34. Nouveau départ
Et là, mon arme s'enraya. Hébétée, je laissai retomber mon bras. Mon pistolet était toujours parfaitement entretenu, le fait que la balle ne parte pas n'avait aucun sens. En plus, j'avais vidé la moitié de mon chargeur il y a moins de dix minutes. Devais-je y voir un signe quelconque ? Épuisée, je fermai les yeux un instant. Quand je les rouvris, le soleil était en train de se lever. Je me redressai difficilement. J'avais donc dormi près d'une journée ? Sans inquiétude pour l'avenir ou pour une possible trahison de la part de Jared, j'avais dormi d'un sommeil de plomb. J'avais l'impression qu'hier n'était qu'un mauvais rêve. La routine prit alors le dessus dans mon esprit. J'avalai rapidement de quoi reprendre des forces. Ensuite je m'assis à la table de la cuisine et démontai avec minutie mon pistolet. J'enlevai la balle qui avait failli m'ôter la vie et nettoyai l'arme. Il me restait encore cinq balles.
Prise d'une soudaine envie, j'allai dans la salle de bain et fis couler de l'eau dans la douche. Je me glissai sous l'eau froide en frissonnant et me frictionnai le corps avec un pain de savon qui traînait. Je me séchai rapidement ; je m'attardais devant le miroir pour examiner mon visage. Les cernes me ravageaient la figure et j'avais les traits tirés. Pour ma survie il fallait que je retrouve un rythme de sommeil normal. Pour ma survie ? Mon regard s'attarda sur mon cou. Je m'attendais à voir une croûte noire, de la pourriture dans ma griffure. Mais la blessure était juste rosée, comme si elle était en train de cicatriser doucement. Une légère couche de sang coagulé recouvrait les bords pour empêcher le sang de s'échapper. Je m'examinai sous toutes les coutures.
J'avais vu quelqu'un se transformer durant la première semaine après le changement. Suite à une griffure ou une morsure, la plaie s'infectait, devenait noire, suintait du pus, la contagion était même visible sous la peau une fois que le virus avait atteint le sang. Rapidement venaient la fièvre, les convulsions, la bave aux lèvres et puis c'était la transformation.
Ma plaie était propre et hormis la fatigue, je ne ressentais aucun mal. Aucun de mes vaisseaux sanguins n'était noirâtre ou éclaté alors que cela faisait quasiment vingt-quatre heures que j'avais été griffée. J'allais même jusqu'à examiner le blanc de mes yeux, le bout de mes doigts, l'espace entre mes orteils, les racines de mes cheveux. Allais-je survivre ?
Les cas d'infectés dont j'avais la connaissance avaient tous succombé en moins de douze heures. Mon esprit se mit à me chuchoter des paroles d'espoir. Le mot « immunité » se forma dans mes pensées. Mais pourquoi moi ? Je n'avais rien de spécial. J'étais un simple membre des forces d'intervention de la police. Je ne consommais pas de drogues ou de médicaments expérimentaux. Aucune opération n'avait été pratiquée sur moi. Ma visite la plus récente chez un médecin datait de plus de six mois et c'était un contrôle de routine chez le dentiste. J'avais toujours eu un bon système immunitaire mais je doutais que cela suffise contre ce genre de virus. Frissonnant à cause de ma nudité, je remis mes vêtements. Je fouillai rapidement les placards de la salle de bain, pris quelques bricoles utiles. Je les enveloppai dans des vêtements propres volés dans la chambre et fourrai le tout dans mon sac. Je mangeais à nouveau et emportai ce que je pouvais. Il fallait que je rentre pour démêler tout ça avec les autres.
Et il ne me restait plus que cinq balles, je devais éviter le conflit à tout prix. Je sortis le couteau caché dans ma botte et l'accrochai à ma ceinture. Je partis prudemment en direction de l'entrée, j'avais déjà eu une mauvaise surprise dans le couloir. J'enjambai le cadavre en décomposition sur le pas de la porte en fronçant le nez, dire que ça aurait pu être moi...
Je partis en rasant les murs, descendis l'escalier d'un pas souple, le pied aussi léger que possible. Je rejoignis rapidement la rue et fis le tour du quartier sur mes gardes. Je revins près de la jardinerie de la veille. Ma voiture n'était plus là, j'espérai que les autres étaient rentrés sains et saufs aux cavernes et que Shirahoshi et Max avaient bien réussi ce que j'avais attendu d'eux. Je ne m'attardai pas dans cet espace découvert. Je rebroussai chemin sur la route qui menaient aux cavernes.
A pied, il me faudrait un moment pour rentrer. Je remontai mon sac lourd sur mes épaules et me mis en route. Je trottinai jusqu'à sortir de la ville. Ensuite, je marchais d'un pas vif au milieu de la route comme si le monde m'appartenait. Les environs étaient dégagés et la route filait tout droit jusqu'aux cavernes. Je mis une bonne heure pour arriver. A cette heure, c'était Shirahoshi qui devait surveiller la route. Elle cria si fort que je l'entendis là où j'étais. Je me dépêchai et franchis nos défenses à l'entrée. La jeune fille quitta son poste et se dirigeait vers moi, Max sortit d'un bâtiment pour voir ce qui se passait. Un mouvement attira mon attention sur la gauche, une ombre se jeta sur moi et nous tombâmes à terre. J'étais prise dans une étreinte puissante et un chuchotement de Gretha me parvint :
— Sylvia !
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