Il ne savait pas pourquoi il réagissait ainsi. Mais c’était quelque chose qui le prenait de façon insidieuse, une angoisse, une peur panique à l’idée d’être en retard.

Il disait que c’était une question d’éducation, de politesse. Mais en fait, il arrivait tout à fait à accepter d’être en retard, quand ça ne concernait que lui. Manger en retard, aller à la deuxième séance de ciné parce qu’il avait raté la première et bien d’autres choses encore, ne lui posaient absolument aucun problème.

Mais dès que ça impliquait des tierces personnes, il ne pouvait pas être en retard. Sinon, ça en devenait physique, l’énervement, la boule dans la gorge et cette sensation qu’il n’y pouvait rien.

Que pouvait-il faire, sur son quai de gare, pour faire circuler des trains bloqués par la neige ? Que pouvait-il faire, les mains sur le volant devant la longue file des voitures qui attendaient, ne sachant ce qui avait causé ce gigantesque embouteillage ?

Alors bien sûr, il avait sa méthode, partir toujours en avance, très en avance. Il préférait attendre plutôt que de prendre le risque de devoir s’excuser, d’appeler pour prévenir.

L’angoisse refluait quand il maîtrisait tout ça. Mais des fois, les évènements étaient contre lui, sans qu’il ne puisse rien y faire.

D’où venait cette angoisse ?

Il se revit, les yeux baissés sur ses chaussures, dans cette pièce vide de tout bruit désormais. Et cette voix, douce mais lasse.

« Ne t’inquiète pas, Gabriel, Maman va bientôt venir te chercher. »

Et du haut de ses quelques années d’existence, il ne comprenait pas qu’on puisse l’oublier presque chaque jour, lui qui n’oublierait jamais plus.