Chapitre I : Éveil

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La capsule d’incubation émit un bip strident qui indiquait l’éveil imminent de son hôte. Le son se réverbéra dans l’immense vaisseau à bord duquel seuls les bots d’entretien et de nettoyage étaient encore actifs. Lorsque le capot hermétique vitré se descella avec un chuintement gazeux, Cyril ouvrit de grands yeux, puis inspira et toussa grassement pour dégager ses voies respiratoires du liquide dans lequel il avait végété durant les quatorze années passées.

Le procédé dit de « renaissance », baptisé Rebirth, avait été inventé en 2062 par un groupement de scientifique internationaux et leur avait valu le prix Nobel de médecine la même année. Il consistait à transférer le patrimoine génétique ainsi que la totalité des données cérébrales d’un être humain dans un ordinateur bio-quantique, le tout aidé d’une armée de nanorobots. Il était ensuite possible de reconstruire le corps à l’identique et d’y implanter ses souvenirs et connaissances pour le faire renaître à un âge défini.

Une forme de vie éternelle, car bien que le processus avait des effets indésirables, ces derniers ne duraient jamais plus de quelques heures après la renaissance et il était possible d’en profiter à l’infini. Seulement, la pratique était réservée à une certaine élite, tant l’appareillage nécessaire était onéreux. Aussi, les différentes étapes étaient énergivores et longues : douze ans pour le transfert des données et un minimum de deux ans pour la reconstruction cellulaire, en fonction de la taille et de la corpulence du sujet. Beaucoup d’entreprise et compagnie proposait ce service à leurs employés les plus expérimentés afin de pérenniser la qualité de leurs prestations.

Cyril scanna les alentours tandis qu’il tentait de retrouver une respiration normale. La pièce était l’une des plus dépouillées du vaisseau. Ses murs gris et lisses cachaient une pléthore d’instruments de mesure, de câbles et de durite en tout genre indispensables au bon fonctionnement du système Rebirth. Lorsqu’elles étaient en fonction, les six capsules se dissimulaient dans un compartiment blindé et autonome situé sous le plancher pour protéger leurs occupants en cas d’attaque.

Même s’il n’en était pas à sa première renaissance, les violents haut le cœur induit par la gravité artificielle couplée au goût amer du plasma de végétation le firent vomir. La capsule se vida rapidement et le jeune homme se redressa pour en sortir tout en s’essuyant la bouche d’un revers de la main.

— Capitaine Cyril Rochas au rapport. Orea ? Tu m’entends ? demanda-t-il à l’ordinateur de bord.

Ses questions restèrent sans réponse, suspendues dans le pesant silence du Conquérant Stellaire, le cargo spatial français dont il était le capitaine. « C’est quoi ce bordel » pensa-t-il en enjambant la cuve de l’incubateur. Il s’avança vers le mur à sa droite dont la paroi émit un crissement métallique avant de glisser en galandage dans le mur, dévoilant une douche rudimentaire. Il se délecta de la chaleur de l’eau synthétique pendant plusieurs minutes. Lorsqu’il coupa le jet, une soufflerie s’activa au-dessus de lui et le sécha quasi instantanément. Durant ce temps, le pod d’incubation se rétracta dans le sol tandis qu’un autre pan de mur disparaissait, dévoilant un présentoir sur lequel était accrochée une combinaison thermique légère bleue marine, ainsi qu’une paire de bottes en cuir végétal blanc.

— Orea ? Que se passe-t-il ? questionna-t-il en enfilant sa tenue.

L’intelligence artificielle faisait la sourde oreille et malgré son inquiétude grandissante, Cyril se dirigea en premier lieu vers le réfectoire. Quinze ans dans un incubateur à sucer du plasma nutritif insipide avaient de quoi ouvrir l’appétit, surtout pour un gaillard de presque deux mètres et cent kilos. Après une collation conséquente bien méritée, il gagna la salle de pilotage, une tasse de café fumant à la main.

Les lampes du cockpit s’allumèrent progressivement tandis qu’il s’avançait vers le poste de contrôle central. Une nuée de diodes multicolores clignotait sans paterne précis sur les différents appareils et postes. Face à eux, d’immenses vitres octogonales, scindées par des montants en métal gris épais, formaient un dôme de plusieurs dizaines de mètres placé à la verticale, au nez du vaisseau. La visibilité au travers de ceux-ci était bloqué par des volets en kevlar de titane, une précaution contre d’éventuels débris spatiaux.

Cyril ne put retenir un râle de plaisir lorsque le liquide chaud vint chatouiller ses papilles gustatives.

— Manque plus qu’une clope et ce serait le paradis ! s’exclama-t-il en posant son mug.

Pendant de longues minutes, il s’affaira à vérifier les différents organes vitaux du vaisseau. Hormis une panne du système de guidage, les autres appareillages semblaient opérationnels. Un bruit sourd suivi d’une baisse de tension se produisirent lorsqu’il tenta d’actionner la commande des volets du cockpit.

— Putain de connards ! Je suis sûr qu’ils ont envoyé une autre mise à jour codée avec le cul et ç’a tout fait planter ! jura Cyril en se levant de son siège.

Il déglutit le fond de sa tasse avant de se diriger vers l’ascenseur pneumatique à droite du sas de la cabine de pilotage. C’était un ingénieux dispositif de transport par air comprimé qui permettait de se rendre d’un bout à l’autre du vaisseau en quelques secondes. Une fois dans le tube, il pressa le bouton indiquant « ordinateur central ». La porte se referma et le cylindre s’élança à toute vitesse dans le labyrinthe de canalisation du système.

Lorsque la capsule s’immobilisa à destination, Cyril ne put se retenir de rendre à nouveau. Les effets indésirables de sa renaissance mettraient encore plusieurs heures à se dissiper. Une petite trappe dans le mur libéra un robot nettoyeur qui se précipita sur la flaque de vomi. Cyril l’enjamba pour traverser le sas de la grande salle circulaire qui s’éclaira automatiquement d’une lueur indirecte blanche feutrée. Le ronronnement des serveurs informatique encastrés dans les murs se réverbérait contre les parois insonorisées dans un vrombissement linéaire apaisant. Cyril s’approcha du panneau d’urgence et le déverrouilla. Un petit clavier azerty couplé à un écran de cinq pouces pilotaient la douzaine d’immenses armoires électroniques.

— Voyons ce qui cloche, dit-il à voix haute.

En fouillant dans les fichiers et sauvegardes, il s’aperçut que la dernière mise à jour remontait à dix-sept ans, soit trois ans avant leur départ. En tentant de relancer le programme de l’intelligence artificielle, une alarme stridente se déclencha dans la pièce, l’illuminant d’une lueur rouge clignotante. Mais Cyril n’en était pas à son coup d’essai. En presque deux cents ans, il avait eu de multiples occasions de déboguer le système de son vaisseau adoré. En moins de temps qu’il ne fut pour le dire, l’alerte cessa et une voix cybernétique s’éleva.

— Vérification de l’Organisme de Réplication Exécutive Androïde… Toutes les fonctionnalités sont opérationnelles. Veuillez vous identifier.

— Capitaine Cyril Rochas, à bord du Conquérant Stellaire, matricule C13283R.

— Identification... Acceptée. Le système O.R.E.A va maintenant redémarrer à sa dernière sauvegarde. Cette opération peut prendre plusieurs minutes. Veuillez patienter.

Une série de bips et ondulation émanèrent des immenses serveurs, tandis que des baisses de tensions firent vaciller la froide lumière blanche de la pièce. Cyril rangea le poste de commande et patienta plusieurs minutes avant que tout redevienne normale.

— Orea ?

En attendant une réponse, il regagna la salle de pilotage. Lorsqu’il s’installa dans le fauteuil du poste central, un grésillement raisonna dans les haut-parleurs du vaisseau.

— Orea ? Tu m’entends ?

Toujours aucune réponse. Il savait d’expérience que même si l’ordinateur indiquait quelques minutes, il pouvait s’écouler plusieurs heures avant que la totalité de ses fonctionnalités ne soit parfaitement opérationnelle.

Il pressa l’interrupteur des volets du cockpit qui se rétractèrent avec un bruit de friction métallique. Une lueur aveuglante perça la pénombre de la pièce et il parvint péniblement à trouver le bouton de la protection lumineuse. Les vitres s’obscurcirent et dévoilèrent une planète d’un rouge violacé autour de laquelle gravitaient plusieurs lunes de tailles et couleurs différentes. Au loin, une étoile à neutron irradiait une lumière bleutée.

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? lâcha-t-il avec stupéfaction. Mais on est où, là ?

— Planète inhabitée et inconnue, répondit subitement Orea.

Cyril sursauta tant l’inattendue réponse raisonna dans le vaisseau, accentuant le timbre robotique de l’ordinateur. Malgré des centaines d’années de perfectionnement, les ingénieurs n’étaient jamais parvenus à un consensus sur la tonalité à donner aux langages des intelligences artificielles, car si leur principe d’humanité s’était grandement amélioré, leurs voix demeuraient monocordes et machinales dans un souci de différenciation. Et cela dans le potentiel cas d’un soulèvement.

— Putain, Orea ! Tu m’as foutu les jetons !

— Toutes mes excuses, capitaine. Ce n’était pas mon intention. Vous avez posé une question. J’y ai répondu.

— Oui, pardon, mais qu’est-ce qu’on fout ici ? On était censé rejoindre Alpha du Centaure.

— Je n’ai pas de réponse à cette question. Je suis désolé.

— De quelle distance avons-nous dérivé ?

— Approximativement deux années-lumière, capitaine.

— Deux années-lumière ? répéta Cyril avec stupéfaction. Mais comment c’est possible ?

— Je n’ai pas de réponse à cette question. Je suis désolé.

— Ça va ! J’ai compris ! s’énerva-t-il. Vérifie qui est le dernier à avoir eu les commandes avant moi.

— Je n’ai pas de réponse à cette question. Je suis désolé.

Le capitaine poussa un long soupir en s’affalant dans son fauteuil tout en se pinçant l’arête du nez entre le pouce et l’index.

— Bon, calmons-nous, dit-il en prenant une grande inspiration. Donne-moi les dernières données enregistrées au journal de bord.

— Elles s’affichent actuellement sur votre écran de contrôle.

Cyril se redressa pour analyser les informations sur son moniteur. Il haussa les sourcils tandis qu’une moue d’incompréhension se dessinait sur son visage.

— Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ! Ces données datent de presque treize ans et n’ont aucun sens ! râla-t-il en tapant son poing sur le repose bras.

Un affreux pressentiment lui traversa l’esprit.

— Vérifie que les capsules d’incubation sont opérationnelles.

— Affirmatif, capitaine.

— Dieu merci, les autres vont bien.

— Négatif, capitaine.

— Quoi ? Que veux-tu dire ?

— Les capsules sont bien opérationnelles, mais je ne détecte aucune forme de vie à l’intérieur de celle-ci.

Une suée froide de peur perla au front de Cyril. Il sauta du fauteuil et se précipita en direction de la salle de renaissance.

— Monte-les immédiatement ! ordonna-t-il, la voix cassée par l’appréhension.

Le sol de la pièce se rétracta en laissant échapper un nuage de vapeur. Les six caissons sortirent du sol dans un brouhaha métallique de piston et de mécanismes.

Malheureusement pour Cyril, l’affirmation d’Orea se révéla exact : les cinq capsules de ses coéquipiers étaient vides.

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