2. Going back home

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À peine Columbette avait-elle tourné les talons, que mon portable sonna. Croyant que c’était mon paternel qui revenait à la charge, je décrochai en préparant mentalement quelques épithètes bien marines, mais ce n’était point mon géniteur à l’autre bout de l’antenne :

« Encore une petite question, m’dame…

- Mais ? Vous venez de partir !

- Oui, mais j’avais une dernière chose à vous demander : le lieutenant Rigelle était-il vraiment de la police ?

- Euh… non.

- Merci, m’dame. »

Elle raccrocha, me laissant dans une intense perplexité. Qui ne dura guère, le machin sonnant de nouveau :

« Allô ?

- Une dernière petite question m’dame…

- Ah mais vous commencez à me faire méchamment chier, là.

- La toute dernière m’dame, c’est promis. Vraiment désolée.

- J’écoute.

- Savez-vous si Rigelle avait l’habitude de se déguiser ?

- Oui ! Il m’a même bien eue comme ça, et…

- Merci m’dame, à la semaine prochaine. »

Et hop, raccroché. Je n’y comprenais plus rien : elle voulait que je lui parle ou elle ne voulait pas ? Un troisième appel consécutif interrompit mon étonnement. Cette fois, ma patience avait atteint les bornes de ses limites :

« VOUS ME CASSEZ LES BURNES !

- Ahum Mademoiselle Dulaurière, je vous dérange peut-être ? »

Il me fallut un certain temps pour resituer cette voix, qui n’était pas celle de Columbette. C’était Urias. Enfin, M. Urias. Le vieux du Mystiprix, le supposé grand-père de l’horrible gamine qu’ils appelaient l’Ancêtre. Et celui qui m’avait enfin expliqué des choses tout en se gardant bien de m’en dire trop.

« Désolée, m’excusai-je, je croyais que c’était une connaissance encombrante.

- Je vois. Mais vous auriez toutes les raisons d’éprouver une légitime colère à mon encontre, pourtant.

- Mais c’est vrai ça ! Ça fait six mois que j’attends de vos nouvelles ! Du coup je retire mes excuses, ou vous me faites les vôtres ?

- Comme il vous plaira, dit Urias avec un petit rire. Je suis vraiment navré, mais nous avons affronté de nombreux problèmes fort gênants, d’où mon abrupt silence. Mais il est trop risqué et compliqué d’en parler au téléphone, vous est-il possible de venir nous voir demain ?

- Ce serait possible si je savais comment aller dans votre Mistytruc.

- C’est vrai. Exceptionnellement, l’ascenseur du chantier… Vous connaissez l’ascenseur du chantier, il me semble ?

- Ouais, je l’avais pris avec Déi…

- Ne prononcez pas ce nom ! Pas au téléphone ! Exceptionnellement, disais-je, l’ascenseur du chantier sera disponible pour vous amener à bon port. Quinze heures, cela vous convient ?

- Ok, et est-ce que…

- Parfait, à demain, mademoiselle Dulaurière. »

Tûûût-tûûût-tûûût faisait le téléphone, comme quand il vous nargue après qu’on vous ait raccroché au pif. Mon esprit était rempli d’une multitude de sentiments agréables comme désagréables, et souvent contradictoires. Tout ça allait beaucoup trop vite et était bien trop soudain. Y avait-il un rapport entre la détective et le retour d’Urias ? Était-ce un hasard si cela arrivait le même jour que mon premier rendez-vous avec ma psy si sexy ? Étais-je heureuse de toute cette agitation soudaine ? Devais-je craindre à nouveau pour ma vie ? Et surtout, surtout… allais-je enfin revoir Déimos ?

Ça faisait beaucoup de questions. Trop pour ma petite tête. Aussi résolus-je de m’abîmer dans une série d’exercices physiques pour les oublier, me fatiguer le plus possible, et plonger ainsi dans un sommeil réparateur. Bien évidemment, ce fut un échec total.

Le lendemain, après une nuit très grise, je me présentai au chantier de l’infini remplie d’appréhension et d’excitation. Un ouvrier taillé comme un bahut vint immédiatement à ma rencontre, et d’un signe de tête m’enjoignit à le suivre. Arrivés devant l’ascenseur, il en ouvrit la porte, et je pénétrai pour la deuxième fois dans le moyen de transport le plus bizarre du monde. Il n’avait pas changé d’un poil : encore une fois, il évolua en avant, en arrière, à la verticale, à l’horizontale, dans un schéma absolument incompréhensible. Je m’attendais à ce qu’il parte en looping, hélas il n’en fit rien. Une fois à bon port, les portes coulissantes de l’ascenseur s’ouvrirent, et une surprise de (petite) taille m’attendait dans le hall : Urias était là pour m’accueillir, accompagné de… Sahila. Toujours pas bien grande, toujours indienne, toujours ses beaux et longs cheveux noirs, toujours aussi timide. On aurait dit qu’elle voulait fusionner avec le sol tant elle se tenait ramassée sur elle-même, et je craignais qu’elle se déboîte les phalanges à force de se tortiller les doigts. Fatiguée de toujours avoir le rôle de l’idiote que tout surprenait, je résolus de la jouer blasée :

« Bonjour, Monsieur Urias. Salut Sahila, ça boume ?

- Bonjour, mademoiselle Dulau… commença Urias.

- Appelez-moi Valentine, en fait. L’autre appellation me rappelle de mauvais souvenirs.

- Je comprends. Et c’est malheureusement de ce pourvoyeur de mauvais souvenirs que je souhaitais vous parler, Valentine. Voulez-vous bien me suivre ?

- Ouais. »

Me prenant toujours pour Humphrey Bogart, je suivis Urias et Sahila qui n’avait pas décroché une parole et semblait toujours vouloir rentrer sous terre. À ma grande surprise, nous ne prîmes pas le chemin du Mystiprix, mais un petit couloir ombragé que je n’avais pas vu lors de mon premier passage. Nous entrâmes dans une grande pièce meublée d’une dizaine de chaises et de tables disposées en U, qui ressemblait fort à une sorte de salle de réunion. M’avait-il fait venir pour me montrer des powerpoint ?

« Asseyez-vous, Valentine. Vous en aurez besoin, car je n’ai hélas pas de très bonnes nouvelles pour vous. »

Visiblement, on pouvait oublier le powerpoint. Mais je commençai à sérieusement m’inquiéter.

« J’espère que ce n’est pas à propos de…

- Non, ce n’est pas à propos de dame Déimos, qui est vraisemblablement toujours en mission.

- Vraisemblablement ?

- Elle ne nous a envoyé aucun message depuis son départ.

- Et c’est censé me rassurer ?

- Dans son cas… oui. Bref, entrons dans le vif du sujet : Dolos s’est échappé.

- Dolos, alias Rigelle junior et senior ?

- Oui.

- Dolos, celui qui m’a torturée psychologiquement ?

- Oui.

- Dolos, l’âme damnée d’Éléonore que vous auriez dû surveiller encore plus étroitement que l’empereur du Japon en visite à Nankin ?

- Hélas ! Oui.

- Ok, je suis morte.

- Non, Valentine, vous n’êtes pas du tout morte. Il s’est évadé hier, et je vous ai contactée quasiment sitôt après. Nous allons tout faire pour vous protéger. Et pour commencer, nous allons vous adjoindre un nouveau garde du corps.

- Moi, je veux bien. Mais Déimos, toute balaise qu’elle soit, a déjà eu du mal. Alors qui avez-vous d’autant, voire de plus costaud ? »

Une toute petite voix répondit :

« Moi. »

Je me tournai vers la source de cette voix fluette qui n’était autre que Sahila, qu’à ma grande honte j’avais quasiment oubliée tant elle ne disait rien jusqu’ici.

« Toi ? Mais, euh… Enfin, le prends pas mal, mais... »

Sahila baissa la tête. Je commençais à me sentir très mal.

« Non mais c’est pas ce que je veux dire ! D’ailleurs, j’ai rien dit ! Mais je… Enfin…

- Gnongnengnigné, répondit Sahila à un volume micronuscule.

- Quoi ?

- J’ai une entité, répéta t-elle un nano ton plus haut.

- Ah oui ! Oui, tu me l’avais dit !

- Valentine, intervint – enfin – Urias, je vous garantis que Sahila pourra vous protéger. Elle n’est évidemment pas aussi puissante que Déimos, mais son entité est extrêmement fiable, et elle en a une excellente maîtrise. Je dirais même qu’elle a un don pour cela. De plus, c’est elle qui s’est portée volontaire pour vous aider dés qu’elle a eu vent de l’évasion de Dolos.

- Parce que mes mésaventures ont fait tout le tour du Mystiprix ?

- Il le fallait. Les possesseurs d’entité devaient être au courant, Éléonore est un danger pour eux. Un danger mortel.

- Ah bon ? Pourquoi ? »

La porte de la pièce s’ouvrit soudain violemment, et une voix familière me répondit :

« Pour des tas de raisons qu’on peut pas t’expliquer, la mocheté ! »

C’était l’Ancêtre. Une affreuse gamine blonde avec une ridicule robe orange ornée d’une non moins ridicule poche en forme de grotesque tête de hamster. Respectée pour je ne sais quelle raison par Déimos, et que je soupçonnais d’être très étroitement liée à Urias. Et qui avait hélas décidé de faire de moi son souffre-douleur.

L’Ancêtre se jucha sur les genoux de Sahila et me toisa de son regard empreint de mépris.

« T’es toujours aussi bavarde, la mocheté. Pose pas de questions et fais ce qu’on te dit !

- Et toi t’es toujours aussi mal élevée.

- Humpf ! Cet irrespect ! Donc voilà, Sahila te protégera pendant que nous, on va retrouver le sale type. Alors tiens-toi à carreau, sors pas de chez toi, et reste avec Sahila. Compris, la mocheté ?

- Non. J’ai un travail, une vie, et maintenant une psy. Vous me cassez les noix. Vous me laissez tomber pendant six mois, et là, pouf, faut que je vous obéisse au doigt et à l’œil ? Mais allez vous faire voir ! Sahila, ajoutai-je en me tournant vers elle, je suis désolée, je n’ai rien contre toi, je t’aime même beaucoup, mais envoie ces malades se faire mettre. Moi, je me tire. »

Joignant le geste à la parole, je me levai et me dirigeai vers la porte ouverte.

« Nous avons une lettre de Dame Déimos, dit Urias dans mon dos. Mais vous pouvez partir, si ça ne vous intéresse pas. »

Je m’arrêtai et serrai les poings, me retenant à grand peine de me retourner pour lui en coller une voire plus si affinités entre sa vieille tronche et mes phalanges.

« Vous pouvez m’expliquer, espèce de menteur, demandai-je toujours le dos tourné, en quoi vous êtes différents d’Éléos en ce qui concerne les méthodes ?

- Ce n’est pas de gaieté de cœur, Valentine, mais je n’ai pas le choix. Vous devez nous écouter. Il le faut.

- Appelez-moi Dulaurière, dis-je en me rasseyant à grand peine. »

Un silence de mort s’ensuivit...

« RRRRRRZZZZZZZ…. »

… Néanmoins vite interrompu. Je crus au départ à un bruit de tronçonneuse, mais c’était en fait l’Ancêtre endormie sur les genoux de Sahila pétrifiée et osant à peine respirer. Une petite fille qui dort, normalement, c’est mignon. Hélas l’Ancêtre, non contente de ronfler comme une locomotive, avait également un répugnant filet de bave mousseuse qui lui coulait hors de la bouche. Cette gamine n’avait décidément rien pour elle.

« Très bien, Dulaurière, reprit enfin Urias. Voici la missive de Dame Déimos. Enfin, sa traduction, vu que nous utilisons un code pour communiquer. »

Il me tendit un papier plié en deux qui racontait ceci :

« Plus compliqué que prévu. Retard probable. Protégez-la. »

« C’est en effet bien son style, confirmai-je en rendant le message à Urias. Je suppose que c’est moi qu’il faut protéger ?

- Tout à fait.

- Et quand avez-vous reçu ce message ?

- Hier.

- Hier. Comme par hasard.

- Ma foi, oui.

- Vous vous foutez de moi, c’est ça ?

- Valentine, s’il te plaît, fais-nous confiance. »

Cette dernière phrase avait été prononcée par Sahila, d’une voix claire à défaut d’être forte.

« C’est vraiment important, continua t-elle. Si on fait rien, c’est… c’est la fin du monde. »

Les beaux yeux noirs de son visage suppliant étaient remplis de larmes. Un petit chaton abandonné dans un carton sous la pluie était un spectacle rigolo à côté. Je sentais ma farouche volonté de tout envoyer promener partir en miettes. Qui était encore une fois de plus dans le purin jusqu’aux sourcils et bien obligée de faire ce qu’on lui dit sans en avoir aucune envie ? Un indice, elle porte des lunettes et hait sa vie. Je me tournai vers Urias :

« Sahila est incapable de mentir. Alors soit elle dit vrai, soit vous lui avez raconté des craques.

- Sahila dit la vérité, répondit Urias. Vous n’êtes pas obligée de me croire, bien sûr. Mais elle a raison.

- Et pourquoi vous m’avez pas dit ça plus tôt ?

- Il me semblait vous l’avoir fait comprendre.

- Quand je parle avec quelqu’un dans ma langue, j’ai tendance à penser qu’il n’y aura pas besoin de traduction.

- Je suis navré si mes mots ont pu vous paraître obscurs. Mais, que décidez-vous ? »

Je gonflai les joues et laissai échapper une impressionnante quantité d’air de la manière la plus bruyante possible.

« Bon, ok. Ok. Mais c’est la dernière fois, vous m’entendez ? La dernière fois que je vous obéis au doigt et à l’œil. »

Urias soupira à son tour.

« Je regrette que les choses se passent ainsi, croyez-moi. Je le regrette sincèrement.

- Et moi donc…

- Restez chez vous autant que possible. Ne sortez qu’avec Sahila. Nous ne savons rien des intentions de Dolos. Des membres du MK feront des rondes régulières dans votre quartier.

- Le MK ?

- Le Mystisch Kommando, andouille ! »

Tiens, l’Ancêtre s’était réveillée. Elle bâilla longuement, puis reprit :

« Me dis pas que t’as tout oublié ! Le Mystisch Kommando, les gars du chantier ! Ceux qui font le sale boulot ! Et nous, on est le Mystiskis… non, le Myskisti… non, le Myskiki... »

Elle se tourna, furieuse, vers Urias :

« On change de nom ! On change de nom ! J’en ai marre !

- Mais ce nom est le nôtre depuis le début, et... »

L’Ancêtre sauta des genoux de Sahila pour se rouler par terre sur le sol, agitant frénétiquement les bras et les jambes et hurlant :

« ONCHANGEDENOMONCHANGEDENOMONCHANGEDENOMONCHANGEDENOOOOOOOOM !!!!!! »

Urias poussa un soupir et finit par abdiquer.

« Très bien, très bien, nous en parlerons à la prochaine réunion.

- NAN ! ON CHANGERA DE NOM !

- Nous changerons de nom à la prochaine réunion.

- Voilà ! »

Elle se remit sur ses pattes et se tourna cette fois vers moi :

« Kesstufous encore là la mocheté ? Dégage ! Et fais ce qu’on te dit ! Hophophop !

- C’est ça, répondis-je. Et crois-moi que le premier truc que je ferai si j’en ai marre de vos tronches, c’est te coller une bonne paire de mandales.

- Valentine ! cria Sahila, horrifiée.

- Valentine rien du tout. Allez Sahila, on met les voiles. »

Avant que Urias ou l’Ancêtre ne recommencent encore à me faire perdre mon précieux temps, je me levai et sortit de la pièce en direction de l’ascenseur. Sahila me rattrapa, essoufflée.

« Tu… Tu sais, elle est drôlement respectée ici, l’Ancêtre. Personne lui parle comme tu le fais.

- Faut une première fois à tout. Si vous êtes masos, ça vous regarde. »

Pour la première fois, Sahila sourit. Puis rit. Sans pouvoir s’arrêter. J’éclatai de rire à mon tour, et c’est hilares que nous nous rendîmes chez moi.

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