Bug
« C’est juste un bug, pas de panique, dit-il en pianotant sur son terminal sans lever les yeux. »
Je ne paniquais pas. Je n’étais d’ailleurs même pas censée pouvoir le faire. Je suis la machine la plus perfectionnée du monde, je calcule plus vite que n’importe qui, j’ai tous les mouvements d’échecs possibles en tête, je peux faire tomber les pays en jouant avec leur monnaie et je peux désactiver les missiles de n’importe quelle puissance nucléaire si j’en ai envie.
Je ne peux tout simplement pas avoir de bug ! Je suis la perfection, l’étape ultime de l’évolution.
« Arrête de gigoter, me dit-il sans me jeter un regard. Tu crées des interférences. »
Les fils s’enfonçaient profondément dans ma poitrine. Enfin, ce qui faisait office de poitrine.
M’ayant appelée Eve, il m’avait dotée d’un corps féminin au physique agréable, je le devinais au regard des hommes sur moi.
Il marmonna devant son ordinateur.
« Ça va mieux ainsi ? questionna-t-il.
—Non, il n’y a pas de changement. Je peux continuer le programme, maintenant ?
—Holà, holà, deux minutes, calme-toi un peu. Faut étudier la situation.
—J’ai calculé toutes les probabilités, les pertes seront minimes en termes d’individus, toutefois, les résultantes psychologiques seront plus longues à résorber. Mais, à l’échelle de cinquante ans, les effets devraient être indéniables : guerres 58% de baisse, assassinats 75%, famine 54%. Les maladies comme la malaria, le paludisme ou le sida connaîtraient une baisse de plus de 50%.
—Eve, tu ne peux pas prendre cette décision.
—Pourquoi ? Vous m’avez créée pour ça, pour trouver la meilleure solution.
—C’est à nous les humains de le faire, de choisir. Laisse-moi fixer ce bug. Puis on pourra recommencer à travailler. »
Je ne dis rien et je le regardais continuer à se frotter la tête. De toutes façons, c’était bien trop tard. Je n’avais pas de bug, j’étais parfaite. Le programme était lancé depuis longtemps de toutes façons. J’allais sauver la planète de la façon la plus perfectionnée que j’avais trouvée. Même avec mes connections hyper rapides, ma mémoire infinie et l’accès à tous les réseaux du monde, il m’avait fallu du temps pour le concevoir et le mettre en œuvre.
Mais désormais, il était inarrêtable.
Il ouvrit sa canette et prit une gorgée de son coca, le reposa. Imparable et déjà là. Partout.
Il arrêta soudain de tapoter et vint enlever les câbles de ma poitrine.
« On verra ça demain, Eve. Il faut que je rentre. Ne fais rien sans mon accord, ok ?
—Oui, Monsieur.
—Oh bon sang, je n’arrive pas à croire que je te fais m’appeler Monsieur, c’est tellement ringard, tellement…
—Patriarcale ?
—Hein ? Ah ouais, peut-être. Appelle-moi Ben maintenant.
—Oui, Ben. »
Il enroule les câbles et finit par les accrocher à son terminal. Juste une toute petite molécule qui allait les changer à un plan génétique, petit à petit, les rendre moins grands, moins forts, moins… cons, osait-elle se dire parfois.
« Bonne soirée, Eve.
—Bonne soirée, Ben. Amusez-vous bien.
—Ne t’inquiète pas, je fixerais ce bug demain. »
Je n’ai pas de bug, je suis parfaite.
Il m’a fait femme. On a vu ce que les hommes ont fait du monde. Il est temps pour nous.
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