5. Nigthmare I
15 février 2014, 3 heures 30
La nuit est blanche…
Nathan, mon fils, fume une Marlboro sur le sable blond éclairé par la lune ; je ne l’ai pourtant jamais surpris une cigarette à la bouche.
Loin du rivage, il observe avec autant de curiosité que de rancœur mon premier amour, emmitouflé dans sa veste trois-quarts, flâner sur la plage. Mais son adolescence s’est fanée depuis longtemps : l’Élodie qu’il regarde, qu’il scrute, n’est plus celle que j’ai connue. Désormais, elle affiche trente-huit printemps au compteur, tout en conservant cette aura séductrice qui n’appartient qu’à elle.
La désire-t-il autant que moi malgré les vingt-trois ans qui les séparent ?
Toujours est-il qu’il ne la quitte pas des yeux dans son errance, quand elle déambule, les pieds nus, dans les eaux glacées de l’océan qui se retire lentement en mouillant le bas de son futal. Par moments, elle s’arrête nonchalante, fixant obstinément l’horizon, comme si elle cherchait à y débusquer quelque chose. Profitant de son éphémère absence, une silhouette empâtée s’approche d’elle sans qu’elle s’en aperçoive, et enserre son cou. Tandis que Nathan reste impassible face à l’agression de la rivale de sa mère, Élodie se débat, tente d’échapper au colosse qui la malmène en appelant au secours, mais ce dernier la rattrape sans peine et lui fait boire la tasse à plusieurs reprises. Dans un ultime instinct de survie, elle parvient néanmoins à lui échapper encore avant qu’il ne la fasse chuter en se précipitant sur elle pour l’immobiliser de tout son poids et achever de l’étrangler. Ce n’est qu’à cet instant précis que le jeune témoin de la scène se décide à agir en dégainant un flingue sorti de nulle part ; un coup de feu retentit et fait fuir l’homme pris en faute. Tandis que ce dernier se carapate sans demander son reste, l’adolescent s’avance au chevet du corps inerte balayé par la houle. Il s’accroupit à sa hauteur, prend son pouls et referme ses paupières.
Il est trop tard : Élodie est morte…
L’image lui est insoutenable. Cédric ouvre alors subitement les yeux pour s’extraire de ce cauchemar. Le choc, violent, ne le laisse pas indemne : reclus dans son petit bureau-refuge, il halète comme un chien, convulsant presque de panique. Tout était trop réel pour être fictif. Pourtant, son fils n’a jamais rencontré Élodie. Il ne sait même pas qu’elle existe...
Nathan aurait pu être leur enfant, à Élodie et lui. Et s’il ne l’avait pas été, il aurait pu avoir un grand frère ou une grande sœur. Mais la jolie rousse avait influé sur le destin en changeant la donne : elle avait choisi, en solitaire, d’avorter...
***
8 mai 1994, plage de La Baule
— Je ne comprends pas, Élo, pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?
— Parce que ça ne te concerne pas.
— Comment ça, ça ne me concerne pas ? Putain, mais tu portais notre enfant, bordel de merde ! J’avais quand même mon mot à dire, non ?
— Et depuis quand les mecs se préoccupent-ils des dommages collatéraux que peuvent provoquer leurs parties de jambes en l’air, hein ? Depuis quand ?
Je l’ignore encore, mais sa pique féministe ne s’adresse pas directement à moi. En son for intérieur, elle en veut à son père, que sa mère a récemment surpris dans les bras d’une midinette.
— Je n’étais pas prête pour ça, poursuit-elle, pas prête à sacrifier ma vie, mon avenir pour un gosse dont je ne voulais pas…
— Et si moi, je l’avais voulu, ce gosse, tu y as pensé ? J’ai bientôt dix-huit ans, j’aurais pu trouver un boulot pour l’assumer, pour qu’on vive tous les trois sous le même toit, mais non, toi tu en as décidé autrement !
— Oui, je l’ai décidé, Cédric, parce que c’est mon corps, pas le tien, et parce que j’en fais ce que je veux. Oh, et puis tu me soûles à la fin, y’a vraiment pas de quoi en faire un fromage !
Courroucé, je la stoppe dans sa course le long du rivage et la contrains à me regarder droit dans les yeux. Je ne peux pas lui pardonner ça, mais elle s’en contrefout, réussit à se dégager de mon emprise et tourne les talons pour m’abandonner sur cette plage où tout a commencé entre nous, où tout semble s’achever. Des larmes coulent sur mes joues parce que j’en prends conscience : les jours et les semaines à venir ne suffiront pas à la retenir…
***
Non, Nathan n’est pas le fils d’Élodie, il ne lui ressemble pas. Il a la blondeur de sa mère, de Sarah. Il est la plus belle preuve d’amour qu’elle ait pu offrir à Cédric. Mais aujourd’hui, alors qu’il est presque un homme et qu’ils pourraient avoir ensemble des conversations d’adultes, l’adolescent se ferme face à son père, ce dernier se heurtant à un mutisme qu’il peine à briser seul. Sarah ne cesse de le lui reprocher...
***
— Tu es froid comme père, froid comme flic… Même comme mari, tu es froid ! Froid et distant...
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