoint ; les gendarmes restent les bras ballants. Les deux flics dégagent fébrilement en triant soigneusement des os de toutes tailles et formes. Hamid se tourne vers les deux autres.
- Venez nous aider ! Mon dieu, chef, vous croyez que c’est ce que je crois que c’est ?!
- Nous n’avons pas de gants en plastique, lancent les deux autres.
- Mettez vos gants de cuir et magnez vous par ici, tempête Farouk, dégagez les débris pour isoler les os.
Ils s’activent tous les quatre rapidement, les deux flics trient les os dégagés et font un tas à part d’une certaine sorte. Ils s’arrêtent enfin, il leur faudrait être au moins deux ou trois de plus pour dégager tout les tas de débris carbonisés mais ils ont déjà de quoi faire. Ils examinent chaque os un à un et les reposent près du tas de cendres.
- Putain ! Quelle horreur ! S’exclame Hamid, ce sont des os humains !
Le plus jeune des gendarmes s’est éloigné pour vomir et l’autre est comme frappé de paralysie devant l’effroyable découverte.
- Hamid ! Prends des photos de tout ça et appelle Agadir pour qu’ils envoient les techniciens et un légiste aussi, s’il y en a un de disponible. Dis leur de venir avec un gros véhicule ; mais avant transfère moi toutes tes photos dès que tu as fini de flasher le site. J’appelle les français tout de suite pour leur dire ce qu’on a trouvé avant d’aller visiter la maison.
Le téléphone de Louis sonne à tue tête une rengaine orientale. Il rit :
- Ce sont les collègues du Maroc, ils ont dû trouver quelque chose.
Il décroche et met le haut parleur.
- Salut, Farouk !
- Salut, Louis ! On a du nouveau et ce n’est pas beau ; on va vous envoyer les premières photos. On n’est pas encore entrés dans la maison.
Il lui fait l’exposé de ce qu’ils ont trouvé et de l’environnement général du bled et des abords du ksar.
- Capitaine Farouk ! Salut ! Dès que vous serez dans la maison, cherchez le sous sol, cherchez bien et rappelez nous dès que vous y serez et surtout continuez à faire des photos et envoyez les nous.
A l’autre bout, un blanc…
- Louis ?! Qui était-ce ?
Louis rit franchement :
- C’est notre cheffe de groupe, la capitaine Lisa Péron ! Oui, elle n’aime pas beaucoup perdre du temps en salamalecs, sauf ton respect, alors elle est un peu directe.
- Ok ! dit l’autre, sans plus.
- Bon, maintenant que les présentations sont terminées, reprend Lisa le ton toujours sec, merci capitaine Farouk et tenez nous au courant pas à pas. De notre côté, nous avons la réunion de synthèse avec le commissaire, le proc’ et les équipes techniques en fin de journée. Laissez votre ligne disponible, on se mettra sur hauts parleurs pour que vous puissiez avoir aussi tout ce qu’on a, d’accord ?!
- D’accord, capitaine Péron, et moi, c’est commandant Farouk !
Ils restent bouche bée, le gars a raccroché, sec lui aussi.
- On dirait qu’on a décroché un autre mauvais caractère, rigole Louis.
Toute l’équipe se marre avec lui sauf Lisa qui lève les yeux au ciel et part en bougonnant vers la machine à café. Louis la rejoint en trois bonds et lui caresse discrètement la main.
- Je te taquinais, tu n’es pas vraiment fâchée, dis moi ! En plus, j’adore quand tu lèves les yeux au ciel. Ce soir, après la réunion, tu veux bien qu’on se voie ?
Elle regarde obstinément son café remplir le gobelet.
- Oui, murmure t-elle, toujours sans le regarder.
- Chez toi ou chez moi ?
- Chez toi ! Et elle sourit enfin.
Il rejoint les autres après une dernière légère caresse sur sa main. Il lui envoie son adresse par SMS.
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