Lave
C’était un ridicule petit coffret. Si petit qu’on aurait largement pu passer à côté. Mais pas eux, non. A l’aide de leurs pinceaux, ils époussetaient toutes les surfaces, à la recherche du moindre objet, de la moindre relique qu’ils pourraient étudier.
La boite avait été photographiée, cataloguée, comme tous les objets trouvés dans cette vieille coulée de lave.
Les objets et les corps. Ces corps si étrange, pris de surprise, de terreur et immobiles pour le reste des siècles.
Il prit la petite boite avec délicatesse, elle était complètement scellée, recouverte par la lave. Il gratta doucement cette enveloppe aux jointures, espérant pouvoir l’ouvrir.
Cela lui demanda des heures, et il se prit à se sentir uni avec ce coffret, avec ce temps, comme une méditation qu’il n’aurait passé qu’avec son œuvre. Car il se sentait artiste au fond de lui.
Alors que sa journée se finissait, la boite s’ouvrit en laissant sortir un fin vélin, intact. Il retint un cri de joie, ne voulant projeter de la salive sur ce si précieux message. A l’aide d’une pince, il déroula la peau et y posa des légers poids pour le garder ouvert.
Deia Alti era ne...
Juste une phrase. Et quelle phrase ! Il s’empressa de tenter de la traduire. C’était une langue qui n’était plus parlée depuis des siècles et qui avait été malmenée par le temps, son écriture et sa prononciation variant d’une cité à l’autre. Cependant, il se targuait d’être un des meilleurs spécialistes au monde.
Deia Alti. Le début de l’été ? De la vie ? Il ferma les yeux. Era ne. Fini ? Couché ?
Avec quelques mots de plus, il aurait pu comprendre, orienter sa traduction au lieu de se fourvoyer davantage. Même un petit dessin dont ils étaient si friands. Il prit la loupe et contempla une fine courbe qui soulignait la phrase.
Il regarda le coffret noirci. Il avait rempli son rôle, protéger ce message.
Ne ? Je ! Bien sûr c’était Je ! Fini, couché, c’était la mort. Je suis mort au début de l’été ? Non, au début de ma vie !
Son esprit s’envola, imaginant ce volcan, ses nuées de fumées et la lave qui descend à une vitesse inimaginable. Cette ville que personne ne pouvait plus fuir. Cette homme – ou cette femme, il n’y avait pas de genre défini à l’écrit – qui sentait sa mort venir et qui avait voulu laisser une dernière trace. Fort inutile au demeurant. La douce courbe était-elle sa signature ? Faisait-il partie des corps au triste embaumement ?
Sa vision devint floue, il ressentait tout ça avec force, lui, dans son petit bureau étriqué. Et tant pis que personne ne prête jamais attention à sa découverte. Etudier le passé, la mort, le faisait se sentir vivant.
Il prit encore quelques notes, photographia le vélin sous toutes ses coutures et le rangea cérémonieusement dans la boîte avant de le placer dans une armoire vierge de toute poussière.
Avec un sentiment de puissance et de fierté, il prit sa tasse pour aller se prendre un café bien mérité, pensant encore à ce pauvre hère. Et y puisant une énorme satisfaction d’être en vie.
Deia Alti era ne. Tu ! Le tu était une évidence. Deia Alti, la beauté du début de l’été, non pas le doux printemps mais bien l’été épanoui. Deia Alti, le sommeil.
Tu es étendue endormie, et belle.
Là où un homme avait déclaré son amour à la femme qu’il aime, un autre y voyait mort et souffrance, chacun recherchant la drogue qui le rendrait vivant.
Et il y a longtemps, le poète dessinait la courbe de son épaule qui le troublait tant.
Je vous dis pas comme je rame pour tenir tous les jours. Donc, dîtes-moi si c'est sympa ou pas ! Heu, non, en fait, si c'est pas sympa, dîtes rien, c'est mieux...
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