2. Josiane
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Josiane
23 h, à son domicile de Pessac
Comment vais-je faire pour le préserver ?
Effondrée par la terrible révélation apprise en début de soirée, Josiane fait les cent pas dans le salon. Malgré l’odeur alléchante du sauté de veau, préparé ce midi, son estomac est noué. Le monticule de mouchoirs posé sur la table basse usée évoque sa détresse.
Débarquant chez elle dans un état second, blanc comme un linge, il lui raconta toute l’histoire : la découverte du secret de sa femme, la discussion qui en suivit, son coup de folie…
Incapable de prononcer un mot, ni même un son, elle écouta avec horreur son monologue. À la fin de sa confession, il lui demanda conseil. Elle regrette l’absence de Francis, son mari décédé, pour prendre les choses en main. Josiane suggéra à son interlocuteur de se rendre à la police. Devant le refus désespéré et l’attitude hystérique de celui-ci, elle le serra fortement dans ses bras, le consola. Elle lui promit d’arranger la situation et de le protéger.
Je suis contrainte de neutraliser cette femme. L’idée me glace le sang, mais je dois le protéger.
Assise sur son canapé à fleurs, acheté avec Francis à l’époque du Moyen-Âge, Josiane, fatiguée d’avoir trop pleuré, pense immédiatement au service d’un tueur à gages. Comment payer la prestation d’un professionnel ? Elle ignore combien la personne demanderait, mais elle se doute bien que son service doit se chiffrer entre 50 000 et 100 000 mille euros. Voire plus. Le montant de sa retraite semble bien insuffisant pour une telle dépense. Et pas question de signer un crédit. À son âge, la septantaine, avec une arthrose bien installée, elle ne retrouvera jamais un travail, déclaré ou non, pour aider à rembourser l’emprunt.
Je pourrai vendre mes meubles.
Elle jette un regard sur ses reliques. La bibliothèque branlante peine à tenir debout. Le meuble bas de télévisions, ébréché, mérite un coup de peinture. Le canapé, blanc d’origine, laisse entrevoir une teinte grisâtre. Délabrée d’une trentaine d’années, elle ne trouvera personne pour en faire l’acquisition. Elle s’en rend compte ce soir, l’évidence lui saute aux yeux. Depuis la mort de Francis, elle a juste ajouté des photos ici et là.
Par ailleurs, elle doit agir en urgence pour gagner du temps.
Sans aucune hésitation, elle attrape son téléphone pour appeler son frère Robert. Très proche de sa sœur, son soutien indéfectible lui remonte le moral surtout depuis le départ de Francis. Il décroche au bout de la troisième sonnerie.
— Oui allo ?
— Robert, c’est moi !
La voix de Josiane se brise, mais elle se force à ne pas pleurer.
— Josiane, que se passe-t-il ? s’inquiète Robert à l’autre bout du fil.
— Tu es la seule personne à pouvoir me secourir, Robert… J’ai besoin d’un renseignement… Je préfère ne rien divulguer au téléphone… Mais c’est une question de vie ou de mort ! sanglote-t-elle enfin, comme soulagée d’avoir avoué ce détail.
Plus troublé encore, Robert respire rapidement, mais reste calme. Pour que Josiane soit anéantie de cette façon, il se doute qu’une catastrophe vient de se produire.
— Robert ? chuchote-t-elle, comme si son frère se cachait dans la maison.
— Je réfléchis.
Un silence angoissant s’installe au bout de la ligne.
— As-tu fait du mal à quelqu’un ? s’enquiert-il doucement.
— Non, mais je suis concernée de près.
— D’accord. J’ai compris qui tu devais aider. Que dois-tu faire exactement ?
— Le protéger, quoiqu’il m’en coûte.
— Je t’écoute.
Josiane se ressaisit et lui explique :
— Un accident a eu lieu ce soir vers 18 h 30. Une dame rousse a subi un choc à la tête. J’ignore son état de santé et l’hôpital qui l’a prise en charge. Je dois connaîre son nom et son adresse.
— Je m’en occupe, assure Robert. Tu as eu raison de me contacter. Je sais comment procéder. Moins de temps, on reste en communication, mieux c’est. Je reviens vers toi dès que j’obtiens les informations. Je t’aime petite sœur.
Il raccroche sans laisser à Josiane la possibilité de répondre. Elle demeure immobile quelques secondes, le combiné à l’oreille.
Elle doit y croire et poursuivre sa mission. Elle prend les mouchoirs sales, les jette dans la poubelle de la cuisine puis se dirige vers le garage et l’allume. Une machine à laver, du matériel de jardinage et bricolage trônent ici. Josiane se rue vers les étagères murales qui maintiennent une tapette à mouche, moustiquaire, couteau suisse… Sans succès. Elle avance un peu plus, ouvre une malle et aperçoit deux sacs de terreaux entreposés à l’intérieur. Déçue de ne pas avoir trouvé le produit recherché, Josiane retourne dans le séjour pour utiliser son ordinateur. À l’heure où la majorité des personnes âgées détestent internet et l’outil informatique, Josiane, elle, au contraire, adore ça ! Elle navigue sur plusieurs sites pendant quelques minutes, vérifie les modalités de livraison puis commande son article.
La première partie de son plan achevée, elle entame la seconde en allant dans la cuisine. Elle met ses gants, ouvre le placard sous évier et sort le détergeant. Elle fixe l’élément, posé sur la table, que son visiteur lui a confiée : une coupe avec un socle en marbre blanc. Josiane lit l’inscription gravée sur le devant. Quelques taches rouges gisent à l’extérieur. En revanche, une énorme auréole écarlate s’observe sur la base. Un lavage minutieux de cette partie s’impose. À l’aide d’une éponge, elle procède au nettoyage. Quelques minutes plus tard, il parait comme neuf ; satisfaite, elle attrape une poche plastique, met l’objet dedans.
Dois-je le garder ou m’en séparer ? Je ne sais pas où et comment le camoufler ! Comment fera-t-il si cet objet mal dissimulé finit par être retrouvé ? Je préfère ne prendre aucun risque, surtout ce soir, j’ai l’esprit confus…
Elle se dirige vers sa chambre et ouvre son placard. Elle s’empare d’une grande boite de rangement puis pose l’objet sous une couverture.
Pour l’instant, cet endroit fera très bien l’affaire…
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