Chap. 7
Tom
10h22, Commissariat de police de Bordeaux
En entrant dans la salle commune du commissariat, Tom réalise que sa conversation avec Madame Delorme l’a perturbé. Ce n’est pas la discussion en elle-même qui l’a pris de court mais plutôt le caractère de la jeune femme.
Vous pensez que j’ai une relation intime entre deux catalogues avec monsieur Michelet ? Que s’est-il passé avec Mr Michelet ? Sacré caractère la rouquine... ! Il en faut de la détermination pour demander des choses pareilles… surtout dans son état. Ça m’a déstabilisé, je ne la voyais pas comme ça. J’aime les femmes de sa trempe.
Autour de lui, les autres flics plaisantent ou discutent des affaires en cours tandis qu’il avance machinalement jusqu’à son bureau. Le sien est à peu près rangé, mais celui d’Andy Menard son co-équipier, est dans une pagaille monstre, comme d’habitude.
- Salut Tom ! lance Andy sans lever les yeux des photos de la scène de crime. Tu as interrogé la suspecte, raconte.
Mâchant un chewing-gum, Andy tente vainement de faire un peu de place sur son plan de travail. La seule chose qui tient debout est un cadre avec la photo de son épouse. Sur son ordinateur allumé, en fond d’écran, une capture de sa femme enceinte prise dernièrement, le fixe avec tendresse. Blond aux yeux noisette, les collègues féminines du service sont souvent agglutinées autour de lui, son visage poupon et son sourire y sont pour beaucoup.
- Oui mais sans résultat, elle a perdu la mémoire.
- Sans blague… Combien de coupable tente cette méthode avant d’être démasqué ?
- Deux sur dix… Mais là c’est autre chose… Le médecin m’a expliqué son état, je pense qu’elle est honnête.
Face à lui Andy reste amusé par la gentillesse de son binôme.
- Et ben, elle doit être mignonne…
Je ne te le fais pas dire ! Rousse au carré court avec un très joli sourire… très attirante.
- Pas du tout, bredouille-t-il. Je suis déçu. Je n’ai rien appris d’intéressant. Elle dit ne plus se souvenir des évènements de la veille. Pour elle, elle s’est rendue à l’entreprise et après c’est le trou noir. Le médecin dit que madame Delorme est amnésique.
- Comme c’est pratique… ! Bougonne Andy. Crime passionnel ? Peut-être qu’ils sont intimes.
- Elle m’a informé du contraire.
- Et depuis quand on croit les suspects ? Tout le monde ment, tu le sais très bien.
- Je ne sais pas Andy. Je ne pense pas que ce soit si simple mais on verra bien. En attendant allons faire un tour à son domicile. Ensuite nous irons à l’entreprise de la victime, interroger les employés.
- C’est parti pour la pêche aux indices !
11h05, Au domicile de Claire Delorme
Après avoir récupéré les clés de l’appartement auprès de la scientifique, les enquêteurs foncent chez la suspecte, Claire Delorme. Pendant que son acolyte pénètre délicatement dans chaque pièce à la recherche d’indices importants, toujours un chewing-gum à la bouche, le lieutenant Roche de son côté, observe les choses de façon plus générales.
Ce n’est pas de cette manière que je voulais faire votre connaissance Claire…
Roche s’occupe de la fouille du salon tandis que son co-équipier inspecte le reste de l’appartement. Globalement celui-ci est bien décoré, lumineux et rangé. Rien de suspect ne leur saute aux yeux. Pas de document en rapport à la victime, que ce soit des lettres ou des photos. Rien qu’une jeune femme ne devrait pas posséder, même pas un paquet de cigarettes caché derrière une pile de livres ou une bouteille d’alcool planquée dans le fond du buffet de la cuisine.
- Qu’est-ce que tu fais ? questionne le lieutenant Roche en voyant Menard ouvrir le frigo.
- Ben… je vérifie !
Il ne comprend pas.
- Tu vérifies quoi ?
- Que le frigo de Claire Delorme ne soit pas un remake de l’affaire Adixaire !
L’agent Menard plutôt fier de sa blague, explose de rire. Ce qui n’est pas du goût de son collègue mais celui-ci ne dit rien.
L’affaire Adixaire… déjà six ans cette histoire… comment oublier cette enquête ! C’était en 2010, la première intervention de Roche en tant que lieutenant. Dans la nuit du 6 au 7 mai, un homme de soixante ans a été retrouvé mort dans sa maison, vraisemblablement tué à coup de hache, selon les premiers éléments de l’enquête. L’épouse de la victime, âgée du même âge, s’était rendue chez le concierge, immédiatement après les faits. Sur place notre duo de choc avait découvert le corps du sexagénaire déchiqueté sur le canapé, baignant dans son sang ! L’homme a été tué, dépecé, éviscéré puis émasculé. Les lieutenants retrouvèrent son nez, son cœur et ses organes génitaux dans le frigo, mis en bocaux, prêts à être mijotés. En garde à vue, la sexagénaire, sans enfant, a informé les enquêteurs qu’elle souhaitait faire un ragout de bœuf avec les éléments de sa préparation. Manifestement incohérente, elle fut placée en hôpital psychiatrique.
Oui Andy, heureusement pour moi, Claire n’a rien à voir de près ou de loin avec cette affaire… !
11h55, bureau de la société Michelet Transport
Après avoir fouillé de fond en comble de domicile de madame Delorme, sans trop de succès, les lieutenants font maintenant face au grand bâtiment blanc bordé de fenêtres à chaque étage de l’entreprise. L’agent Roche l’a à peine remarqué la nuit d’hier, pressé de voir la victime et la scène de crime. Aujourd’hui en plein jour, il lui paraît d’une propreté sans faille. Les inspecteurs entrent dans le hall. A leur droite figure un panneau d’information. Sur leur gauche à proximité de la porte d’entrée se trouvent plusieurs fauteuils ainsi qu’un escalier menant au premier étage. En face d’eux, le hall d’accueil. Ils s’avancent vers l’hôtesse en montrant leurs insignes.
- Bonjour madame, nous sommes les lieutenants Andy Menard et Tom Roche, dit-il d’une voix douce. Pouvons-nous parler à la direction je vous prie ?
Levant son regard morne par-dessus ses fines lunettes à écailles, la secrétaire parait aussi dynamique qu’un escargot dont le décolleté plongeant dévoile une poitrine trop généreuse pour une si petite taille.
- Oh non je suis désolée… Suite aux circonstances, monsieur Lemoine, notre directeur commercial, a fait venir une psychologue dans les locaux. C’est pour aider ceux qui en ont besoin, raconte-t-elle d’une voix faible et rapide.
- Oui nous comprenons, réplique l’agent Menard d’une voix rassurante. Nous ne nous permettrons pas d’interrompre la séance. Nous reviendrons probablement demain. Cependant est-il possible de discuter avec les personnes qui ont terminé l’entretien avec la psychologue ? Nous serons brefs.
- Oui bien sûr. La psychologue a voulu commencer par les chauffeurs routiers. Je vais les chercher. En attendant, installez-vous dans la cuisine, vous serez plus à l’aise, c’est juste là, indiqua la standardiste en tendant sa main sur sa gauche.
Le réfectoire est fonctionnel, rien ne manque pour les employés. Un four à micro-ondes, un frigo, un plan de comptoir avec vasque ornent la pièce. Plusieurs tables de quatre personnes sont présentées les unes à la suite des autres. Les lieutenants prennent soin d’interroger les cinq chauffeurs séparément. Pour l’instant ils n’en apprennent pas davantage sur les causes de ce meurtre. Apparemment la victime était un employeur gentil, humain, à l’écoute et compréhensif. Aucune mésentente avec ses salariés.
- Ce n’est pas avec ça que l’on va avancer Tom !
- Oui pour l’instant on n’a toujours rien mais il nous reste encore une personne à voir ainsi que les autres membres du personnel. Fais entrer le garçon.
Le lieutenant Menard crie d’une voix grave :
- Monsieur Lemindain ?
Une tête apparait par la porte de la cuisine.
- Je vous en prie, asseyez-vous, ordonne-t-il au témoin.
Celui-ci s’exécute après avoir salué les policiers.
- Monsieur Lemindain, débute Roche, étiez-vous proche de votre employeur ?
- Non mais nous avons de bonnes relations. Monsieur Michelet est très sympa. C’est quelqu’un de bien. Il m’a laissé ma chance pour intégrer son entreprise. Il m’a fait confiance. Malgré mon jeune âge, je l’ai convaincu. Avant je faisais des études dans la mécanique. Mais très vite je me suis lassé. J’ai voulu me tourner vers chauffeur routier. Au début il était réticent mais lorsqu’il a vu ma motivation et comprit que la conduite, c’était ma passion, il a accepté de me prendre en alternance.
- Savez-vous si au sein de l’entreprise, il a des conflits avec un de vos collègues ? intervint Roche.
Le jeune homme se gratte la nuque.
- Non pas que je sache. Une fois par trimestre monsieur Michelet propose des réunions pour connaitre le sentiment de chacun. Pour éviter les problèmes…
- Avez-vous déjà vu ou entendu des conversations ou des faits qui vous ont paru bizarre ? Une altercation ? Quelque chose ?
- Dans l’entreprise jamais. Par contre sur le parking, oui une fois. Il a eu une embrouille… Mais ça remonte à trois mois maintenant. Surement un truc inutile.
Le garçon commence à secouer sa jambe droite, en baissant la tête.
- Racontez-moi, ordonne Roche d’une voix douce. Ne vous inquiétez pas, vous n’aurez pas de problème. Si la personne dont vous allez nous parler est innocente, elle n’aura rien à craindre.
Il prend appui sur la table et croise les bras. Monsieur Lemindain se triture les mains, garde la tête baissée puis raconte d’un air gêné :
- C’était au mois de décembre. Il était huit heures trente. Je m’en souviens, j’avais fait exprès d’attendre monsieur Michelet dans ma voiture. Fallait que je lui demande une journée de congés importante pour moi. Je ne voulais pas faire ma demande par téléphone. Tous les lundis j’ai remarqué qu’il arrivait trente minutes plus tard. Du coup je l’ai attendu. Il est arrivé à l’heure prévue. Il s’est garé dans un coin isolé. Le parking de derrière borde une forêt. Il est descendu de voiture. J’allais faire pareil quand j’ai vu cette femme….
Le témoin marque une pause. Roche reste calme et prévenant :
- N’ayez crainte, vous ne faites de mal à personne en nous relatant votre version des faits. Au contraire, votre témoignage va peut-être nous aider à résoudre cette affaire.
Le regard des deux hommes se croise.
- Vous n’aurez aucun problème, assure Roche. Je vous le promets.
Le jeune homme soupire avant de continuer :
- J’ai ouvert ma portière. Je l’ai entendu hurler sans comprendre ce qu’elle disait. J’étais trop loin. J’étais curieux alors je me suis rapproché. Toujours sans que personne ne me voit. Je me suis mis derrière un arbre. Monsieur Michelet l’a serré par le bras. La femme s’est débattue puis j’ai entendu : « mais je suis ta sœur putain ! Je te le ferai payer ! »
- Aviez-vous déjà vu cette femme ?
- Non jamais, et au début j’ai cru que c’était sa gonzesse parce qu’elle était habillée comme … comme une pute, avoue le garçon d’une voix basse.
- Pouvez-vous faire une description physique ?
- Brune, cheveux sur les épaules je crois. Assez fine.
- Très bien. Merci pour votre aide. Allez-vous reposer.
Hé bien en voilà un début de piste…
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