10. Réconfort
Les corps s'effondrèrent avec un bruit flasque. Je regardais toujours Shirahoshi d'un air stupéfait. Avec le sabre couvert de sang en main, elle ne ressemblait guère à la frêle et fragile jeune fille que j'avais secourue sur le bord de la route trois jours plus tôt. Pendant qu'elle essuyait la lame, je repris mes esprits et retrouvai mon air sérieux. Elle rengaina son sabre avant de se tourner vers moi.
J'examinai son visage, elle paraissait un peu gênée ou contrariée d'avoir dû se servir autant de son arme. Tant mieux. Si elle ne s'y habituait pas, elle ne perdrait pas sa gentille personnalité. Je ne lui souhaitais que ça au fond. Elle me fit un timide sourire et je signalai qu'on ne devrait pas traîner ici.
Nous ramassâmes nos sacs à dos et nous sortîmes de la supérette sans aucune nouvelle rencontre. Arrivées dehors, rien n'avait changé. Tout était aussi vide hormis la voiture verte abandonnée et le bruit du vent qui hurlait entre les bâtiments désertés. La jeune fille rangea nos nouvelles acquisitions pendant que je guettais les environs. Sans un mot, nous échangeâmes nos positions. Je glissai la main dans le carton contenant les armes à feu et munitions pour remettre des balles dans le chargeur que j'avais complètement vidé à l'intérieur. Je le coinçai dans ma ceinture et je me réinstallai au volant. Je vérifiai rapidement la distance qui nous séparait encore de notre destination à l'aide du GPS et l'éteignis. Je posai alors mes mains sur le volant mais je ne touchai pas à la clé de contact.
— Shagya-san ?
Je ne répondis pas tout de suite. Je me contentai de la regarder. Plus je me rapprochais de ma sœur, plus l'inquiétude grandissait en moi. Cela me consumait. Je redoutais à chaque instant qu'elle ne fasse une mauvaise rencontre. Une rencontre que j'aurais pu empêcher si je l'avais rejointe plus vite, si j'avais roulé plus longtemps...
— Tu t'inquiètes pour ta sœur ? Je suis sûre qu'elle va bien.
— Oui mais...
— En plus, on est presque arrivées non ?
Je hochai simplement la tête.
— Tu vas vite la revoir ! Tu pourras la serrer dans tes bras et vous serez enfin ensemble !
Elle me fit un grand sourire encourageant. Elle était beaucoup plus douée que moi pour rassurer les gens dites donc. Je repensais à ma conversation au téléphone deux jours plus tôt et je ris intérieurement tellement cela me sembla pathétique.
— Ce qui me fait peur, c'est qu'elle n'est pas aussi forte que moi, ou même toi.
— Moi ?
— Oui. Tu m'as assez impressionnée là dedans. dis-je en désignant du menton la petite supérette devant laquelle nous nous trouvions encore.
— Ce... ce n'était... jamais je... j'étais forcée de...
Je lui fis signe que je comprenais et reposai doucement mes mains sur le volant.
— Elle est en sécurité dans une sorte de complexe militaire non ? reprit la jeune fille voyant très bien que je continuais à me ronger les sangs.
— D'après son dernier message.
— Ce genre d'endroit a des barrières qui l'entourent non ?
— Oui.
— Alors on pourrait dire que c'est nous qui sommes confrontées à plus de danger qu'elle. On vient de presque se faire encercler par une vingtaine de revenants, insista Shirahoshi.
Je lui concédai qu'elle avait raison et me mis une gifle mentale pour me remettre les idées en place. Il fallait que je sois forte et que j'aie la tête froide. C'était mon rôle. J'étais la grande sœur. Elle devait pouvoir compter sur moi. Et Shirahoshi aussi. Même si je commençais à croire qu'elle pouvait mieux se débrouiller qu'elle ne le disait. Avec son sabre à la main, elle avait avancé directement vers l'ennemi d'un pas rapide et léger, quasiment indétectable. Lorsque j'avais été à court de munitions, elle n'avait pas hésité. Je sentis que je pourrais compter sur elle à l'avenir. Je tournai alors la clé de contact et la voiture démarra tranquillement.
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