CHAPITRE 8

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Tandis que la télévision diffuse des images aériennes révélant l’étendue de l’invasion, les téléspectateurs de la maison de repos quittent le poste pour se précipiter à la fenêtre. Léna arrive la première, suivie de son caméraman, de Gwenaëlle et de ses parents. La journaliste tire le vieux rideau à fleurs d’un coup sec, tandis que derrière elles, les retardataires se bousculent au ralenti en jouant des coudes, des prothèses et parfois des dentiers.

En contrebas, le parking de la maison de retraite est méconnaissable. Une vague ondulante de pinces et de carapaces orangées submerge les voitures, brise les vitres avec des craquements sinistres. Sous les coups de pince, la carrosserie d’une Twingo se disperse, comme les os d'une proie dévorée. Des crabes, des araignées de mer, des homards. Des milliers, peut-être des centaines de milliers, de toutes les tailles. Avec une lenteur inexorable, ils couvrent l’asphalte comme un tapis mouvant et de leur démarche latérale, envahissent les plages, les routes, les trottoirs, les jardins.

Au-dessus de la marée crustacée, les goélands planent tels des sentinelles, dans un silence inquiétant.

Ça grouille, ça crépite, le sol tremble !

Sherlock, suivi de Maryvonne et de Maurice, loin à la traîne, arrivent enfin pour constater les dégâts.

— Mais… c’est pas normal. Ils viennent d’où, tous ces crabes ? demande Maryvonne.

  • De la mer, je dirais, répond Maurice, les yeux rivés sur le spectacle.
  • Mais que fait La Palice ? ricane Sherlock, satisfait de son bon mot.
  • En tout cas, je l’avais prédit, se contente de dire Gwenaëlle. La nature se rebelle.
  • Oiseau de mauvais augure ! s’emporte Maurice, les poings serrés.
  • Tu vois, ma chérie, ajoute le père de Gwenaëlle : il reste dans la mer beaucoup plus d’animaux qu’on le croit ! Elle est où l’extinction des espèces ?

Gwenaëlle fusille son père du regard, mais reste silencieuse, les bras croisés contre sa poitrine. Elle semble concentrée, presque en méditation, comme si elle cherchait à se fondre dans ce chaos qu’elle avait toujours anticipé. A la satisfaction d'avoir raison se mêle la colère et la frustration de n'avoir pas été entendue. Quel gâchis, ce désastre aurait pu être évité ! Comme Cassandre, elle avait raison, mais personne ne l’avait crue.

— Eh ben, en tout cas, ça change des goélands, fait remarquer Maryvonne, qui tente de garder un semblant de calme. Les crabes, au moins, ils ne volent pas.

  • Ils ne volent pas, mais ils grimpent, répond Sherlock d'un ton froid. Regardez !

Il pointe du doigt un lampadaire à l’extérieur. Un groupe de crabes s’entraide pour grimper le long du poteau métallique, avec une lenteur mécanique. En moins de dix minutes, ils le recouvrent entièrement, tandis que d’autres s’agglutinent au bas des flots bleus.

  • Qu’est-ce qui nous attend après ? maugrée Maurice. Une pluie de menhirs ? L’océan qui se transforme en beurre doux ?

Sherlock détourne son attention du lampadaire, ses sourcils froncés. Ses yeux percent l’assemblée comme s'il attendait un déclic.

  • Ce qui nous attend ? Que les crabes vont grimper sur les Flots Bleus, casser une vitre et nous dévorer, tonne Sherlock. Vous avez vu ce qu’ils ont fait aux bagnoles ? Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils n’ouvrent une brèche !

Comme pour confirmer ses dires, une nouvelle série de craquements se fait entendre du côté des voitures stationnées. Les vitres explosent une à une sous la pression des crabes, tandis que leurs carcasses métalliques semblent fondre sous cette marée vivante.

C’est à ce moment que Solène, la cuisinière, entre dans la pièce. Elle pousse sa desserte en fer sur laquelle reposent des bols fumants.

  • La soupe est servie !

Tous les regards convergent vers elle. La routine du repas, on l’avait presque oubliée.

  • On n’a pas le temps de bouffer, s’emporte Sherlock agacé. On doit établir un plan !

Maurice, toujours fidèle à son humour grinçant, relève la tête, et se lèche les babines.

  • Si c’est de la soupe de goéland ou de la bisque de crabe, je ne serais pas contre. Ce sera ma manière de protester contre ces sales bestioles. Bisque bisque, rage !
  • Moi aussi, j’ai faim, ajoute le père de Gwenaëlle. Et on réfléchit mieux le ventre plein.

Gwenaëlle lève un doigt protestataire.

  • Alors, moi aussi j’ai faim, mais y aurait-il une version sans animal sacrifié ?
  • C’est samedi, donc c’est soupe d’asperges, répond Solène en levant les yeux au plafond. Avec un bout de pain, du beurre Président et une compote en dessert. Je n’ai rien changé au menu.

Les soupirs de Maurice et du père de Gwenaëlle font écho aux râles faibles des retraités qui errent toujours en arrière-plan, comme des fantômes déconnectés du présent.

  • Sans beurre pour moi, alors, répond Gwenaëlle avec un large sourire. Mais avec des croûtons, si vous en avez !

Solène sourit, amusée, malgré la situation.

— Les vieux croûtons, c’est pas ce qu’il manque ici.

Un rire faible mais sincère traverse la pièce et résonne comme un dernier écho d’humanité au milieu de ce chaos.

  • Je prendrai la même chose que Gwenaëlle, ajoute Maryvonne en adressant un check de la main à sa jeune amie.
  • Si je puis me permettre, ajoute Léna, mon caméraman et moi-même avons également un petit creux, nous n’avons même pas mangé ce midi.

Sherlock, lui, n'est pas d’humeur à plaisanter.

  • Mais j’hallucine ! C’est un véritable panier de crabes ici ! On va tous crever et vous ne pensez qu’à bouffer ! s’écrie-t-il, les yeux écarquillés.

C’est alors que la télévision, toujours allumée, capte à nouveau l’attention. Sur l’écran, le visage grave de Gwerzhoù, le druide à la barbe parsemée de gui et de fleurs d’ail des ours, s’exprime d’une voix rauque. “Ce qui arrive, c’est exactement ce que nos ancêtres craignaient. Le ciel nous tombe sur la tête. Nous sommes à la fin d’un cycle et au début d’un nouveau. Rien ne saura arrêter la marche du monde vers l’harmonie. N’oublions pas que dans la mythologie celtique, les goélands sont des messagers des cieux et que…”

D’un geste brusque, Sherlock s’empare de la télécommande et coupe l’appareil, l’air exaspéré.

  • On est chez les fous ! éructe-t-il, les yeux ronds comme des billes, tandis que son dentier tréssaute dans sa bouche. Je suis la seule personne censée, ici ? Vous n’avez rien compris ? On ne va pas manger ! On va être mangé !

Un murmure de désapprobation parcourt l’assemblée. Les regards se croisent sans un mot, chacun semble enfin mesurer la gravité de la situation.

Soudain, Sherlock se frappe le front, un éclair d’inspiration dans les yeux.

— J’ai une idée ! lance-t-il avant de disparaître vers l’armoire à pharmacie.

Lorsqu’il revint, ses bras sont chargés de flacons ornés de symboles inquiétants : des têtes de mort et des inscriptions de mise en garde.

  • On va les empoisonner !

Sherlock brandit les flacons de poison, une lueur déterminée dans le regard. Gwenaëlle lève les mains pour s'opposer.

— Ah, non ! proteste-t-elle, les yeux écarquillés.

— Ah si ! réplique Sherlock d’un ton tranchant. On va prendre la bouffe de l’économat, la bourrer de ces saletés et la distribuer aux goélands et aux crabes ! C’est eux ou nous.

L’idée de tuer ces animaux éveille un profond malaise chez Gwenaëlle, qui serre les poings, le visage durci.

— Pas question ! Il doit y avoir une autre solution que des tuer ces créatures innocentes !

  • Innocentes ? C'est une blague ? s'emporte Sherlock. Non, on va farcir la bouffe et défendre chèrement notre peau !

Solène, jusque-là restée en arrière, pâlit davantage. Son visage fatigué s’assombrit et ses traits se tirent de panique.

— On ne touche pas à la nourriture ! Imaginez qu’on doive rester ici longtemps, lance-t-elle, la voix tremblante. Nous avons besoin de ces vivres pour survivre, et je vous ferai à manger, à tous !

Une vague d’inquiétude traverse la pièce. Les murmures d’approbation et d’incertitude résonnent dans l’assemblée. Jusqu’ici, l’imminence du danger avait occulté la possibilité d’un conflit long, d’un confinement durable et des conséquences qui en découlent.

— Dans quelques heures, les crabes seront ici, prévient Sherlock en fixant la foule. Les vitres ne tiendront pas. Vous n’aurez pas le temps de mourir de faim que vous serez dévorés !

— Mais peut-être qu’ils partiront d’eux-mêmes, propose timidement la mère de Gwenaëlle. On ne sait jamais…

— Ben voyons ! ironise Sherlock, le regard perçant. Ils ont l’air de vouloir se barrer ?

Un bruit attire leur attention, un cliquetis à la fenêtre. Déjà, un crabe toque sur la vitre avec sa grosse pince. Son arrivée annonce celle d’autres décapodes qui lui grimpent dessus et forment un petit monticule.

  • Ils vont peut-être s’entretuer ? tente Maurice.
  • Je les vois plutôt coopérer ! rétorque Sherlock.

À l’extérieur, les goélands planent toujours au-dessus de la marée crustacée, leurs ailes étendues avec une lenteur presque majestueuse, comme s’ils observaient leur armée qui se répand en contrebas.

— On pourrait peut-être espérer que la police ou les pompiers viennent nous sauver ? murmure la voix fragile de Maryvonne.

Sherlock éclate d’un rire froid.

— Vous y croyez vraiment ? On nous a abandonnés ! Il n’y aura aucun secours. Nous sommes seuls.

Un silence pesant s’installe à nouveau. Le crépitement continu des crabes qui grimpent sur la façade envahit les murs et les fenêtres. A la fenêtre, un goéland s’est posé à côté des crabes empilés et observe les retraités de son oeil fixe et jaune, en dansant d’une patte sur l’autre.

Seule la respiration saccadée des plus âgés rythme cette attente oppressante. Le caméraman, fébrile, ne sait plus quoi filmer, il braque son objectif vers l’extérieur cauchemardesque, puis vers le huis clos à l’intérieur, il regrette de manquer de matériel pour capter la situation sous différents angles. Léna, les bras croisés, observe la scène avec une excitation à peine dissimulée, ses frissons trahissent l’adrénaline qui court dans ses veines.

Gwenaëlle, elle, réfléchit à toute allure. De toute évidence, les ondes dégagées par les pierres dont elle dispose ne seront pas suffisantes pour faire reculer les assaillants à plumes ou à carapace, même celles de la puissante et redoutable obsidienne. Ou alors, il faudrait des tonnes de cailloux thérapeutiques.

Pour autant, elle ne peut se résoudre à la violence vis-à-vis de ces victimes de l’activité humaine. Sa compassion l’amène sur d’autres terrains.

Finalement, elle se rapproche de Sherlock, le regard dur, mais empreint d’une étrange sagesse.

— Je suis d’accord qu’il faut agir, mais pas comme ça. Nous devons trouver une alternative. Si on les endort plutôt que de les tuer ?

Sherlock fronce les sourcils, visiblement agacé, mais il marque un temps de réflexion. Derrière lui, les autres attendent sa réaction, partagés entre angoisse et résignation.

— Les endormir, hein ? finit-il par dire. Ça pourrait marcher.

Il retourne vers l’armoire à pharmacie. La tête à l’intérieur, il s’exclame d’une voix étouffée :

— Il y a plein de somnifères, ici, croyez-moi, on en a bien besoin à nos âges, ajoute-t-il avec une pointe de sarcasme. On va les écraser et en farcir le poisson. Solène, il reste du colin à l’économat ?

Solène secoue la tête, elle refuse ce plan insensé de toutes ses forces.

— Personne ne touchera à ma cuisine ! C’est tout ce qu’il nous reste ! proteste-t-elle, la voix éraillée de fatigue et de colère.

Sherlock soupire, visiblement exaspéré.

— On n’a pas le choix, Solène. On ne parle pas juste de bouffe, on parle de survie.

Il fait un pas en direction des escaliers qui mènent à l’économat, résolu à agir. Solène sent que la situation lui échappe et s’empresse de le suivre.

— Vous ne pouvez pas ! s’écrie-t-elle. Je vais vous ouvrir, mais vous me laissez choisir ce qu’on donne aux oiseaux, c’est clair ?

Sherlock ne répond pas et accélère le pas.

Les autres, emportés dans la tourmente de son sillage, le suivent de manière mécanique. Chacun emmène avec lui ses émotions, peur, résignation, excitation, incompréhension et surtout, son envie de connaître la suite des événements.

Arrivée devant la porte de l’économat, Solène tente de reprendre son souffle. Ses doigts tremblent alors qu’elle tape le code sur le petit boîtier électronique. Un bip d’erreur retentit. Elle fronce les sourcils, confuse.

— Le... le code ne fonctionne pas, bredouille-t-elle, le visage de plus en plus pâle.

— Essayez encore, ordonne Sherlock avec froideur.

Solène s’exécute, mais le bip, moqueur, indique une nouvelle erreur.

— Je suis désolée, je... je ne comprends pas, ça ne marche pas !

  • Ça marchait tout à l’heure, vous nous avez fait de la soupe aux asperges, remarque Gwenaëlle.

La moustache de Sherlock se raidit. Impatient, il pousse Solène légèrement sur le côté. D’un geste vif, il tape le code, et la porte s’ouvre sans difficulté en émettant un grincement métallique.

Un sourire triomphant étire les lèvres de l’ancien policier.

— Vous voyez ? Quand on veut, on peut, fait-il en croisant le regard abasourdi de Solène.

Solène, épuisée, recule d’un pas.

— Vous... vous aviez le code ? C’est donc vous qui piquez les biscuits dans la réserve ?!

Sherlock la regarde de biais, l’air malicieux.

— Une porte fermée ne doit jamais résister à un policier. Et puis, vu les quantités qu’on nous sert ici et le prix qu’on paie, on mérite bien quelques petites compensations, non ?

La porte s’ouvre dans un grincement sinistre, et un courant d’air glacé se déverse sur eux. À l’intérieur, la pièce est plongée dans une pénombre froide. L’air sent le renfermé, mêlé à des effluves de poisson et de conserves poussiéreuses. Des étagères métalliques s’alignent le long des murs, pleines de cartons, de bocaux, de légumes en conserve, de sacs de farine et de sucre premier prix. Une lumière tremblotante en provenance d’une petite ampoule suspendue au plafond éclaire faiblement les lieux. Des ombres inquiétantes semblent s’étirer et se tordre dans chaque recoin de la pièce.

Le froid intense surprend tout le monde. Maurice frissonne, remonte son col, et Gwenaëlle se frotte les bras pour se réchauffer.

— Brrr… Il fait un froid de canard ici, murmure-t-elle.

— Si ça continue, on finira congelé avant d’être mangé par ces bestioles, grommelle Maurice.

Sherlock, imperturbable, s’avance dans la pièce. Ses yeux parcourent rapidement les étagères et les cartons, à la recherche d’un quelconque aliment qu’ils pourraient garnir de somnifères.

— Cherchez des poissons, des viandes, tout ce qui pourrait appâter ces satanés goélands et ces foutus crabes, lance-t-il. Solène, y a-t-il du colin ici ?

Solène ne répond pas, son regard semble fixé ailleurs, fuyant, comme si elle était perdue dans ses pensées.

Sherlock continue à fouiller, son instinct en alerte. Alors qu’il ouvre un congélateur, quelque chose attire son attention. En face de lui, sur une étagère basse, des bacs en plastique bleu et jaune, sales et cabossés. Il s’en approche, les yeux plissés.

Sur le couvercle usé, une inscription est gravée : Le Bulot. Le nom résonne étrangement dans son esprit. "Le Bulot"… Un nom de bateau ? Ça lui dit quelque chose.

Un éclair traverse son regard. Il écarte vivement le couvercle du premier bac… vide… puis un autre… vide encore. Dans le troisième, il découvre à l’intérieur… des sardines alignées.

Sherlock se redresse, une sardine dans sa main, et la brandit devant tout le monde.

  • Dites, les amis, vous vous souvenez avoir mangé des sardines à la cantine ? demande-t-il.
  • Ah, non, jamais, grommelle Maurice. Du colin caoutchouteux, du thon en boîte, oui, mais de la sardine, jamais !

Sherlock se tourne vers Solène, plus pâle qu’un filet de colin.

  • Solène ? Un mot à dire sur la présence de ces sardines ?

La cuisinière, renfrognée, refuse de répondre.

— Non, rien ? Eh bien, lance Sherlock d’une voix calme et assurée, nous tenons ici la solution à l’énigme des goélands et des crabes fous.

Dans tous les regards, on peut lire l’incompréhension et la surprise. Tous… sauf celui de Solène, où l’on aperçoit une lueur de panique.

— Qu’est-ce que… qu’est-ce que vous racontez ? balbutie-t-elle, la mâchoire tremblante.

Mais Sherlock ne répond pas tout de suite. D’un geste vif et précis, il brise la sardine en deux. Une poudre blanche fine s’échappe de la chair et se répand dans l’air froid. Le silence dans l’économat devient assourdissant.

— De la drogue, articule Sherlock.

Son regard perçant croise celui, paniqué, de Solène.

  • De la foutue drogue, précise-t-il.

Maurice écarquille les yeux, Gwenaëlle porte la main à sa bouche. La journaliste, s’avance légèrement, le regard brillant de fascination, tandis que le caméraman ajuste discrètement son objectif sur la scène.

— Vous ne comprenez pas ? continue Sherlock. Le bateau de son frère, Le Bulot, a sombré en mer. Mais avant cela, il transportait de la drogue. De la drogue dissimulée dans les poissons, comme cette sardine.

Sherlock s’approche de Solène, sa voix devient plus dure à chaque mot.

— Et quand son bateau a coulé, la marchandise s’est répandue en mer. Les goélands ont mangé les poissons farcis. Puis, les crabes, eux aussi, ont été exposés, lorsque les poissons ont touché le fond. Voilà pourquoi ils sont devenus fous ! Voilà pourquoi cette invasion est arrivée ! Voilà pourquoi c'était si soudain et si violent !

  • Et c’est pour ça qu’elle n’a pas voulu nous ouvrir et qu’elle se cachait sous le bureau, renchérit Maurice. Elle croyait que les trafiquants venaient lui réclamer le montant de la drogue perdue en mer !

Solène recule d’un pas, le visage décomposé. Son secret vient de voler en éclats. Tout est fini. Ses mains se crispent sur le bord d’une étagère.

— Vous… vous n’en savez rien… bredouille-t-elle, mais sa voix manque de conviction.

Sherlock sourit, d’un sourire sans chaleur.

— Oh, si, j’en sais assez. Vous et votre frère étiez mêlés à ce trafic. Et maintenant, tout ça vous échappe.

Solène, prise au piège, se raidit. D’un mouvement soudain, elle attrape un long couteau de cuisine sur une table à proximité et le pointe vers le groupe. Les visages se figent comme des masques de cire.

— Personne ne sortira d’ici, grogne Solène, la voix tremblante, mais déterminée. De toute façon, personne ne viendra nous chercher. Vous êtes fichus, et je ne laisserai pas tout ça me retomber dessus.

La menace animale s'est muée en menace humaine. Dans les deux cas, la mort s'annonce certaine.

Solène recule lentement vers la porte, le couteau brandi dans leur direction. Gwenaëlle tremble autant de froid que de peur, Maryvonne s’accroche à elle. Les parents de la jeune fille s’étreignent, ils imaginent déjà la police retrouver leurs corps entrelacés, figés dans l’amour. Maurice, lui, semble calculer la quantité de nourriture restante dans l’économat avant qu’ils ne doivent tous envisager de sombrer dans le cannibalisme. La journaliste quant à elle, murmure des choses indistinctes à son caméraman, mais personne ne semble savoir quoi faire.

Sherlock observe la cuisinière, qui se tient dans l'embrasure de la porte, le couteau à la main. Soudain, un sourire éclaire son visage. Un bruit sourd résonne. Solène titube en avant, laisse tomber son arme, et s’effondre lourdement sur le sol. Derrière elle, Georgette, que tout le monde croyait endormie depuis des heures, se tient debout, une pancarte brisée en deux entre les mains, sur laquelle est inscrit "Petit poisson doit devenir grand". Son bandeau lui donne l’allure d’un pirate.

L'œil encore embué de sommeil, la vieille femme se penche sur Solène, puis se redresse lentement, victorieuse.

— C’était bien trop bruyant ici, lâche-t-elle avec un sourire fatigué. On ne peut même plus faire la sieste tranquillement.

Sherlock se précipite vers elle pour la féliciter, sous l'œil jaloux de Maurice, qui proteste et se venge en dévorant une demi-meule d’emmental à pleines dents.

Les autres membres du groupe, d’abord paralysés par l’incrédulité, éclatent finalement de rire, un rire libérateur, nerveux, qui chasse enfin la tension des dernières heures.

Sherlock regarde Solène, désormais inconsciente, puis tourne les yeux vers Georgette, un sourire approbateur aux lèvres.

— Georgette, vous avez encore le coup de poignet.

Elle hausse les épaules et fixe Gwenaëlle de son œil valide.

— Ce n’est pas la première fois que je calme une trouble-fête.

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