Etonnement
Si, Lecteurs, vous suivez bien ma logique, vous aurez déjà compris que je ne chercherai nullement à créer les conditions d’une rencontre plus précise. Je ne m’imposerai nullement auprès de celle qui deviendra ma Muse, sûrement pas ma maîtresse. D’ailleurs en aurait-elle éprouvé la simple envie ? ‘Passante’ a terminé sa tasse de thé, a réglé ce qu’elle doit, s’est levée, laissant les ‘Elégies’ sur place. J’esquisse un mouvement pour lui signaler son oubli. L’aubergiste m’indique qu’Aušra est coutumière du fait, qu’elle destine ainsi son ouvrage à un possible lecteur. Alors, que me reste-t-il d’autre à faire que de me saisir des ‘Elégies’, de les emporter dans la chambre de ma résidence, d’en lire quelques poésies au hasard. Ainsi, par le plus étonnant des aléas du destin, me voici en possession de son prénom, ‘Aušra’, dont je saurai bientôt qu’en lituanien il signifie ‘aube’. Un signe sans doute d’une logique du temps. Toujours la lumière succède à l’ombre.
Etonnement que le mien de découvrir l’ouvrage en langue française. Aušra est donc francophone. Aussitôt je lui suppose mille occupations sans doute aussi fantaisistes les unes que les autres. Journaliste, correspondante d’une revue publiée en France. Ma sœur jumelle, en quelque sorte. Traductrice de romans lituaniens en français et d’auteurs français en lituanien. Peut-être romancière elle-même dont j’aurais souhaité que nos fictions respectives puissent se confondre en un unique creuset. Voici que le sujet de mon roman commence à s’étoffer. Voici qu’Aušra en devient le foyer rayonnant, le centre qui infusera à l’ensemble du texte cette mélancolie lituanienne teintée de gris, armoriée du jaune fané qui convient aux livres anciens oubliés dans le clair-obscur d’un grenier. Chaque jour qui passe reproduit le cycle toujours recommencé de la vision à distance, du parcours vers le village, du thé consommé à deux tables voisines qui demeurent séparées comme le sont deux collines par un vallon qui les isole chacune en son être. J’aurais pu prétexter la pratique d’une langue commune pour tenter une approche. Mais je sentais qu’une telle initiative serait contraire à l’intérêt du roman en cours. Il fallait que mon Héroïne demeure le personnage qu’elle était, autonome, libre de ses mouvements. Aurais-je décidé de l’annexer à la réalité que ma fiction, atteinte en son essence, ne serait devenue que journal prosaïque consignant le flux d’événements nécessairement contingents.
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