Chapitre 10: … et pleurs
Matt
Je manquai de me prendre les pieds dans le tapis de l’entrée et m’équilibrai comme je le pouvais pour ne pas tomber. Mon père n’avait pas lâché sa prise et je me trouvais à présent assez proche de son visage pour pouvoir distinguer toutes les imperfections de son visage. Un peu sonné, j’essayai de reprendre d’abord mes esprits avant de chercher la raison de sa fureur. Je ne pus m’y attarder car mon paternel m’envoya valser violemment. Je poussai un cri sourd quand mon dos rencontra avec force la porte de l’entrée qui s’était refermée automatiquement. L’arrière de mon crâne vint cogner contre la poignée et je faillis perdre connaissance sous le coup. Je vins me masser l’arrière du crâne pour soulager la partie endolorie, il ne m’avait pas loupé. Je n’osais pas lever les yeux vers lui, quelque chose l’avait vraiment mis en rogne. Il s’accroupit près de moi, m’attrapa par les cheveux brutalement et me cracha au visage sans retenue. Je fermai les yeux et ne cherchai pas à me dégager. Il était plus fort que moi et je ne pouvais rien faire pour me dégager de sa prise. À ma surprise, il sortit son portable de sa poche arrière et sembla y chercher quelque chose. Il me colla son écran en face de mes deux orbites et m’obligea à regarder une photo. Je déglutis et paniquai quand je reconnus le lieu et les deux personnes. Je me trouvais avec Alex devant mon immeuble, et il était en train de me caresser la tête – Oh non ! –.
« Euh, c’est pas ce que tu c….. commençai-je.
Il poussa si furieusement ma tête vers l’arrière que je ne pus finir ma sentence. Ma tête retrouva la dureté de la porte et un bruit sonore se fit entendre. Je gémis et une larme s’échappa du coin de mon oeil droit.
— Pas ce que je crois ? vociféra-t-il. Tu me prends pour un con ou quoi ? s’égosilla-t-il.
Il relâcha sa prise et je me recroquevillai sur moi, allongé sur le sol après que son pied se soit abattu sur mon épaule gauche. Je ne pus étouffer un hurlement tellement j’agonisais. Les coups s’enchaînèrent et je l’implorai de toutes mes forces d’arrêter tant je souffrais. Après s’être défoulé sur mon pauvre corps, il recula et se passa les doigts dans les cheveux en haletant. Il me regardait avec dégout mais aussi avec mépris. Il m’aurait bien fait disparaître si ça lui était possible.
— Tu m’avais promis que tu ne recommencerais pas ! tempêta-t-il à mon encontre.
Je ne pus ouvrir la bouche pour répondre tellement mes os me brulaient – j’ai essayé pourtant, s’il savait combien j’avais essayé –. Il donna un coup de pied dans le meuble à chaussures et jura de tous les noms. Je ne pouvais plus bouger et je restai allongé sur le sol, immobile, incapable de faire quoi que ce soit. Soudain, il attrapa un de mes bras et me tira sans pitié en direction de la salle de bain. Je ne réagis pas et le laissai faire, mon corps, encore endolori par les coups reçus précédemment, fut traîné par terre tout du long. Je n’avais même plus la force pour exprimer un cri de douleur quand mon corps rencontra la marche de l’entrée et le coin des murs.
— Puisque t’avoir enfermé pendant une semaine la fois dernière ne t’a toujours pas guéri, je m’en vais te laver de ton pêché ! pesta-t-il.
Comment ça me laver ? Je n’eus pas le temps de réagir qu’une cascade s’abattit sur ma tête. Je fus englouti sous l’eau sans pouvoir m’en dégager car mon père me tenait fermement. L’eau s’engouffrait dans tous les orifices de mon visage et je ne pouvais plus respirer. C’était une telle souffrance que je crus mourir. Tout à coup, le supplice s’arrêta et j’en profitai pour respirer mais mes inspirations furent mélangées à une toux inarrêtable. Mon bourreau attrapa mon col et me colla contre la paroi de la douche violemment :
— Alors petit « pd », tu as compris à présent ? m’humilia-t-il sans vergogne.
Diminué, je n’écoutai plus son discours homophobique, je priai juste pour que cette torture ne cesse. C’était vers le milieu de l’année de seconde que mon père avait découvert mes penchants. Je sortais en cachette avec un garçon d’une année supérieure et mon père nous avait surpris un jour en ville ensemble. Il m’avait enfermé pendant une semaine, me laissant affamé et j’avais essuyé des insultes homophobiques pendant tout le long de mon enfermement. Voulant survivre, je lui avais promis que je gommerais cette anormalité de mon comportement et je pensais y arriver mais Alex Lecomte avait effacé toutes les barricades que je m’étais construites. Je ne pouvais plus le nier, j’aimais les hommes.
Je fus de nouveau traîné ailleurs et après quelques secondes, je rencontrai le sol froid de ma chambre. Mon corps tomba telle une poupée de chiffon et mon père ferma avec violence la porte de ma chambre. Je l’entendis tourner une clé dans la serrure mais mon cerveau était incapable de se concentrer sur quelque chose. Ma conscience me quitta lentement tandis que mes larmes coulaient le long de mes maigres joues.
Alex
Lundi matin, j’entrai dans la bibliothèque pour dire bonjour à mon nouvel ami de la veille. Personne. Bizarre pensai-je. Je ne le vis pas non plus le lendemain ni le surlendemain. Était-il malade ? me demandai-je. Pourtant il semblait aller bien samedi. Bah je lui demanderais quand il réapparaîtra en cours, concluai-je. Mais, il ne réapparut pas de la semaine.
…
7H – Le réveil sonna et je me levai avec peu d’entrain. La semaine avait été difficile et j’avais passé mes récréations et mes midis à chercher Matt. D’ailleurs mes amis m’avaient demandé le pourquoi de mon drôle de comportement. À quoi je leur avais répondu que je cherchais quelqu’un mais sans leur donner plus amples explications. J’espérais juste qu’il ne soit pas trop malade car il était rare pour un lycéen de rater autant de cours et j’avais même demandé à Juliette si il était en classe et cherchait à m’éviter mais non, il avait été absent une semaine complète. Je me préparai en silence et descendis rejoindre mes parents. Ma mère m’avait prévenue mercredi soir que nous irions chez papy Ernest samedi manger et que les cousins y seraient aussi. Je trouvai mon père attablé, le journal ouvert devant lui comme à son habitude. Je le saluai et m’assis. Je n’avais pas beaucoup faim. Sans que je sache pourquoi, l’absence de Mr timide m’avait complètement retournée. Je décidai juste de me servir un café et d’attendre ma mère qui devait être en train d’aider ma soeur à se préparer. Elles apparurent quelques minutes plus tard, vêtues dans des habits simples et nous rejoignirent pour le petit déjeuner. Ma mère s’inquiéta de mon état mais je lui répondis que ce n’était rien. Mon père me jeta un regard interrogateur par dessus son journal et je faisais tout mon possible pour ne pas croiser son regard car il avait le don pour me comprendre sans que je ne dise un seul mot. Un sourire malicieux sur le visage, il abandonna son investigation et se tourna vers Anya qui mangeait abondamment pour son petit corps. Une fois ce moment familial terminé, nous nous préparâmes tous à partir et gagnâmes la voiture où mon père s’assit sur le siège conducteur, ma petite soeur derrière lui. Il démarra la voiture et nous nous dirigeâmes vers l’autoroute. Nous passâmes à côté d’un endroit qui m’était familier et je ne pus cacher ma joie quand je vis assis sur la balançoire celui que j’avais tant cherché. Matt Henri arborait un sourire mélancolique sur le visage et se balançait doucement d’avant en arrière sans chercher à gagner de la hauteur. Je ne pus détacher mon regard de cette scène jusqu’à ce que ma soeur m’attrape le poignet et que je le perde de vue.
« Qu’est-ce que t’as vu ? Me demanda-t-elle surexcitée.
— Je… commençai-je, mais je me ravisai préférant garder pour moi cette photo.
Je lui tapotai la tête et souris à pleine dents.
— C’est un secret ! » Dis-je, le doigt posé sur la bouche.
Elle parut déçue mais me lâcha le poignet. Vu qu’il était là ce jour-là, j’allais à tous les coups le revoir lundi matin, analysai-je. Et ma vitalité était revenue à cette heureuse nouvelle.
Nous arrivâmes vers 10H chez mon grand-père et Anya sortit en courant de la voiture et sauta directement dans les bras de notre grand-mère qui nous attendait devant la porte. Elle nous accueillit avec plaisir et nous accompagna jusqu’à papy Ernest qui se tenait dans son fauteuil attitré. Il était sorti mercredi matin et à présent, personne n’aurait pu deviner qu’il sortait tout juste de l’hôpital. Après une brève conversation au sujet de notre routine scolaire, nous laissâmes les adultes ensembles et Anya et moi partîmes nous promener dans le village en attendant l’arrivée de nos trois cousins. Ceux-ci apparurent vers 11H et nous les accueillîmes avec de grands cris de joie. Je saluai d’abord Théophile, que l’on appelait Théo, il avait deux ans de plus que moi, puis Sarah âgée de 15 ans me fit la bise et enfin Lucile la petite dernière de 12 ans. Bien que l’on ait tous des âges différents, nous nous entendions à merveille et passions la majeur partie de nos retrouvailles à jouer ensemble. Normalement, nous préférions les batailles d’eau, mais en ce mois de novembre il faisait beaucoup trop froid pour y penser. Alors, nous décidâmes de jouer à des jeux de société. Nos grand-parents en avaient à la pelle et nous choisîmes de jouer au pictionary au regards de nos différences d’âges. Nous tirâmes au sort les équipes, je me retrouvais avec Sarah et nous nous fîmes un check en signe de victoire. La partie commença et les dessins s’enchaînèrent à une vitesse folle. Anya étant trop petite pour dessiner, elle choisit de juste deviner. De nous cinq, Lucile étaient celle qui dessinait le mieux mais elle passait trop de temps sur des détails inutiles alors que nous n’avions que 30 secondes pour dessiner. Sa soeur dessinait comme un pied, mais au moins, elle dessinait les éléments essentiels ce qui facilitait beaucoup la tâche à son équipe. Cependant, mon cousin avait beaucoup de mal à comprendre ses dessins. Quant à Anya, elle était beaucoup trop éparpillée pour se poser sur un seul dessin. Au final, malgré mes piètres talents de dessinateur, notre équipe gagna la partie. Nous rejoignîmes ensuite les adultes pour le repas. Ma mère et ma tante avaient dressé la table et ma grand-mère avait confectionné seule le repas. Mon père apporta les entrées, une terrine au trois saumons accompagnée d’une petite salade verte. Puis, mon oncle revint avec le poulet et les spätzles et ma grand-mère déposa au centre de la table les deux desserts : une charlotte poires-chocolat et une tarte à la rhubarbe. – Je peux vous affirmer que nous nous sommes régalés, d’ailleurs, les plats sont repartis tous vides en cuisine –. Nous décidâmes avec les cousins d’aller nous promener en forêt et d’aller jusqu’au ruisseau où nous jouions pendant les grandes chaleurs. Nous l’atteignîmes au bout de 20 minutes et les discussions divergèrent vers les bêtises que nous avions pu faire à cet endroit. Cela allait de la maltraitance des insectes à l’abandon de nos plus jeunes cousins. Sur le chemin du retour, je dus porter ma petite soeur sur mes épaules car la journée avait été fatigante pour son petit corps. Ma mère rigola quand elle nous vit rentrer et vint récupérer son petit coeur pour la coucher sur le canapé, recouverte d’une couverture. Nous passâmes ensuite du temps avec grand-père et grand-mère à leur raconter nos péripéties et nous les saluâmes chaleureusement au moment de partir.
***
Je passais l’après-midi chez Juliette. Bien que j’étais à ses côtés mon coeur n’y était pas et je ne pus passer une agréable journée. Elle dut le remarquer car elle me demanda si je n’étais pas malade ou si j’étais fatigué. Je lui racontai alors la journée de la veille chez mes grands-parents et on en conclûmes que je devais être fatigué. Nous passâmes alors le reste de l’après-midi posés dans sa chambre devant un film, sa tête posée sur mon épaule et je rentrai chez moi le soir tombé.
***
9H – J’atteignis avec la bande et Juliette le portail du lycée. La foule des élèves se pressait devant pour ne pas être en retard en cours. J’affichai un sourire quand je vis Matt et lui fis un grand signe de la main. Mais, il ne m’avait sans doute pas aperçu car il ne me salua pas en retour. J’abaissai lentement le bras devant le regard intrigué de mes amis et m’empressai de garer mon vélo parmi les autres.
La semaine se déroula de la même façon. À chaque fois que je le voyais il m’évitait. Lundi, j’avais mis ça sur le fait qu’il ne m’avait pas vu mais je m’étais même déplacé à la bibliothèque et il m’avait clairement évité. C’était la première fois que quelqu’un m’évitait de la sorte surtout qu’il n’y avait pas de raison et je ne pouvais le supporter. Mon coeur se sentait abandonné et cela m’irritait au plus haut point. Je décidai alors de lui tendre un piège vendredi afin qu’il me donne une explication et ne puisse pas s’enfuir.
Matt
J’avais passé la semaine à éviter Alex Lecomte et même quand il venait me trouver à la bibliothèque je faisais mine d’être occupé. Je n’étais pas trop fier de mon attitude mais je ne voulais pas me retrouver dans une situation qui pourrait paraître ambiguë aux yeux de mon père. J’avais passé la semaine dernière à récupérer de mes blessures et je ne voulais plus revivre un tel supplice. Je ne pouvais pas arrêter d’aimer les hommes, cependant, je pouvais tout à fait regarder de loin celui qui faisait battre mon coeur. J’espérais en l’évitant si ouvertement qu’il se décourage. D’ailleurs, jeudi il avait arrêté de venir me voir à la bibliothèque et j’en avais conclu qu’il s’était lassé de ce petit jeu de cache-cache. Je l’imaginais parfaitement en train de me traiter de tous les noms mais je m’en fichais si c’était pour avoir une vie calme, c’était le prix à payer.
***
12H – Je gagnai mon lieux féérique et m’allongeai dans l’herbe verte. La semaine m’avait épuisé et je me laissai bercer les yeux fermés par le doux chant des quelques oiseaux qui subsistaient encore par ce froid de novembre. – Vous devez vous dire que je suis fou pour m’allonger par terre par ce froid mais cela m’apaise au contraire, ça me fait me sentir vivant –. Une brindille craqua et j’ouvris les yeux en sursaut. Personne ne venait par ici normalement le temps de midi, encore plus par ce temps. Ma mâchoire faillit tomber quand je reconnus la silhouette qui me faisait face et me cachait les maigres rayons de soleil qui me réchauffaient.
« Je t’ai enfin attrapé ! » me lança Alex Lecomte, un sourire satisfait vissé sur le visage.
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