Le Prince savait que le plan était loin d’être infaillible. À vrai dire, il comportait même de nombreuses failles. Cependant, au vu de leurs moyens limités, c’était la meilleure stratégie possible... ou la moins mauvaise. Il répugnait beaucoup a laisser Séréna seule derrière les lignes ennemies, mais ni Charlie, ni lui seul ne pouvait faire face un aussi grand nombre d’adversaires simultanément.

En l’absence d’aptitudes magiques, Armand avait dû s’adapter. Même les armes enchantées semblaient refuser de lui prêter leur pouvoir. Ainsi, il était le seul guerrier de son peuple à se reposer uniquement sur ses compétences martiales. Mais, c’était un art dans lequel il excellait.

Si le Monde Central avait connu la paix depuis si longtemps, c’est parce que sa nation savait faire montre de fermeté lorsque cela était nécessaire. Alors, à de nombreuses reprises, des escarmouches avaient éclaté à la frontière Septentrionale.

Les habitants du Septentrion étaient de fiers guerriers dépourvus de magie. Ils enviaient leurs pouvoirs aux Centraliens et l’histoire des deux nations était empreinte de nombreux conflits sanglants. Armand avait eu l’occasion de combattre dans l’armée de son père et jamais, il n’avait démérité. Gagnant par la même occasion le respect de ses pairs. Cependant, ses efforts ne paraissaient jamais suffire aux yeux de sa mère et des grands Mages du Royaume.

Il affronta vaillamment les Corrompus qu’ils avaient attirés loin de leur camp de base grâce à la diversion provoquée par le déploiement de la Magie de Charlie. La Guetteuse n’avait pas menti, la majorité de leurs adversaires s’étaient précipités vers eux. Très probablement assurés du basculement prochain de Tamara vers la Corruption. Séréna avait le champ libre pour agir.

Encadrant les Rêveurs maudits, Armand compta une dizaine de soldats Septentrionaux. Tous des hommes, qui comme souvent, possédaient davantage de muscles que de cervelle. Le Prince s’étonna que Sigrid n’ait pas envoyé sur cette mission hautement sensible Harald Ravenshield, au côté d’Astrid et du Rêveur Noir.

Le fils du roi du Septentrion et Armand entretenaient un passif chargé. Cette rivalité entre eux les avait menés à croiser le fer avec violence quelques années plus tôt. Ravenshield en était sorti défiguré par une cicatrice qui courait de son œil jusqu’à sa bouche. Quant à Armand, son pectoral droit le faisait encore souffrir certains jours, tant la lame de son ennemi avait profondément entaillé le muscle.

Harald gardait depuis lors envers Armand une rancune brûlante et tenace. Le Roi Ernald du Septentrion était un des souverains les plus modérés que cette nation de rudes guerriers n’ait jamais comptés. Il avait amorcé un rapprochement avec Centralia lorsqu’il était monté sur le trône, mais beaucoup trop de ses sujets n’étaient pas prêts à enterrer des siècles de conflit, tout comme certains conseillers ultra-conservateurs de Centralia.

Toutes les relations entre le Septentrion et le Monde Central étaient rompues depuis cinq ans. Cela n’avait pas été une surprise de découvrir que les hommes du nord s’étaient alliés à Sigrid. Dès l’instant où de la magie rentrait dans la balance, ce royaume qui s’en croyait injustement dépourvu, n’hésitait pas à prendre les armes.

Armand n’avait jamais l’esprit aussi clair que lorsqu’il maniait l’épée. Il parait, feintait, esquivait avec agilité avant de contre-attaquer avec une férocité implacable. Non pas qu’il se complaisait dans la violence, mais lorsqu’il combattait, il avait l’impression d’avoir un semblant de contrôle sur sa vie et sa destinée.

Le reste de son existence lui paraissait minutieusement planifiée et tracée par d’autres. Sur les champs de bataille, sa vie n’appartenait qu’à lui. Elle ne dépendait plus d’une quelconque prophétie ou d’un pouvoir qui lui échappait.

Il s’employa à détruire toutes les illusions cauchemardesques que les Terranéens faisaient jaillir vers lui, ferraillant directement contre ses adversaires, qu’ils soient des Septentrionaux ou des Rêveurs Corrompus, qui, bien qu’entrainés au combat, ne faisaient pas le poids face à lui. Il s’entraînait chaque jour depuis l’âge de douze ans. Le combat à l’épée était une spécialité dans lequel il se distinguait. Sa lame ressemblait à un prolongement de son bras.

Charlie n’était pas en reste en contrant chaque attaque dirigée contre elle. Cependant, quelque chose clochait, seuls des sous-fifres leur faisaient face. Où se trouvait donc leur leader ?

- Où est Astrid ? cria-t-il à Charlie pour couvrir le tumulte de la bataille. Il n’y a que des Rêveurs Corrompus ici, pas de Tisseurs de Rêves.

Il repoussa un adversaire d’une habile parade.

- Elle n’est pas ici, répondit la Guetteuse sur le même ton. J’ai peur qu’elle n’ait pas mordu à l’hameçon !

Elle élimina un ennemi dans une gerbe de flammes. Le feu était son élément magique. Et, pour ce qu’en avait vu Armand, elle le maniait avec précision. Cette femme possédait des pouvoirs considérables pour une simple Guetteuse. Cette dernière jura.

- Je ne ressens plus la magie des Rêves de Séréna... En revanche, je perçois la Corruption. Astrid l’a trouvée !

Le sang d’Armand ne fit qu’un tour. Il espéra que Séréna ne se laisserait pas submerger par sa peur, comme elle l’avait fait sur la plage. Ils n’avaient plus de temps à perdre. Il repoussa un nouvel assaillant avant de trancher la tête d’un Barghest. Mais, ils n’avaient plus de temps à perdre, il leur fallait rejoindre la Tisseuse de Rêves au plus vite.

- Couvrez-moi ! s’écria Charlie. Je vais nous proclipser jusqu’à elle.

Armand s’exécuta et bientôt, il ressentit la sensation caractéristique. Son corps se réchauffa brusquement et de légers picotements parcoururent sa peau. De la fumée lui piqua le nez et la gorge. De toutes les proclipsions, c’était celle liée à l’arcane du Feu qu’il détestait le plus.

Leurs ennemis étant dépourvus de cette technique, ils disposeraient d’un peu d’avance pour maîtriser Astrid et fuir avec les deux Rêveuses. Si tant est qu’elles ne soient pas irrévocablement tombées toutes deux dans les filets de leurs ennemis...