23. Élodie, Cédric & Xavier : Ego trip
31 décembre 1993, Chalet « Le Théou », Saint-Nicolas-de-Véroce
La nudité de son corps m'a appelé dès l'aube. Une joute charnelle qui se prolonge au-delà du lever du soleil, quand mes mains se font caressantes sur son séant tandis qu'elle me chevauche en amazone. Je l'accompagne dans ses mouvements de bassin de plus en plus amples, quasi frénétiques, dans cette quête mutuelle du plaisir ultime. Et puis, cette jouissance qui nous terrasse d'un seul coup, cette puissance orgasmique qui nous prend au cœur et nous arrache la stridence d’un cri quand nous tutoyons les portes du paradis ; un firmament.
L'instant d'après, Élo se love brièvement contre moi avant de se retirer de notre couche commune pour draper sa sensualité d'une large chemise blanche masculine tout en s'emparant du paquet de Marlboro et du zippo qui traînent sur la table de nuit. En se dirigeant vers la baie vitrée qu'elle ouvre en grand, ma demoiselle embrase sa dépendance pendant que je m'extirpe du lit à mon tour pour me planter derrière elle dans mon plus simple appareil en enlaçant sa taille et baisant son cou. Malgré la rectitude de mon membre contre son si ravissant postérieur, ma dulcinée demeure imperturbable après l'amour. Elle préfère se perdre dans la contemplation du sublime panorama enneigé qui s'étend devant nous, la majesté du Mont-Blanc illuminée par les lueurs matinales en toile de fond.
— J'aime cet endroit, Cédric. J'ai beau y revenir chaque année depuis que mes parents ont fait construire ce chalet, je ne m'en lasse pas.
Une légère brise emporte au loin les volutes qu’elle exhale nonchalamment tandis qu’elle semble chercher ses mots.
— Tu… Comment dire ?..
Elle hésite puis se reprend, le regard toujours fixé sur l’horizon hivernal, d’un ton quasi solennel.
— T’es le premier mec que j'amène ici, Cédric, et mine de rien, ça signifie beaucoup pour moi. Symboliquement, je veux dire… Parce que c’est pas rien de te présenter à ma famille en tant que boy-friend « officiel », tu comprends ?
J’acquiesce sans un mot. La Marlboro se consume toujours, entre ses lèvres ou ses doigts.
— Mais je suis contente de te faire découvrir ce havre de paix, de sérénité. Tu connaissais la « Villa Carmin » et désormais, tu connais « Le Théou », deux lieux phares qui constituent mes ports d’attache, mes repaires. Mes refuges… Alors oui, je suis vraiment contente qu'on puisse passer ici le réveillon ensemble.
Ma petite amie se dégage doucement de mon étreinte pour me faire face, soudainement mutine.
— Mais avant ça, poursuit-elle en écrasant sa clope dans une coupelle en cristal, le sourire espiègle, il va te falloir me montrer ce que tu vaux sur des skis, condition sine qua non pour espérer un jour être accepté par mon entourage ! Parce que tu as beau être mon David Silver, ce n'est pas gagné d'avance...
Je la sais aussi joueuse que blagueuse, et plutôt que de me lancer dans un concours d’éloquence perdu d’avance, j’opte pour une partie de chatouilles beaucoup plus sournoise, avec le secret espoir qu’elle dérive vers une variante infiniment plus coquine, plus hot. Seulement, ma trop belle demoiselle finit par me faire comprendre que l'heure tourne et qu'il ne faudrait pas trop s'attarder si l’on veut profiter de la splendide journée qui s’annonce sur les pistes.
***
Une fois douchés et habillés, nous rejoignons Stella, sa tante, et Xavier, son cousin, dans la cuisine dînatoire pour petit-déjeuner.
— Alors, le Nazairien, me charrie ce dernier, prêt à dévaler les pentes enneigées ? Je te préviens, t'as intérêt à assurer, parce que c'est une championne, notre Élo !
— Arrête, Xav' ! intervient ma girl-friend pour prendre ma défense. On n'est pas en compét', inutile de lui mettre la pression. On y va avant tout pour s'amuser...
Cela fait à peine deux jours qu’elle m’a présenté ce type, et il m’insupporte déjà. Comme si l’on était en concurrence, lui et moi. Arrogant et sûr de lui, il n’a pourtant pas spécialement de quoi l’être avec son physique quelconque et ses lunettes de premier de la classe. Unique signe distinctif et pas des plus glamours : une tache de naissance au dos de la main droite. Pas vraiment de quoi se la raconter ni casser trois pattes à un canard ! Toutefois, pour ne pas déplaire à Élodie, j’essaie de donner le change et de ne pas prendre ombrage de la moindre pique qu’il me décoche. Et il ne s’en prive pas, le bougre ! A l’évidence, lui non plus ne m’apprécie pas, et j’en ignore la raison. Ma trop grande proximité, complicité avec sa cousine ? Cela me paraît pourtant on ne peut plus normal, vu que je suis son mec ! En serait-il jaloux ?
— Oh, mais ne t'en fais pas pour moi, rétorqué-je sans me démonter, je suis probablement bien plus doué que tu ne l'imagines...
Je pipeaute bien sûr, un mensonge éhonté qui ne tiendra pas trois minutes en situation réelle, mais qu’importe, j’espère ainsi lui rabattre son claquet. Sauf qu'il contre-attaque en me défiant ouvertement.
— Ah oui ? Eh bien moi, je parie que t'es même pas capable de descendre la piste noire du Chamois !
Sans savoir de quoi il est clairement question, je ne me dégonfle pas et surenchéris dans ce ridicule combat d’ego.
— Et tu paries quoi ?
— Le premier slow de la soirée avec Élo. Si je gagne, il est pour moi…
J’enrage, surtout si elle s’ouvre sur une chanson de Whitney ! Seulement, je n’ai le temps ni de réfléchir ni de répliquer, ma dulcinée s’offusquant déjà de n’être qu’un objet que l’on se déchire sans se soucier du reste.
— Hé oh, les gars, je ne suis pas qu’un bout de viande ! J’ai aussi mon mot à dire !
— T'inquiète, ma chérie, lui assuré-je sans me préoccuper de son avis, je ne lui laisserai pas l'opportunité de danser avec toi. Je vais me la taper, sa fichue piste noire. Comme ça, il cessera peut-être de ramener sa science en permanence...
***
Domaine skiable de Saint-Gervais
Je suis d'une stupidité sans nom. Par orgueil, j’ai bêtement foncé dans le piège que m’a tendu Xavier. Comme lui, j’ai voulu péter plus haut que mon cul pour épater ma belle, mais soyons réalistes, je n'ai absolument pas le niveau requis. Élodie et son abruti de cousin n’ont pas tardé à le remarquer d’ailleurs, et lui rit sous cape, cet enfoiré ! Sur le télésiège du Mont Joly, je n'en mène pas large. Élo, qui a tout fait pour me dissuader de relever ce défi, tente alors de me rassurer.
— Ne t'inquiète pas, Cédric, les conditions d'enneigement sont bonnes, donc même en cas de chute, la couche de poudreuse devrait pas mal l'amortir...
Au sommet de la piste du Chamois, je suis tétanisé face à l'impressionnante déclivité du champ de bosses, incapable de bouger.
— Ben vas-y ! Qu'est-ce que t'attends ? me toise l’insupportable Xavier d'un ton très condescendant.
Sous la pression du regard de ma girl-friend et de son machiavélique cousin, je me lance timidement, mais je me laisse rapidement emporter par la vitesse et ne contrôle plus rien.
— Freine, Cédric, freine ! hurle mon Élo, paniquée.
Je me rétame, un soleil mémorable qui me fait dégringoler sur plusieurs mètres. Xavier se gausse tandis qu'Élodie le réprimande.
— Tu vois où ça nous mène, vos conneries ?
Elle s'élance sur son monoski pour me rejoindre en deux temps, trois mouvements, suivie par son cousin, nettement refroidi par la colère de celle qu'il aime sans doute en secret.
— Ça va ? Rien de cassé ?
— Non, je ne crois pas...
Je suis couvert de cette neige insidieuse qui s'infiltre jusqu'à l'intérieur de mon cache-cou et de ma combinaison. Élodie m'aide à me relever.
— Je savais bien que tu surestimais tes capacités ! ne peut s'empêcher de me narguer l’autre naze. N'est pas Grospiron (1) qui veut...
— Tu veux bien la fermer ! s'agace ma petite amie, de plus en plus courroucée.
Son cousin ne pipe plus un mot.
— Bon, reprend-elle en s'adressant à moi, est-ce que tu te sens de poursuivre la descente avec nous ou préfères-tu remonter jusqu'à l'embranchement qui permet de rejoindre la piste rouge du Chevreuil ?
— Je ne vais pas y arriver, Élo, je vais me casser la gueule tous les deux mètres. Je suis un vrai boulet...
— Pas dans tous les domaines... relativise-t-elle. Il y en a même un dans lequel tu n'as de leçon à recevoir de personne !
Elle m'embrasse à pleine bouche tandis que Xavier, qui a parfaitement compris l'allusion, bouillonne de l'intérieur. J'ai peut-être perdu mon pari, mais c'est moi qu'Élodie aime. Qu'elle danse ou non ce slow avec lui ne changera rien à cet état de fait.
— Je serais toi, me conseille-t-elle, je déchausserais mes skis et desserrerais mes pompes ; ce sera plus facile pour arpenter la neige. On se rejoint au télésiège du Mont Joly ?
Un dernier french-kiss avant de partir.
Une poignée de secondes plus tard, la voilà qui dévale la pente avec une grâce, une aisance déconcertante malgré ce matériel atypique qui demande un savoir-faire de dingue. Son cousin est dans son sillage mais ce n'est pas ce vantard qui retient mon attention, non. C'est elle. Elle dont je ne peux détacher mes yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse de ma vue. Elle qui me fascine... Cette fille sait tout faire ; et moi, je suis fou d'elle, complètement amoureux de cette nana qui ne cesse de me surprendre.
Ce soir, nous passerons le réveillon ensemble. Et Xavier n'obtiendra rien d'elle, rien de plus que cette danse, alors que moi... Oui, ce soir, je compte bien être à la hauteur de ce qu’elle attend de moi et l'aimer comme elle le désire. Comme elle me l'a suggéré, dans ce sous-entendu plein de promesses. Sa promesse de l’aube...
(1) : Edgar Grospiron est un champion de ski acrobatique français, spécialisé dans l’épreuve des bosses. Il a notamment été le premier champion olympique de la discipline en 1992 à Albertville, et triple champion du monde (en 1989, 1991 et 1995).
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