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- Bon, fit Farouk, on récapitule ! Hamid, c’est OK, j’ai les photos et pense aussi à photographier le dégueulis du jeune, qu’on l’isole des éléments de la scène ; et dépêche toi d’appeler Agadir, il nous faut le labo le plus vite possible, j’ai un mauvais pressentiment sur ce qu’on risque de trouver dans la maison.

- C’est comme si c’était fait, chef ! Répond l’autre et il est déjà à son téléphone : Photos puis appel aux collègues de la scientifique à Agadir.

Pendant ce temps, Farouk prend à part le plus ancien des gendarmes, laissant le jeune se remettre.

- Ca se présente difficile, collègue, alors il faut appeler votre poste et ceux qui sont les plus proches, il nous faut des renforts. Dites leur que c’est urgent car nous n’aurons personne d’Agadir avant au moins trois ou quatre heures, le temps de réunir tout le monde plus le véhicule. Donc, vous leur demandez un renfort avec six hommes et deux véhicules et qu’ils apportent les fusils de service, on ne sait jamais. On va entrer dans la maison avec Hamid et on laissera le jeune en faction dehors ; vous, vous superviserez la répartition de vos collègues quand ils seront là : deux en faction dans le douar pour veiller à ce que rien ni personne n’entre ni sorte à part nous ; plus deux ici même sur la route près des restes du bûcher, que personne n’y touche, ni homme ni bête avant l’intervention du labo ; plus deux près de la maison, un sur la dernière portion de route, allée et venue de la route au portail, l’autre à l’intérieur. Ici aussi, personne ne doit franchir le seuil du ksar avant l’équipe technique. Compris ? Vous me supervisez tout ça en veillant à ce que tous soient sur le qui vive avec le fusil armé ; il se passe d'inquiétantes choses dans ce trou perdu.

- Compris, mon commandant, j’appelle tout de suite ! On a une bonne réception grâce à l’antenne relais du français.

- OK ! On va entrer dans le ksar, restez près de la voiture, s’il y a urgence, on vous appelle sur votre téléphone ou sur la radio du véhicule

- Bien chef !! Et il se jette sur son téléphone pour exécuter les ordres.

Farouk trouve qu’il en fait un peu trop mais certainement qu’il doit être fier de participer à une enquête de cette envergure, loin des plaintes de voisinage, de vols de poules ou de dénonciation de mauvaises mœurs de la petite gendarmerie rurale. Cela le fait sourire malgré l’ambiance de plomb autour de cette demeure.

Hamid a fini de passer ses appels et le jeune tente de reprendre contenance, ils s’avancent tous les deux vers lui.

- On y va, commandant ? Demande Hamid qui ouvre la marche sans attendre la réponse, pour couvrir d’un pas rapide les cent derniers mètres avant l’énorme portail.

Farouk le suit et le rattrape sans peine de son pas rapide et souple et le jeune gendarme est bon dernier, un peu essoufflé, forcé d’adopter une marche rapide pour être au rythme des deux autres. Durant la marche Farouk a pris le temps d’envoyer leurs photos à Louis et il est impatient d’être à ce soir pour suivre la réunion de synthèse des français. Il ajoute un petit SMS : "Ami, merci de présenter mes excuses à ta cheffe de groupe pour avoir raccroché sèchement. A ce soir".

Hamid arrive le premier au lourd portail de bois clouté et il actionne la sonnette, pas d’écho de sonnerie à l’intérieur, la maison doit être implantée assez loin des murs d’enceinte. Silence derrière les hauts murs. Il y a un magnifique heurtoir en bronze, une tête de dragon de vingt centimètres de haut au moins, Farouk l’empoigne et heurte par trois fois le portail faisant résonner la plaque de cuivre épais qui se trouve sous le motif. Toujours le silence, lourd et palpable.

- Il n’y a personne mais c’est étonnant qu’à leur départ ils n’aient pas laissé au moins un gardien pour veiller sur la propriété, s’étonne Hamid

- Une grande maison comme ça, si luxueuse, c’est deux ou trois gardiens le plus souvent, renchérit la jeune recrue. Ca c’est sûr, c’est vraiment bizarre !

- Hamid sort ton arme et tiens toi prêt, ordonne Farouk en armant son Sig, on va rentrer. Je tente le plus simple et ensuite on fait sauter la serrure.

Il tourne la lourde poignée et soupire de soulagement, le portail s’ouvre doucement, il faut vraiment pousser tant il est massif.

Armes au poing, le jeune derrière, ils entrent dans une large galerie qui semble faire tout le tour de la muraille. Farouk repère une porte à gauche et une autre à droite de chaque côté des piliers de soutien qui desservent chacune un bâtiment carré d’une trentaine de mètres carrés.

- Les maisons des gardiens, sûrement, déclare Hamid.

Ils inspectent du regard, sans bouger de leur position, le reste du domaine. La maison de maître trône, à environ trente mètres de l’entrée, au milieu d’un magnifique jardin à l’andalouse, avec fontaine circulaire, massifs de roses, de bignonias, jasmins et bougainvillées, architecturés par des massifs de rocailles mêlant toutes sortes de plantes grasses er cactées ; les seules à avoir résisté. Le reste, tout à l’abandon, fontaine sèche, massifs flétris, depuis plusieurs semaines semble t-il.

Ils distinguent encore deux autres bâtiments aux angles opposés de l’entrée, plus petits.

- Des locaux techniques là bas derrière, commandant ? Ils ont l’air vraiment plus petits.

- Oui, sûrement, confirme Farouk, peut-être y a-t-il une piscine derrière la maison et même un autre bâtiment, la maison est trop massive, on ne voit rien.

- Commandant, vous voulez que je fasse le tour des extérieurs avec le bleu et vous restez en appui ici ? Après, on rentre tous les trois dans la maison, qu’en pensez-vous ?

- OK ! Allez y par la droite, on a une meilleure visibilité et après vous revenez vers moi par la gauche. Le bleu, sortez votre matraque, ça peut servir.

- D’accord, chef ! J’ai même aussi un sifflet !

- Pas bête, rigole Farouk, suivi par son collègue, si il y a urgence ou danger, vous sifflez et j’accours !

Ca lui donne une idée. Il appelle le gendarme superviseur, lui demande de vérifier que tous les gars du renfort de gendarmerie aient leur sifflet. S’il y a urgence ou suspicion d’intervention extérieure, le gendarme sur le coup siffle et avertit les autres et ainsi de suite, jusqu’à lui. L’autre trouve que c’est une bonne idée ; enfin ces sifflets vont servir à autre chose qu’à faire avancer des voitures sur les routes des bleds où il n’y a aucun embouteillage. Juste pour dire qu’ils sont là.

Farouk se marre.

Pendant ce temps, Hamid et le bleu sont partis à pas lents en longeant le mur intérieur de la galerie, histoire d’être le plus à l’abri possible en cas de tir ou d’agression.

Une fois seul, il revient à ses premières sensations quand ils sont entrés sous la galerie. Hormis le silence comme un couvercle étanche, une odeur l’avait assaillie. Il savait qu’elle était diffuse et mêlée à l’odeur de la poussière et à celle des roseaux vernissés posés en lambris sous le plafond de la galerie selon l’art traditionnel des bâtisseurs marocains ; mais elle était bien là. Ses capacités olfactives et auditives étaient un peu hors normes et, malgré quelques inconvénients évidents, cela lui rendait bien des services dans son travail.

Il regarde les deux autres avancer lentement et se concentre ; il sait ! Métal ferrique ! Du sang ! Il observe autour de lui, tout a l’air nickel, pas une trace. Les portes ! Cela doit être derrière les portes. Homme ou bête ?! Il transpire et appréhende ce qu’il va découvrir. Porte de droite ! Il ouvre et allume ! L’odeur lui saute aux narines mais la pièce, cuisine et petit salon marocain, est vide et sans trace de violences ni de sang. Il la traverse vers une porte au fond, la chambre sûrement. Il ouvre, allume !

- Putain ! Merde ! Putain ! Il a retrouvé, sous le choc, les mots orduriers appris avec ses collègues français lors de son année de stage de jeune inspecteur à la PJ de Lyon, un privilège dû à ses excellents résultats.

Dans la chambre, un carnage, deux corps en décomposition déjà, mitraillés à bout portant, en rafale, quasiment découpés par la mitraille. Du sang partout, le sol, les murs, le lit, le tapis, jusqu’au plafond. Deux hommes, semble t-il ! La main devant son nez, il éteint tout et ressort en refermant soigneusement les portes telles qu’elles étaient.

Il se dirige rapidement vers la porte de gauche, ouvre, allume, le calme, tout est à sa place. Mais l’odeur ! Ici aussi, prégnante. La porte de la chambre, allume !

- Bordel !! Il ressort après avoir éteint et refermé toutes les portes.

Il prend une grande goulée d’air. Encore plus insupportable, deux corps ! Une femme semble t-il, reconnaissable aux amples robes des paysannes berbères, et un enfant. Mitraillés, hachés, du sang partout ! L’horreur à laquelle on ne s’habitue pas !

Il respire encore avec avidité puis prend son téléphone pour appeler les collègues d’Agadir.

- Farouk ! Passez moi l’équipe qui doit venir au bled sur l’affaire du ksar des français, c’est ultra urgent !

Un déclic et il est en ligne avec le labo.

- Mo ! C’est toi ? C’est Farouk ! Ca devient une sale affaire, une vraie sale affaire !

- Oui, je t’écoute mon ami ! répond d’une voie gouailleuse Mo, le chef du labo, avec toi, c’est toujours une sale affaire, tu es sur tous les mauvais coups, Sherlock Holmes – sauce Maroc !

- J’ai déjà quatre corps en plus des ossements qu’on a signalés avant. Il faut que tu mettes absolument la main sur un légiste et une voiture de l’institut médico-légale. Je crois qu’on n’est pas au bout de l’horreur !

- OK, commandant, je fais de mon mieux mais ça va prendre du temps, on ne sera pas là avant la fin d’après midi.

- OK ! J’ai fait le nécessaire avec les gendarmes pour sécuriser la zone.

- Bien ! Salut !

- Salut, Mo !

Il appelle le gendarme superviseur sur la radio de la voiture avec son talkie : - Ici Farouk ! Des nouvelles des renforts ?

- Ici Ali, gendarme superviseur ! Oui, ils sont partis de suite après mon appel, ils devraient être là d’ici trente à quarante cinq minutes ; je les déploie comme prévu, commandant !

- Parfait, appelez moi dès que tout le monde est là et installé ! Ouvrez l’œil, l’affaire tourne encore plus mal, je viens de découvrir quatre corps dans les maisons de gardiens ! Hamid est parti avec le bleu faire le tour des extérieurs pour sécuriser avant qu’on entre. Voilà pour les nouvelles ! Soyez vigilants et prudents ! Et il coupe.

- Bien commandant ! Et il coupe.

Il voit arriver Hamid et le bleu sur sa gauche.

- RAS pour nous, commandant ! Résume Hamid. Deux locaux techniques, un pour la piscine, un pour le jardin. Une grande piscine sur l’arrière le long de la maison, pas d’autre bâtiment.

Il leur fait un rapide topo sur ses découvertes dans les maisons de gardiens et demande à Hamid d’aller faire des photos et de les transmettre à Mo à Agadir et ensuite de lui transférer le tout sur son portable. Le bleu est déjà tout blanc.

Dix minutes plus tard Hamid est de retour, le teint un peu plus pâle.

- Par Allah ! Quelle horreur ! C’est qui ou quoi, le malade qui a fait ça ?!

En même temps, il envoie son fichier photo à Mo et à Farouk. Ce dernier transfère le tout à Louis avec un court message : - Ici, ca se corse ! Un carnage dans les maisons de gardiens ! Quatre corps ! Deux hommes, une femme, un enfant ! On est dedans dans quelques minutes. A ce soir !

- On va entrer dans la maison !

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