Nuit de Sîn
Cela faisait quarante-huit heures qu’ils progressaient dans une atmosphère délétère – saturée d’odeurs de viande et de sang, ainsi que de cris d’agonie – engendrée par l’oo’lu dans lequel Roland soufflait en permanence. Dans la chaleur de cette mi-juin, tous les membres du ka-tet, à l’exception de Mir, étaient nauséeux. Fort heureusement, Silaid avait confectionné, avec des plantes cueillies sur les bords des chemins, une lotion dont tous s’étaient oints, pour se débarrasser des centaines de mouches qui, frustrées d’avoir été bernées par leur odorat, s’acharnaient sur le ka-tet. À la suite de quoi le nuage vibrionnant s’était rabattu sur la masse des canards-zombies, qui les suivaient à cent cinquante toises de distance. Lesquels, au grand dam des humains, ne semblaient nullement dérangés par les insectes.
Silaid avait eu l’idée de faire fabriquer un travois dans lequel, Shirley, Kay, Gaël et Nibs s’étaient reposés à tour de rôle. À l’exception de Roland, tous se relayaient pour tirer le traîneau, aucun animal de trait n’étant envisageable dans l’environnement pestilentiel créé par Roland. Mir n’était indisposé ni par les cris, ni par les odeurs, ni par la chaleur, et n’avait nullement l’air fatigué. Silaid, protégée par sa voilette, manifestement plus efficace que les mouchoirs utilisés par certains membres du ka-tet, était relativement épargnée par la puanteur. L’épuisement guettait le groupe. Mir partit en reconnaissance afin de trouver un abri sûr. Une heure et demie plus tard, tous purent observer une certaine agitation au sein du rassemblement des canards-zombies. Gaël prétendit avoir vu Miou bondissant et décapitant des palmipèdes. Silaid ne réussit pas à le convaincre que c’était impossible, qu’il s’agissait d’un autre prédateur, que malheureusement Miou était probablement mort à Historia lors de son attaque des zombies. Une demi-heure après la fin de la sarabande, Mir était de retour. Il annonça que la chance leur souriait, il avait repéré une tour haute de cinq toises, elle était isolée au milieu de champs à un mille de la route, à un peu plus d’une heure de marche.
Arrivé à cent toises de l’abri, Roland cessa de jouer. Quelques canards-zombies allaient probablement se disperser. Mais aucune habitation ni aucun troupeau n’étant en vue l’immense majorité devrait tourner en rond. Le bâtiment était muni d’une porte, à double battant, bardée de ferrures, que Gaël s’empressa de fermer à l’aide d’une barre transversale affectée à cet effet. L’escalier menant au premier étage avait été détruit, une échelle le remplaçait. Silaid y monta, suivie par Gaël, Nibs, Roland, Kay et Shirley, ainsi que Mir qui tira l’escabelle derrière lui. Des volées de marches intactes desservaient deux autres niveaux et une terrasse, entourée de créneaux, Roland choisit de camper sur celle-ci. Mir convia les deux princesses à partager sa couche, Kay et Shirley affirmèrent que c’était dans ce dessein qu’elles s’étaient jointes au groupe. Il invita Gaël à bénéficier des faveurs de l’une des ribaudes, offre que celui-ci déclina en rougissant ; il fit une proposition identique à Nibs, qui répondit que les femmes ne l’intéressaient pas. Mir l’observa, s’attardant sur sa chute de reins : « Tu es plus BC que BG ! Si tu veux, je t’honorerai volontiers, mais je te préviens, il est hors de question que je te laisse me gamahucher », précisa-t-il, l’index pointé en direction des incisives de Nibs.
Silaid décida de bivouaquer au premier étage pour assurer la sécurité du ka-tet, elle offrit à Gaël de s’installer au même niveau qu’elle, ce qu’il s’empressa d’accepter, soulagé de ne pas rester seul à un autre étage. Sans être pudibonde, Silaid était chaste. Elle n’ignorait pas que malgré la laideur de son visage, son corps inspirait le désir, elle-même en éprouvait parfois, mais elle refrénait ses émois, car elle savait jusqu’où ils pouvaient mener. Les dérives de la débauche, de la lubricité et de la luxure étaient évoquées, dans plusieurs des contes de sa mère. De plus, elle était intimement persuadée que la rencontre promise dans le message du djinn serait source d’Amour, mais jamais cette vérité n’effleura sa conscience.
Mir entraîna Nibs, Shirley et Kay deux paliers plus haut, d’où gémissements, râles, cris de plaisir et bruits d’ébats retentirent jusque très tard dans la nuit. Mir, inépuisable amant, exténua les deux ribaudes et le giton. Sous toutes ces caresses, Miou s’était gorgé de mana.
Au petit matin, des pas résonnèrent sur les marches menant à la terrasse. Une culotte sombre dépassant de cuissardes et une tunique verte, assortie à ses yeux, vêtaient la magnifique jeune femme rousse. Dans son dos était accrochée une longue épée à une main et demie. À sa ceinture pendaient une dague sur la hanche droite et un court poignard sur la gauche. Mesurant cinq pieds six pouces, elle se nommait Adèle de La Tour Noire. Arrivée sur la plate-forme, contrairement à tout ce qu’il savait d’elle, elle se débarrassa de ses bottes et de son pantalon gardant sa cotte et ses armes puis s’offrit à califourchon au-dessus des lèvres de Roland, qui s’exécuta aussitôt. Plus tard lorsqu’il voulut reprendre l’initiative, elle se pencha en avant l’invitant à continuer de pratiquer ce qui était interdit à Nibs. Elle quitta la terrasse, sans avoir prononcé un mot, laissant Roland tendu, frustré, abasourdi, dubitatif. Ce qu’il venait de vivre était impossible, Adèle n’appartenait pas à ce monde, pourtant son désir était là, douloureux, inassouvi. Il n’avait pas rêvé, Roland ne rêve pas. Il avait son goût dans la bouche, tel qu’il l’avait imaginé. Renonçant à comprendre il se délecta de la cyprine qui imprégnait ses papilles.
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Note : Adèle de La Tour Noire ➢ Personnage créé par Hazeldark. Adèle a participé avec Roland à la quête d’Anthéa (œuvre collective écrite lors de la deuxième session du mooc Fantasy, de l'Angleterre victorienne au Trône de fer).
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