Judith

Mardi 08 mars 2016, 10 h 00, Société Avéo Group

La fumée de leurs cigarettes ne parvient pas à dissimuler son anxiété.

Debout dans le coin fumeur de la société, un carré de béton agrémenté d’une poubelle et d’un banc, Judith et sa collègue Sabrina profitent de leur pause. Plus loin, les 4 collègues non fumeurs rient en regardant des vidéos sur leurs portables. Ils sont à côtés les uns des autres et pourtant personne ne se parle !

Vive la technologie !

Ils ont de la chance de ne pas être addicts à la nicotine mais pour le reste c’est à voir.

Pour sa part, elle vient juste de vérifier ses SMS et de remettre son téléphone dans sa poche. Elle attend impatiemment la réponse de Vincent.

Pourquoi ne me répond-il pas ? Ce n’est pas dans ses habitudes.

Ce n’est pas non plus le genre de Judith d’être anxieuse. De nature calme et posée, la jeune formatrice se montre d’ordinaire patiente et pédagogue dans sa vie quotidienne. Comment expliquer les fonctionnalités d’un logiciel de gestion à son interlocuteur si elle est stressée et pressée en permanence ? Pourtant aujourd’hui Judith est sur ces gardes. Elle n’aurait su dire pourquoi, mais son instinct lui dicte une anomalie. Il s’est passé quelque chose avec Vincent, c’est une certitude ! un tel silence de sa part n’évoque rien de bon.

Voilà des heures que je lui ai écrit… A quoi il joue ?

A ses côtés, Sabrina parle quasiment dans le vent. Elle ne se rend pas compte que Judith ne l’écoute pas. Coincée dans un tailleur trop étroit pour sa poitrine et ses formes de gourmande invétérée, Sabrina lève souvent les yeux au ciel tout en crachant sa fumée. Et puis tout à coup, elle se fige. Dans l’une de ses oreilles, une musique ou une information importante semble l’intriguer.

- Michelet… Dit-elle alors en laissant sa cigarette se consumer. Ce n’est pas le nom de l’un de tes clients ?

- Oui… Avance Judith en tentant de rester calme. Les transports Michelet, pourquoi ?

- Vincent Michelet est mort hier soir.

- Mort ? demanda Judith stupéfaite.

- Oui apparemment, c’est ce qu’ils viennent d’annoncer aux infos…

Vincent mort… mais c’est impossible !

- Ça va ? demande Sabrina. Tu es toute pâle.

- Oui j’ai juste froid tout à coup, mentit Judith en se hâtant de finir sa clope. Je vais remonter tout de suite. J’ai beaucoup de boulot…

Sabrina reste seule et en profite pour insérer le second écouteur dans son autre oreille restée libre ce qui lui permet d’écouter pleinement sa musique.

En tremblant, Judith n’ose pas courir dans les toilettes, il y a encore quelques personnes dans le couloir et ne veut absolument pas attirer l’attention, mais si elle le pouvait elle hurlerait.

Une fois la porte des toilettes fermée, elle pousse les 5 autres des box afin de vérifier qu’elle est seule. Puis dans le 6ème cabinet elle s’écroule sur le couvercle.

Elle ne croit pas Sabina. Elle se trompe forcément. Judith se sent vide. Tout à coup elle a un haut le cœur. Elle a besoin d’entendre la voix de Vincent. Elle compose son numéro, tombe sur la messagerie.

Non je ne veux pas y croire ! J’ai l’impression de vivre un cauchemar.

La première étape du deuil c’est le déni. Le refus de voir la vérité en face. Pour nous protéger notre cerveau n’accepte pas les choses, du moins au début. La vision de Judith se trouble. Tout bascule autour d’elle. Assise sur le couvercle des toilettes, ne sentant plus son corps, elle tombe.

- Vincent…murmure-t-elle.

Allongée à plat ventre dans les toilettes, incapable de se relever, comme si une vague venait de la frapper de pleins fouets, Judith sent des larmes coulées sur son visage. Un volcan de douleur monte peu à peu en elle. Pour se libérer de son emprise, elle ramène l’intérieur de son coude devant sa bouche et hurle de douleur.