Chapitre 10. SUPPORT
J'avais quitté la maison d'Andie tôt le matin. Il ne s'était plus rien produit durant la nuit. Je n'avais plus jamais envie de revivre une chose pareille, c'était la pire nuit de toute ma vie et je n'étais pas au bout de mes peines. Mon enquête n'avait pas beaucoup avancé. Du moins pas autant que je l'espérais. Je n'étais pas d'humeur joyeuse, loin de là. Mon obsession à vouloir deviner qui était le responsable de la mort de Wendy me devenait vitale. Je décidai pourtant de me changer les idées, car j'étais en train de me perdre dans des choses trop complexes. Et pourtant, je sentais que la réponse était toute proche de moi. Je me rappelai de Kyle. Le pauvre se laissait dépérir chez lui. Pour Wendy, et aussi car Kyle était mon ami et que je l'aimais beaucoup, je pensai qu'il était tant pour lui de recommencer à vivre. C'était invraisemblable, s'il y avait deux personnes parfaites au lycée c'était bien Wendy et Kyle, en plus ils étaient en couple. Elle c'était suicidée et lui se laissait dépérir dans sa douleur. Non, je devais agir !
Je partis chez Kyle, même s'il ne m'avait pas autorisée à venir. Son père m'ouvrit avec un air encore plus accablé que la première fois. J'avais peur. Je toquai à la porte de la chambre de Kyle mais il refusa de m'ouvrir. Comme c'était fermé à clé, j'eus beaucoup de mal à rentrer. Il dut penser que j'allais abandonner si facilement. Ce n'était pas mon genre. Il fallait se battre avant de renoncer. La pièce d'à côté était la salle de bain. J'y entrai. Je passai par la fenêtre et me retrouvai sur le toit. De là, j'avançai en direction de la fenêtre de la chambre de Kyle. Il me vit et cria :
- Arrête ! Qu'est-ce que tu fais ? Tu e folle !
J'explosai de rire. Quand j'arrivai devant lui, je n'eus plus qu'à passer une nouvelle fois par la fenêtre, en sens inverse de la première fois.
- Tu ne pensais pas que j'allais faire ça, n'est-ce pas ?
- Non, jamais je n'aurais cru ça.
- On ne se débarrasse pas de moi si facilement !
Kyle sourit. J'étais contente de moi. Je le regardai attentivement et lui dis, sans réfléchir à ce qu'il en penserait :
- C'est horrible, tu ne ressembles à rien ! Autant avant tu étais très mignon... Mais là tu as dû perdre au moins trois ou quatre kilos. Tes cheveux sont sales et mal coiffés ! Et tu as mis des habits vraiment démodés. Si tu te laisses aller comme ça plus longtemps, c'est moi qui vais finir par me suicider !
- C'est gentil ce que tu me dis.
Je me rendis compte de ce que je venais de faire.
- Désolée, je ne voulais pas te vexer...
- Non, je ne suis pas vexé. Au contraire.
- Ah bon ?
- Oui, c'est gentil d'être sincère. Mais je n'arrive pas à manger, ni à dormir. Donc je ne me lève pas, je ne me coiffe pas. Et je ne rentre plus dans mes habits depuis que j'ai maigri.
- C'est embêtant. Pourtant il va falloir que tu te coiffes et que tu t'habilles pour sortir !
- Je ne sortirai pas, Debbie !
- Bien sûr que tu vas sortir !
- C'est hors de question !
- Je ne te laisse pas le choix. Si tu veux je te coiffe et je t'habille, mais tu sortiras !
- Ça va, je devrais pouvoir m'en sortir seul...
Quand Kyle eut enfin daigné se préparer, on put sortir. Nous marchâmes le long des rues, sans dire un mot. Je ne savais pas quoi lui dire. Je suppose qu'il était dans le même cas que moi.
- Aller c'est l'été ! fis-je. On pourrait aller manger une glace, j'ai faim !
- Moi pas.
- Je suis certaine que tu dis ça exprès pour ne pas me faire plaisir.
- Non, mais j'ai perdu l'appétit.
- Justement, il est temps de le retrouver. Si tu ne manges pas, je te donnerai à manger avec une seringue !
- Non, je ne pense pas.
- Si. Tu ne pensais pas non plus que je passerais par la fenêtre !
- Oui. Bon d'accord pour ta glace.
Nous achetâmes deux glaces et partîmes les manger au bord du lac. J'avais peur de dire quelque chose, j'avais peur d'en dire trop ou pas assez. Je ne savais pas par où commencer. Et quand je trouvai, je me demandai comment ça finirait. Alors je ne dis rien. On regarda l'horizon sans dire un mot. Il y avait une grande roue dans le parc.
- On en fait un tour ? demandai-je timidement.
- OK.
Je lui pris la main et me mis à courir en direction du manège. Kyle avait un peu de mal à me suivre. C'était la première fois depuis longtemps qu'il osait sortir de son lit. Nous fîmes une fois la grande roue. Je faisais des grimaces et je poussais des cris, dans le seul but de le faire rire. C'était une manière enfantine et maladroite que j'avais employée, mais je n'avais jamais été dans cette situation. Cependant Kyle ne semblait pas être gêné par l'étrange façon dont je me comportais. Il en était plutôt amusé. Je courrais et je sautais partout. Je ne savais pas pourquoi j'étais si joyeuse. Comment aurais-je pu le deviner ? Une idée me traversa l'esprit.
- Allons au centre commercial. Tu ne peux pas continuer à t'habiller comme... un gitan !
Il eut un rire et accepta ma proposition. Nous mîmes un temps fou à lui trouver des habits convenables et dans lesquels il rentrait. Mais ce fut l'occasion de nous amuser à essayer toutes sortes de vestes, de chapeaux, de chaussures et même de maquillage. J'avais mis du rouge à lèvre à Kyle, et lui m'avait fait testé un échantillon de crème à raser. Ressortant du centre commercial, nous continuâmes à marcher. Je ne voulais pour rien au monde que cet après-midi s'arrête. Nous nous installâmes sur une place où il y avait des bancs et des jets d'eau qui sortaient du sol. Insouciante et enthousiaste, je me jetai dans les jets et en ressortis trempée des pieds à la tête dans la moindre épaisseur de mes vêtements. Entre temps, Kyle m'avait rejoint et nous nous étions livrés à une bataille d'eau des plus drôles. J'avais l'impression fantastique que je me trouvais dans un autre monde que celui où je cherchais désespérément l'assassin de Wendy. Après tous ces fous rires, j'eus une soudaine envie de café, comme il me prenait souvent avec ma meilleure amie de son vivant. Je demandai à Kyle que nous allions dans un café boire quelque chose. Après une longue hésitation, il consentit à ma demande. Quand nous fûmes assis à la table, il me dit :
- Je ne me sens pas très bien. Ces endroits me rappellent Wendy...
- Kyle, c'est vrai qu'elle aimait beaucoup les cafés, les bars et les salons de thé... Mais ce n'est pas parce qu'elle est partie qu'il faut faire de ces lieux des endroits sacrés et tristes. Au début, j'ai aussi eu beaucoup de mal avec les cafés. Mais à présent, ils me rappellent tous les bons moments que j'ai passés avec Wendy.
- Mais je n'arrive pas à oublier... tout ça...
- Si on se laisse hanter par le fantôme de Wendy, on ne pourra plus vivre. Je suis triste qu'elle soit morte, évidement. Mais il faut voir l'avenir, il faut penser à ce que Wendy aurait voulu pour nous !
- Elle aurait voulu que tout reste comme avant...
- Non, sinon elle serait restée. À moins que ce n'ait été un meurtre. Mais je n'ai pas de preuves. Je cherche mais je ne comprends rien, je ne trouve rien. J'en perds la tête, je deviens folle. Je suis tellement contente de passer cet après-midi avec toi. Ça me change les idées. J'ai passé une nuit horrible !
- Mais pourquoi cherches-tu ? Tu veux devenir détective ?
- C'est une manière de faire mon deuil... Il y a une chose anormale dans la mort de Wendy et je vivrai en paix lorsque j'aurai compris ce que c'est.
- Et si tu ne comprends jamais ?
- Je deviendrai folle et je serai bonne à faire internée dans un asile.
- Je m'ennuierai alors.
- Tu viendras me voir à l'asile. Comme je serai folle, tu t'amuseras bien. Tu pourras me faire croire tout ce que tu veux, me faire manger n'importe quoi et me mettre plein de crème de rasage. Mais tu seras toujours mon ami si je deviens folle ?
- Évidement !
- J'ai peur parfois... je veux dire que je... enfin non, laisse tomber. J'ai besoin de ton soutien. C'est important qu'on se soutienne tous les deux. Tu ne me laisseras pas tomber ?
- Tu as peur que je t'abandonne ?
- Voilà. J'ai peur de faire un faux pas, peur de t'ennuyer, que tu partes... Je vais rentrer. Je te raccompagne ?
- Si tu veux. On rentre par la porte ou la fenêtre ?
- Si tu acceptes de m'ouvrir la porte ça serait sûrement plus simple. Mais si un jour tu as des envies d'escalade je peux t'apprendre à entrer par les fenêtres.
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