6. Reality
15 février 2014, Commissariat Central de Police de Saint-Nazaire
— Ah, Costa, vous tombez bien ! interpelle le commandant Sorbier à l’adresse du capitaine Cédric Costarelli dès son arrivée. On a un nouvel homicide, et d’après les premières constatations de la gendarmerie, le mode opératoire pourrait correspondre à celui de L’Étrangleur…
— La gendarmerie ?
— Oui, parce que notre tueur en série a innové la nuit dernière en étendant son périmètre. Sa nouvelle victime a été retrouvée sur la plage de La Baule.
— Et on est sûr que c’est l’œuvre de L’Étrangleur ?
— Le procureur en a l’intime conviction. C’est pour cette raison qu’il tient à ce que nous coopérions étroitement avec la gendarmerie. Votre équipe est déjà sur place, je vous laisse la rejoindre…
Peu convaincu, Costarelli obéit néanmoins docilement à l’ordre hiérarchique ; une fois installé au volant de son auto, il décide tout de même d’appeler Audrey Thévenet, sa subordonnée, pour en apprendre davantage sur cet étrange meurtre.
— Allô, Lieutenant ? Costa à l’appareil. Je suis en route, Sorbier vient de me briefer mais j’ai l’impression qu’il ne m’a pas tout dit...
— Bonjour Capitaine. Eh bien, il y a effectivement des similitudes avec les habitudes de L’Étrangleur, mais il y a d’autres choses qui ne collent pas. Notre serial killer n’a certes pas changé de type de proie : une belle femme rousse issue de la bourgeoisie locale. Sauf que notre présente victime, si elle est bien native de la région, est notaire sur Paris. Autre différence notable : si la cause première du décès est bel et bien la strangulation, son assassin l’a également noyée post-mortem. A croire qu’il voulait vraiment assurer ses arrières…
L’image de la flamboyante chevelure d’Élodie luttant contre un inconnu s’impose furtivement dans l’esprit de Costarelli avant qu’il ne chasse cette vision d’un battement de cils et ne se recentre sur sa conversation téléphonique :
— On a identifié le cadavre ?
— Oui, Capitaine. Il s’agit de Maître Hatkins, Élodie Hatkins, née Forquin le...
— 18 octobre 1976 à Nantes, balbutie-t-il dans un souffle.
— Exact, Capitaine ! s’exclame Audrey, stupéfaite à l’autre bout du fil. Mais comment pouvez-vous le savoir ?
Costa raccroche sans répondre à la question et s’arrête le long du trottoir, abasourdi. Ses prunelles s’embuent sous le choc de l’annonce et de l’émotion qu’elle suscite en lui. Élodie est vraiment morte, ce n’était pas qu’un cauchemar…
***
Plage de La Baule
Dès l’arrivée de Costarelli sur les lieux, les lieutenants Audrey Thévenet et Guillaume Séverin accourent pour le rencarder sur les prémices de l’enquête. Au loin, la vue des rubalises perturbe le quasi-quadragénaire. La matérialisation de cette scène de crime se superpose aux souvenirs qu’il garde de cette plage, au fin fond de sa mémoire. Progressivement, il se laisse gagner par une doucereuse nostalgie, étouffant presque inexorablement les paroles lancinantes de ses collègues. Petit à petit, celles-ci se transforment en un léger brouhaha, aussi monotone que le bruit des vagues s’échouant sur le sable. Le sable, là où Élodie l’aguichait. Là où il la retrouve comme si elle n’était jamais partie, comme si elle était toujours vivante. Comme s’il ne parvenait pas à réaliser que c’était elle, la victime. Elle...
***
Juillet 1993
— Je suis sûre que t’es pas cap’ de te foutre complètement à poil pour prendre un bain de minuit…
Élodie joint le geste à la parole en se désapant sous mon regard ahuri.
— T’es folle, on pourrait nous surprendre !
Indifférente à ma crainte, elle poursuit son effeuillage dans un grand éclat de rire. Le clair de lune éclaire sa nudité comme en plein jour ; elle est merveilleusement belle et je la désire comme jamais. Elle s’enfonce doucement, à reculons dans l’océan, en m’invitant de son index à la rejoindre. Je bande comme un malade à la vue de son corps si parfait, de ses seins, sa toison ou ses hanches… Mais je me fais violence pour ne pas céder à mes pulsions.
Alors, elle suspend son immersion tout en haut de ses cuisses, les vagues léchant sa vulve en un délicat va-et-vient suggestif. Les paupières à demi-closes, elle caresse d’un doigt sa fente. Éberlué par l’érotisme insoutenable de la scène, je me contrains à rester stoïque, les pieds enfoncés dans le sable humide.
Déçue de ne pas parvenir à susciter l’effet escompté, ma belle ressort subitement de l’eau et fonce sur moi pour m’arracher ma chemise, mon bermuda et mon caleçon. A présent, je suis intégralement nu devant elle, mon sexe au garde à vous, sans aucun artifice pour le masquer. Elle m’embrasse à pleine bouche en me masturbant tandis que je finis par égarer mes mains sur son joli postérieur. Au fil du temps qui s’égrène, nous n’en finirons plus de faire l’amour sur « notre » plage, avant de nous adonner aux joies d’un bain de minuit ponctué de torrides joutes charnelles…
***
Une housse mortuaire passe à la hauteur de Costarelli et stoppe net ses pérégrinations passéistes. Il fait signe aux deux hommes transportant le corps de la victime de s’arrêter. Il a besoin de la voir, de savoir si c’est vraiment elle. Un bruit mat : la fermeture éclair s’ouvre sur le visage de celle qu’il a tant aimée. Son trouble est perceptible.
— Ça va aller, Capitaine ? s’enquiert Audrey avec sollicitude en posant une main qui se veut réconfortante sur l’épaule de son supérieur.
Ce dernier acquiesce d’un signe de tête en retenant ses larmes.
— Vous la connaissiez, n’est-ce pas ? Si c’est trop dur pour vous, peut-être serait-il préférable…
— Non, Lieutenant. Merci, mais je ne veux pas être dessaisi de cette enquête. Ça fait vingt ans qu’on s’était perdus de vue, elle et moi, je ne savais même pas qu’elle était revenue dans la région…
— Et vous êtes sûr que…
— Certain, oui. Je veux coincer le salopard qui lui a fait ça, Audrey, l’arrêter et comprendre l’enchaînement des événements qui l'ont conduit à la tuer…
Cédric se contraint à ne rien laisser transparaître, mais la caresse de sa main sur la joue devenue froide d’Élodie le trahit. Ses deux lieutenants ne pipent mot ; ils ont compris que cette femme retrouvée morte sur cette plage n’était pas qu’une vague connaissance de leur chef d’équipe. Ils ont saisi qu’elle était bien plus que ça…
***
— Tu crois qu’il était amoureux d’elle ?
— Costa ? Ben ouais, ça crève les yeux, non ?
— Et sa femme dans tout ça ?
— Tu sais, Audrey, on n’oublie jamais son premier amour. Ça laisse toujours des traces, même après s’être marié avec quelqu’un d’autre, même après des années. Toujours...
***
On referme la housse et les deux hommes qui la portent à bout de bras poursuivent leur course pour acheminer le corps sans vie à l'institut médico-légal.
Désormais, il n’y a plus l’ombre d’un doute dans l’esprit de Cédric, plus de déni possible : Élodie est définitivement morte.
Et il n’y aura pas d’après, pas d’Au-delà, rien de tout ce auquel le commun des mortels croit. Comme il le lui a dit ce jour-là, il y a si longtemps déjà...
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