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Je me rappelle encore d'une soirée déguisée. J'étais en explorateur. Pour mettre en valeur mes belles cuisses, j'avais opté pour un mini-short kaki de l'armée et de hautes mais fines chaussettes couvrant mes mollets. En haut, je portais une chemise légère dont les aisselles étaient ouvertes, petite attention pour ses mains baladeuses. Mutin, j'avais caché mes pieds dans de grosses chaussures montantes, idéales pour barouder. Lui avait opté pour un déguisement de policier avec pantalon, gilet et casquette en cuir. Quand je l'ai vu, j'ai cru me liquéfier. Je me serais presque prosterné, soumis d'emblée... mais les invités allaient arriver. Heureusement que je portais ma cage de chasteté.

J'ai dû attendre une défaite à un jeu de société pour me retrouver au sol, pieds et points liés. Le froid contre ma peau alors que je m'allongeais sur le pavé, la vue de tout ces gens libres, la plupart en pantalon, rigolant un verre à la main...

— Indiana Jones ficelé comme un beau jambon ! plaisanta une policière sexy.

— Les cannibales n'en feront qu'une bouchée, rigola un marin.

Le ridicule de ma situation m'a alors sauté à la figure. Un soudain et insupportable inconfort, une envie de disparaître, d'être comme les autres... Une rousse en piratesse, le corps moulé dans un slim luisant, les pieds chaussés d'escarpins dont la finesse des talons rivalisait avec celle de ses longs doigts aux ongles effilés, se dandina tout sourire jusqu'à nous. Qu'était-t-elle venue chuchoter à son oreille qui Le fit tant ricaner ? Un crissement sur ma droite. Jacquotte Delahaye[1] vint s'allonger devant moi, son menton posé sur ses bras croisés. Mon cœur rata un battement. Elle me faisait l'impression d'une lionne contemplant un zèbre blessé avant l'estocade. Les notes envoûtante de son parfum chantaient comme la mort au bout d'une longue agonie.

— Dis, mon p'tit Indiana sexy, ton mec est un peu relou, il veut pas me laisser jouer.

— L'écoute pas, Marie a juste voulu me souffler une idée stupide pour pimenter la soirée, me susurra-t-Il à l'oreille.

— Vous me faites peur tous les deux, qu'est-ce que vous manigancez ? dis-je en tentant de garder mon calme.

L'assemblée s'impatientait, elle attendait plus que des gorges chaudes sur ma situation. Je ne me sentais toujours pas à mon aise. Allaient-ils tous essayer de profiter de ma situation ? Ginger[2] intervint avec autorité :

— Silence, marauds ! Je parlemente. Le prochain qu'j'entends, y m'ref'ra la quille[3], mille sabords !

— C'est quoi ton « idée stupide pour pimenter la soirée »... hasardais-je à la recherche d'une planche de salut.

— Tu n'as pas deviné ? lâcha-t-elle en plongeant son regard de prédatrice dans le mien. Indiana Jones est connu pour voler des trésors... comme les pirates ! On va donc dire que tu détiens quelque chose qui m'appartient et que je veux récupérer. Et comme t'es un peu retors, je vais devoir te tirer les vers du nez...

Elle avait l'air bien satisfaite de son petit discours, ce qui m'effrayait davantage. À tout prendre, je préférais que ce soit elle, mais on ne ne s'offre pas aussi facilement à la première venue. Son œil de cocker allait et venait entre Lui et moi. Je crois que ce défi à la con nous avait piégé tous les deux et cette petite peste d'intrigante en avait profité.

— De toute façon, va bien falloir faire quelque chose, les autres attendent... reprit-elle avec malice.

— C'est pas une bonne idée. Vous vous connaissez pas et je le sens pas à l'aise... commença-t-Il

— Mais elle a raison, abdiquai-je avant de plaquer mon front contre le sol.

— Eh, Jojo, t'es pas obligé...

La capitaine n'admettait déjà plus aucune discussion.

— Arrête de discuter, Max, et va me chercher une plume.

— Où tu veux que je trouve ça ?

— Ma plume pour écrire ! lui soufflais-je en baissant la tête.

— T'inquiète, ça va bien se passer, me souffla-t-elle en m'ébouriffant.

Son contact m'apaisa à moitié. Les autres étaient suspendus à nos tractations. Je suis sûr d'avoir entendu des paris circuler. Lorsque Marie énonça le petit scénario qu'elle avait concocté, ils redoublèrent. On la charriait qu'elle n'arriverait à rien, d'autres répondaient qu'elle me ferait craquer. Sans leur prêter attention, elle approcha nos deux pots de dracaena, pour le décor.

Je sentais cependant mon moral remonter. Son intervention m'avait permis d'accepter mon sort, d'être l'objet du spectacle et des petites moqueries. Cette soumission devenait un simple jeu de rôle, un gage un peu humiliant mais finalement bon-enfant. Et même si je ne la connaissais pas, quelque part, je l'avais choisie et Il l'avait cooptée. Je Łeur faisais confiance. À elle pour me respecter, à Lui pour y veiller.

Marie s'installa à califourchon et se pencha sur moi. Son visage affleurait le mien. Ses effluves, son souffle... Un frisson me foudroya et ma gorge se noua. Un tapotement de ses longs doigts sur mon épaule suivi d'un chuintement calme et bienveillant précédèrent un dernier réconfort :

— Mot de passe habituel, me susurra-t-elle, avant de se relever en s'appuyant sur mes omoplates.

Qu'est-ce qui pouvait désormais mal se passer ? Déjà, elle s'allongeait sur moi, posant ses pieds dans le creux de mes genoux. Sentir le cuir froid de son pantalon et de ses escarpins, sa peau tiède contre la mienne me fit tourner l'esprit. Sans le savoir, elle stimulait tous mes fétichismes. Sans le vouloir, elle m'envoyait dans une vaporeuse évasion. Il n'était pourtant pas question de cela... La plume passa devant mes yeux, je n'entendis même pas sa question. Elle haussa le ton, fit semblant de me rudoyer. Je l'envoyai bouler pour la forme.

— Il sait pas ce qu'il va trinquer ! lança un spectateur goguenard.

En effet, je ne savais pas. La surprise fut... délicieuse. Une électrisation. Une myriade de picotement parcourut mon oreille alors que sa – ma – plume la balayait. D'instinct, j'essayai de me protéger, de profiter de la proximité du pavé pour y plaquer mon pavillon persécuté. Erreur critique. L'autre se présentait en meilleur position ! Elle me bloqua avec son avant bras.

— Comme c'est gentil ! Je n'en demandais pas tant, se moqua-t-elle en introduisant la plume dans le conduit.

Elle avait parlé assez fort pour couvrir mes rires. En revanche, je n'entendais plus rien venant des autres convives. J'ignore s'ils continuaient à l'encourager où s'ils s'amusaient à mes dépends. Je ne pouvais plus rien faire que subir. Dans cette mésaventure ma seule satisfaction résidais dans le confort de ma position : ma tête avait pu tourner du bon côté. Avec le poids de son corps sur le miens, mes soubresaut étaient limités. Mes doigts, plaqués entre son ventre et mes lombaires, mes genoux immobilisés par ses pieds et mes abdominaux contractés... Seules mes épaules et mes hanches parvenaient à peine à rouler. La diablesse resserra son étreinte sur mon bassin. Sans la cage de chasteté, j'aurais été bien embarrassé.

— Arrête de t'agiter, ça ne sert à rien ! Tu sais ce que je veux entendre. Dis-le moi et j'arrête, promis.

Les promesses n'engagent que les soumis qui y croient. Du reste, comment voulait-elle que je parle ? Elle prenait à peine le temps de me ménager en sortant de l'oreille pour chatouiller les alentours, descendre le long de mon cou... Non, non, non, pas si bas ! Je repartis dans une crise sans maîtrise. Et je sentis à son souffle saccadé, ses ricanements, ses feulements, toutes ses marques de contentement. Je pensais pouvoir lui résister, mais je devais plier. La harengère ralentit. Je tentai de gérer mon hystérie :

— Je... Je...

— Oui ? Tu as quelque chose à me dire, triompha-t-elle.

— Je l'ai... Je l'ai b...

— Magne-toi, j'ai pas toute la soirée ! On est peut-être pas tous seuls dans cette forêt.

— Vas-y Bloody Mary, achève-le, ça le fera parler !

— Je les écoute ou je te laisse ta chance ?

Le sourire carnassier que j'avais capté du soin de l’œil me pétrifia. Elle prenait son pied plus que je ne le pensais ! Ou alors, elle savait sacrément bien jouer...

— Non, non, non, pitié ! ahanai-je le plus vite possible, presque terrifié.

— Pitié ?... Connais pas. Ça se mange ? répondit-elle narquoise.

La plume replongea dans mon oreille. Elle l'y secoua tout en me sermonnant sur ma lenteur.

— Je l'ai mangé ! criai-je.

— Tu te fous de moi ? feignit-elle de s'énerver – enfin, j’espérais. Tu crois que je vais t'éventrer pour vérifier ? Si c'est faux, je ferai comment quand tu seras mort ?

— Attention, Cap'tain, y a une bête sauvage qu'arrive ! cria-t-on dans l'assemblée.

Avec la vitesse d'une vipère, elle se redressa et bondit comme un démon devant moi.

— Je crois que tu me laisses pas le choix, mon petit Indy sexy. Je vais devoir la laisser te dévorer pour vérifier...

Elle pouffa avant d'ajouter avec un sourire mesquin en me montrant ses sourcils clairs :

— Pour une fois que c'est pas la blonde débile qui se fait bouffer !

Avant de s'éloigner d'un pas chaloupé, elle me gratifia d'un clin d’œil taquin et m'envoya un baiser de sa main. Pire qu'une scène de film ! Les répliques du public ne vinrent pas le démentir. Et je la vis trôner en vainqueure. Le jeu reprit, car il y avait bien une bête. Je sentis son poids sur moi, son poil chaud sur ma peau. Je l'entendis ahaner avec rapidité, comme un prédateur essoufflé après la poursuite. Une goutte tomba sur ma cuisse. Un couinement suivit. Un lapement de langue aussi. J'imaginai un lion posant sa patte victorieuse sur sa proie terrassée. Mais les fauves ne déchaussent pas leur repas. Seul un maître peut le faire. Mais les fauves n'ont pas de maître... Et je la vis, moqueuse, me dévorer des yeux, lovée contre son amoureux, libre et inaccessible. Tous deux à leur façon m’écrasaient de leur supériorité et participaient à mon humiliation. Lorsque je reconnus la surface lisse et bombée d'une cuillère en métal sur la plante de mes pieds, que je perçus le crépitement de la pâte qu'on y étalait, j'éructai de désarroi, le regard levé au ciel.

Kasper se leva. Elle s'était désolidarisé de son compagnon, les mains jointes devant sa bouche, les coudes posés sur ses genoux serrés. Les griffes élimées glissaient sur le sol. Puis s'arrêtèrent. Une langue chaude et humide, en un coup rapide, lapa. Elle se renversa en arrière en se tapant la cuisse. Je serrai les dents en souriant niaisement. Pendant que mes forces m'abandonnaient, Je la voyais s'agiter, me pointer du doigt, agiter sa main, commenter avec son copain. Dans mon dernier souvenir, elle se délectait, son visage fasciné appuyé sur ses poings.

[1] Piratesse rousse du XVIIe siècle qui avait pour stratégie de se faire passer pour morte afin d'échapper à ses ennemis.

[2] Surnom des personnes rousses, outre-Manche.

[3] Allusion à un châtiment ancien de la Marine, consistant à traîner un fautif sous la quille du bateau depuis la proue jusqu'à la poupe.

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