Chapitre 7 : Echange de regards

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Alex

Les deux premiers mois s’étaient déroulés sans accroc. Nous profitions à fond de notre dernière année, entre les parties de basket, les sorties entre potes mais aussi avec le sexe opposé et les évènements familiaux. Les vacances de la Toussaint venaient de se terminer et nous avions dû abandonner notre liberté pour reprendre la vie monotone du lycée.

11H – Je détestais la matinée du mardi puisqu’elle rassemblait tous les cours avec lesquels j’avais du mal. Nous venions de boucler 1H d’anglais et nous enchaînions avec 2H de Sciences et Vie de la Terre – Ne vous trompez pas, j’aime bien la SVT mais je suis plus littéraire que scientifique –. Mr Kart se tenait devant nous et affichait un sourire de sadique. Toute la classe se figea et nous l’observâmes écrire le nom du nouveau chapitre au tableau : « Le fonctionnement du système immunitaire humain : L’immunité inée ». Il nous passa une courte vidéo. Je pense n’avoir même pas compris la moitié des termes employés dedans. Pendant tout le cours, j’essayai d’attraper quelques informations utiles mais – je dois le dire – j’étais bien largué. Pire que tout, à la fin du cours, nous sortîmes de la classe avec une recherche à faire pour la semaine prochaine. Mr Kart était connu pour monter son cours à partir de nos recherches. La grande majorité des élèves s’était d’ailleurs plainte au début de l’année mais nous nous étions vite rendu compte que l’on comprenait mieux le cours, car on y avait réfléchi en amont. Et puis, c’était une façon de travailler que les professeurs d’université utilisait donc, on y gagnait à suivre sa méthode. Le problème était que le travail à la maison s’accroissait considérablement.

Je me dirigeai seul vers le réfectoire pour rejoindre les autres car Marc avait un rendez-vous et ne mangeait pas avec nous ce midi. Il se trouvait derrière le bâtiment des secondes et nous devions prendre un chemin de terre pour nous y rendre. Je n’ai jamais compris pourquoi le directeur avait décidé de laisser le chemin de terre, mais ce que je savais c’était que l’on se faisait taper sur les doigts par les dames les jours de pluie si on essuyait mal la terre de dessous de nos chaussures. J’arrivai donc au réfectoire et rejoignis Lucas, Victor et Thim dans la file d’attente. – Je sais ce que vous pensez, ce n’est pas bien de doubler, et bien figurez-vous que je n’ai pas choisi de doubler par moi-même. Un jour où nous étions en retard avec Marc, nos amis étaient déjà dans la file et nous nous étions mis en bout de file. Eh bah, les élèves s’étaient tous retirés et s’étaient disposés derrière nous. Les filles nous criaient qu’elles préféraient nous voir tous les cinq ensembles et les garçons ne bronchaient jamais car les filles avaient un certain pouvoir de persuasion à leur encontre. Depuis ce jour-là, j’essayais donc de ne plus être en retard pour ne pas les obliger à me laisser passer devant eux alors qu’ils attendaient depuis plus longtemps que moi –. Comme le premier jour, les filles me firent un signe et gêné, je m’alignai avec les trois autres.

« Quelle popularité ! » me souffla Thim d’un air narquois une fois que je me fus rangé à leurs côtés.

Je lui fis signe de se taire et nous entrâmes dans le réfectoire, une fois les élèves de devant entrés. Ce jour-là c’était pâtes bolognaise et je me réjouis car ils nous avaient servis un gratin de choux-fleurs la veille. Après le déjeuner, nous décidâmes de rejoindre les autres terminales au terrain de foot car un match entre la classe 3 et la classe 2 avait été programmé, mettant en jeu l’honneur de chaque classe – je sais c’est un peu débile –. Victor qui se trouvait dans une autre classe se proposa comme arbitre avec un autre de la classe 1. Le jeu se déroula sans encombre, quelques fautes furent sifflées mais rien de grave ou de provoqué. La partie se termina sur un tir aux buts avec un score de 1-1. La classe 2 marqua trois buts sur ses cinq tirs, et Lucas marqua même avec une lucarne. J’étais le dernier tireur et mon équipe avait marqué 2 buts sur 4. Si je marquais, nous partions en mort subite, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’une des deux équipes ne rate son tir et si je manquais mon tir nous perdions. Encouragé par les supporters, une grande majorité de filles, et les élèves de ma classe, je me concentrai, prêt à tirer. Le goal me fixait intensément et ses deux mains étaient prêtes à m’arrêter à tout prix. Je me lançai sous les cris et les encouragements, quand mon regard se posa sur un garçon qui passait derrière le terrain et – comme vous vous en doutez – je ratai le but de quelques centimètres car ma balle rebondit sur la barre supérieure. Les joueurs de la classe 2 accompagnèrent mon tir avec des cris de joie et j’entendis ceux de ma classe se morfondre. Nous nous saluèrent tous et nous retournâmes dans nos classes respectives, après que la sonnerie nous soit arrivée aux oreilles.

***

7H – Le lendemain, je repensai à cette victoire et à la cause de ma déconcentration. J’avais vu un garçon que je n’avais pas revu depuis longtemps, la dernière fois était quand nous étions allés manger au « Ventre bien rempli ». Sa présence m’avait interpellée car en contrebas du terrain il n’y avait que le potager du lycée et aucun élève ne s’y rendait en temps normal.

« Maman, l’informai-je, je rentrerai tard ce soir car je dois rester à la bibliothèque pour faire la recherche de Mr Kart.

— Très bien mon chéri, tu y restes seul ? me demanda-t-elle avec intérêt.

— Marc, et Victor car il a aussi la même recherche à faire pour sa classe » ajoutai-je.

Elle me répondit avec un grand sourire et je partis pour le lycée.

***

16H – La fin des cours se faisait entendre et nous rejoignîmes, d’un pas décidé, Victor devant sa classe avant de nous rendre à la bibliothèque. Victor poussa la porte du lieu où le silence devait régner après l’avoir traversée et nous indiqua du bout des doigts une table vide dans le fond. Nous nous y assîmes et discutâmes du sujet qui nous avait été donné à tous. Après une profonde et partagée réflexion, chacun d’entre nous se dirigea vers le rayon visé et regagna sa place avec un livre sous le bras. Nous passâmes plus de trois quarts d’heure à chercher les informations appropriées, à discuter de nos trouvailles , à les échanger et à les commenter.

La cloche retentit et Victor nous quitta. Nous restâmes seuls avec Marc car les autres élèves, qui occupaient les tables proches des fenêtres, étaient aussi partis. Depuis le fond de la bibliothèque, j’avais un aperçu de toutes les tables de la bibliothèque. Je commençai à écrire la synthèse de mes recherches quand la porte s’ouvrit dévoilant un visage qui m’était familier. Matt Henri venait d’entrer et se dirigea vers une des tables encore occupée il y a quelques minutes. Quand je le vis, je lui fis un petit geste de la main pour le saluer – je crois que ses joues ont viré au rouge mais je n’en suis pas certain –. Il me le rendit timidement de loin, et s’assit face à nous. Il déposa son sac sur la chaise libre à sa droite et se leva pour aller chercher un livre dans le rayon d’histoire et de géographie. Je ne l’ai pas quitté du regard jusqu’à ce qu’il retourne s’asseoir. Son visage disparut derrière le livre au même moment où le visage de Marc apparut dans mon champ de vision.

« Qu’est-ce que tu regardes comme ça de manière aussi intense ? me questionna-t-il.

— Je regarde le garçon assis là-bas, répondis-je d’un ton amusé.

Perplexe, il se retourna et fixa un moment Matt.

— Tu le connais d’où ? Il ne me dit rien du tout et c’est bien la première fois que je te vois regarder aussi longtemps un garçon, fit-il remarquer en rigolant.

— Ce n’est pas ce que tu crois, je t’arrête tout de suite. Tu te souviens de l’histoire que je vous avais racontée il y a un mois ? Anya et moi étions sortis acheter de la nourriture pour les poissons et Anya avait voulu aider un garçon à porter ses courses… Eh bien c’est lui.

Penseur, Marc plongea ses yeux dans les miens et haussa les épaules.

— Ah oui, ça me dit quelque chose !

— Bonjour la mémoire » lui lançai-je et nous retournâmes à notre travail après avoir lancé chacun un pique à l’autre.

***

14H30 – J’attendais Juliette, le lendemain, posé sur un banc dans la cour au soleil. J’avais fini les cours à 13H et l’avais attendue depuis car ni elle ni moi ne finissions tard ce jour-là. De plus, le soleil était au rendez-vous, et je trouvais dommage de rester enfermé un tel jour. Nous avions décidé de nous poser au « parc » et de nous y délecter. Mon regard fut attiré par l’ombre de Madame Blanche, ses bras portaient un carton rempli, sans doute, de livres de toutes sortes. C’était tant bien que mal qu’elle essayait de marcher droit. Tel un gentleman, je me dirigeai vers elle et lui proposai mon aide qu’elle accepta avec grand plaisir. Quand nous atteignîmes la bibliothèque, je lui proposai de l’aider à les ranger car elle semblait comme morte. Elle m’indiqua le rayon et j’entrepris le rangement. J’envoyai un message à Juliette pour lui indiquer où me trouver, car je ne savais pas si j’allais pouvoir finir à temps.

La cloche sonna pile à 15H, il me restait cinq livres à ranger. Alors que je m’appliquais à ranger le dernier livre, Juliette apparut derrière mon dos. Elle cala sa tête et passa ses bras autour de mon ventre. Je me retournai et la serrai contre moi avec tendresse. Sans plus attendre, nous sortîmes de la bibliothèque et nous prîmes les escaliers qui donnaient vers la liberté. Je sursautai quand nous croisâmes Matt Henri dans les escaliers. Il était monté – je pense – sur la pointe des pieds car nous ne l’avions pas entendu. Il était apparu de derrière le mur et nous avions failli nous rentrer dedans. Je le dévisageai car il avait baissé les yeux quand il nous avait vus.

« Salut, lui dis-je avec un grand sourire.

Il releva la tête et me répondit.

— S… salut

— Vous vous connaissez ? S’interrogea Juliette.

J’avais presque oublié son existence un court moment.

— On s’est rencontré une fois un week end et j’ai dû l’aider à porter ses courses jusque chez lui, expliquai-je.

Les joues de Matt virèrent au rouge.

— Ah non, ce n’est pas pour critiquer. D’ailleurs ce fut une rencontre plaisante, ajoutai-je pour ne pas qu’il le prenne mal.

Je crois avoir vu un sourire sur son visage, mais il fut trop court pour que je puisse en être certain totalement.

— Je dirais à Anya que je t’ai reparlé. Elle qui voulait avoir de tes nouvelles. Tu as meilleure mine en tout cas. Allez salut ! » lançai-je avant de le quitter, Juliette à mes côtés.

Nous marchions depuis un petit moment quand Juliette m’informa qu’il était dans sa classe. Selon elle, il ne parlait pas beaucoup au reste de la classe et n’avait pas beaucoup d’amis. Je pensai alors qu’il était très timide et de toute façon, c’était la première impression qu’il m’avait laissée suite à notre rencontre.

***

Il est encore à la bibliothèque ? pensai-je en fixant le garçon endormi. Les journées passaient et j’avais, un moment donné, remarqué que Matt restait beaucoup à la bibliothèque. Cela me rendait perplexe car la plupart des lycéens aimaient rentrer chez eux dès la fin des cours. Je l’avais aperçu quelques fois et avais constaté qu’il ne s’y rendait pas pour travailler mais pour y dormir, ce qui m’avait encore plus intrigué. Une curiosité me dévorait de l’intérieur ; je voulais connaître le pourquoi de ce drôle de comportement. Mais je ne pus jamais lui poser la question ou confirmer mes suppositions car je le voyais de loin à chaque fois. Ce petit jeu dura une semaine entière et je m’en détachai à l’approche du week end.


Matt

12H– Comme à mon habitude, je me dirigeai vers le terrain de football. Ce n’était pas pour y jouer mais parce qu’en contrebas, on y trouvait un merveilleux potager. Je ne mangeais jamais au réfectoire parce que c’était un lieux que je considérais comme trop bruyant et aussi parce que si c’était pour manger seul je préférais autant me trouver un lieu qui pouvait me tenir compagnie pour le repas. Je descendis la pente qui menait au potager et atterris avec douceur dans l’herbe fraîche qui l’entourait. Le directeur y avait planté des tas de légumes ; des carottes, des courgettes, et d’autres. Je le suspectais d’utiliser certains légumes pour les repas des élèves car le potager me donnait l’impression de s’étendre sur des kilomètres de terre. Je trouvai une place pour me poser et sortis mon repas. J’aimais tellement le calme de la nature. Ici, aucune pression, aucun cri et les oiseaux y chantaient mélodieusement. Une fois mon repas fini, je fermai les yeux et me laissai tomber en arrière. Ma tête vint rencontrer le sol et mes membres se relâchèrent pour préparer la sieste qui m’attendait. Depuis le potager, je n’entendais pas les cris qui montaient depuis le terrain de foot, d’ailleurs si je ne faisais pas attention, je raterais sûrement la reprise des cours. Chaque midi, je n’espérais qu’une chose ; ne jamais me réveiller.

L’alarme de mon portable me tira de ma sieste et je me réveillai difficilement. J’avais mal dormi la veille et j’en avais profité pour rattraper mon manque de sommeil. Mais ce n’était pas suffisant car je me sentais encore fatigué. Je me relevai donc lentement, m’étirai et pris le chemin du lycée. Des cris se firent entendre à mesure que je me rapprochai du terrain de foot. Deux équipes s’y affrontaient et à la nature des cris, je devinai que la partie devait être serrée. J’arrivai à hauteur du terrain et observai avec attention les joueurs. C’était les terminales qui occupaient le terrain et à en juger par le nombre de filles qui pouffaient sur le côté du terrain, je pus aisément en conclure qu’Alex Lecomte et ses amis étaient de la partie. Je me mis à chercher des yeux ladite personne et je ne pus détacher mes yeux de lui. Il était aux côtés de ses coéquipiers et devait attendre son tour pour tirer car le jeu en était arrivé aux tirs aux buts. Après l’avoir dévoré des yeux, je décidai de partir et de regagner le lycée avant que la partie ne se finisse car il allait être difficile de se frayer un chemin quand tous les élèves allaient regagner leur classe et je ne voulais pas qu’il se rende compte que je l’observais de manière aussi intense.

***

21H – La semaine était passée à toute vitesse et je ne pus m’empêcher de faire tourner en boucle dans ma têtes toutes les fois où Alex Lecomte et moi avions échangé un regard. Bizarrement, il semblait songeur quand il me regardait et je me posais des questions sur son comportement qui le rendait mignon à mes yeux. Je m’étais même retourné une fois pour m’assurer que c’était bien moi qu’il regardait comme ça, mais je n’ai jamais eu d’occasion de le lui demander, car à mon désespoir, nos jeux du regard se déroulaient à longue distance. Mon père n’était pas présent ce soir-là et je m’en réjouissais car il avait retrouvé son regard dur et son comportement violent le lendemain de la sortie au restaurant. J’en avais vu des vertes et des pas mures pendant ces deux mois, mais je l’avais supporté comme à mon habitude. Je savais qu’une fois le lycée fini, j’allais pouvoir m’échapper de cette vie et en commencer une nouvelle. Il fallait juste que j’attende quelques mois de plus.

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