Un héro est né
"Allo.
Bonjour.
Je m'appelle Lucien,
et non pas Lucie, ou luciole."
Le garçon tenait à deux mains le combinet. Il prit une grande inspiration. Débuta alors le discours typiquement précépité de l'enfant camouflant sa panique.
"C'est Jean et Abdel -deux camarades de ma classe- qui s'amusent à me surnommer Lucie parce que mes cheveux font "fille". Ca, c'est quand Arthur, Clara et Ambre ne se moquent pas en me traitant de luciole.
C'est plutôt appréciable comme animal, une luciole. Je veux dire, ça brille dans la nuit, comme une fée. Mais dans leurs bouches, tout se transforme. Dans leurs bouches, c'est répugnant, une luciole.
Ces enfants rigolent tout le temps. Ils ont compris quelque chose que je n'ai pas compris. C'est comme si ils savaient ce qui n'allait pas chez moi, et que moi, je ne pouvais pas le voir. J'aimerais bien comprendre.
Lorsqu'ils me prennent en grippe, j'ai du mal à garder la face. Je me sens rejeté. Sans doute le secret serait de leur tenir tête. C'est de ma faute. Ils n'ont pas tord de rire de moi : je n'ai rien à leur répondre. Je n'ai rien à critiquer chez eux. Ou du moins je ne sais pas comment le faire.
En même temps, quand ils font ça, je suis heureux qu'ils s'intéressent à moi. C'est comme si j'avais l'espoir qu'ils finissent par m'apprécier.
Eh puis, souvent, j'ai une sensation dans tout mon corps. Atroce. Une pierre dans la poitrine. Les yeux par terre. Ca siffle dans mes oreilles. Je crois... je crois que c'est de la honte.
Il y a des fois où j'aimerais rire à leurs blagues -même lorsqu'elles sont sur moi- parce qu'elles sont drôles ; parce qu'ils rient, et j'aimerais rire avec eux. Mais rire, c'est dire qu'ils ont raison. Si je riais, ça dirait : que je suis stupide ; bête ; moche ; gros ; dégoûtant ; répugnant ; gogole ; mongolien ; gamin ; chiant ; galérien ; inutile ; une petite merde ; un décérébré ; un autiste ; un laidron ; un déchet ; un petit con ; une fille ; une luciole.
S'ils sont bons en vocabulaire, au fond, cela veut toujours la même chose.
Et j'ai parfois ri."
"Mmh... Moi je trouve que c'est un très joli prénom, Lucien."
Cela ne résolvait pas tout, non.
Son coeur résonna en suspension.
"Merci Père Noël."
"Dis moi, quel âge as-tu, Lucien ?"
"J'aurai six ans dans cinq jours. Je suis le plus jeune de la classe."
"Alors tu es rentré en primaire ! Comment se passe l'école ?"
"Je n'aime pas l'école. Ma maitresse est sévère. Elle me dit que je suis lent.
Et puis je suis arrivé en cours d'année. Je suis nouveau et je ne me suis pas fait beaucoup d'amis.
Ici, tout le monde se connaît. Pour eux, je suis l'étranger."
"Laisse le temps faire les choses. Je suis sûr que tu vas te faire des copains ! Joues un peu avec les autres."
"Justement, Père Noël, c'est pour cela que je vous appelle."
"Ah oui ?"
"Oui. J'aimerais vous demander de vive voix un cadeau pour ce Noël."
"Je t'écoute, mon petit."
"J'aimerais devenir Spiderman."
Le Père Noël laissa planer un "Mmh..." réfléxif.
"Je savais que vous n'accepteriez pas." Souffla désespéré et au bord des larmes le petit Lucien.
"Est-ce que je peux te poser une question ?"
Lucien hocha la tête.
"Lucien ?"
"Oh... euh oui, oui !"
"Pourquoi est-ce que tu veux devenir Spiderman ?"
"Euh... Il est cool. Il terrasse les méchants ! Et si jamais j'étais Spiderman, avec tous ses pouvoirs, on ne me dirait plus que je suis une luciole."
"Mmh... J'entends ta requête mon petit. Seulement Lucien - pour citer ton héro - un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.
Ton souhait sera réalisé, à la condition de remplir la mission de Spiderman : répandre le Bon et l'Espérance autour de toi tout au long de ton existence, avec Humilité et Intégrité. Retiens bien ces mots. Tu penses pouvoir le faire mon petit ?"
"Euh... Oui, Père Noël."
"Tu me promets de le faire ?"
"Oui, je vous le promet."
Le 24 au soir, était accroché à une branche du sapin en plastique de 6 vies d'âge un médaillon. Il se confondait aux guirlandes bon marché et aux boules de couleurs écoeurantes. Seulement, un faisceau lumineux avait trahi son camouflage et attiré le regard alerte de Lucien. Taillée dans la ferraille, l'arachnéide tendait ses huits pattes au bout d'un fil. Lucien attacha la relique à son cou. Il ne s'en défit jamais, non. Lorsqu'on devient Spiderman, on a le devoir d'assumer son rôle. Lucien était déterminé, en tenant sa promesse, à assurer celui qu'il avait à jouer.
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