Chapitre 17 : Dîner avec les parents d’Alex
Matt
18H – Nous sortîmes du bowling, moi le premier. J’étais gêné parce qu’Alex avait tout payé et ne m’avait à peine laissé le temps de sortir mon porte-feuille. « Tu paieras lors de la prochaine sortie » m’avait-il sorti l’air de rien. Bien que cela me convenait à moitié, j’avais du abdiquer face à son insistance. Nous attendîmes le bus pour le retour.
« Alors tu t’es bien amusé ? me demanda-t-il d’une voix mielleuse.
J’évitai de le regarder dans les yeux et répondis par un signe de la tête timide. Il m’ébouriffa les cheveux, acceptant ma réponse, et se mit à fredonner la chanson du moment. Je fermai les yeux me laissant bercer par sa voix et ne pensant plus à rien. Un bruit de freins me ramena à la réalité et nous montâmes dans le bus. Après avoir validé nos pass, nous trouvâmes une place au fond et nous nous y installâmes.
L’après-midi était passée à toute vitesse et il fallait bien l’avouer, je ne m’étais pas autant amusé depuis longtemps. Bien que je ne fus excellent, il ne m’en avait pas tenu rigueur et au contraire cela l’avait même amusé et il m’avait enseigné la bonne gestuelle consciencieusement. Je me promis de faire mieux lors de notre prochaine sortie et lui jetai un petit coup d’oeil. Sa tête se balançait au rythme du bus et ses yeux étaient clos. J’étouffai un rire devant un tel spectacle et jetai quelques regards autour de nous. Bien que je sois réticent au fait de me comporter ainsi en public, je lui devais une belle récompense pour cette journée et le laissai alors poser sa tête sur mon épaule. Puis sans m’en rendre compte, je l’avais rejoint dans son sommeil.
***
19H – La voix du conducteur de bus nous réveilla.
« Hey les jeunes ! Descendez ! C’est le terminus. »
J’ouvris les yeux brusquement et lançai un regard à Alex. Celui-ci avait encore les yeux fermés. Je le secouai légèrement et il se réveilla difficilement. Après nous eûmes excusés auprès du chauffeur, nous descendîmes d’un pas léger du bus. Je scrutai les alentours avec attention, les rues étaient vides.
« Heureusement que j’habite proche du terminus, s’esclaffa Alex sans retenue. Sinon on aurait été bon pour prendre un autre bus en sens inverse.
— C’est parce que tu t’es endormi, lui fis-je remarquer en prenant un grand air.
— Tu peux parler ! » me répondit-il en me tirant la langue.
Et nous rîmes bruyamment. Puis, je le suivis à travers les rues jusqu’à destination. Nous atteignîmes au bout de quinze minutes de marche sa maison et entrâmes pour nous y réchauffer. Avant que je ne puisse retirer mes chaussures et mon manteau, une ombre descendit les escaliers à toute vitesse et nous accueillit avec un grand sourire.
« Enfin, là ! s’exclama-t-elle.
— Tu veux bien les laisser entrer, suggéra leur mère depuis le salon.
Alex lui fit signe de nous laisser et elle fit la moue en reculant, impatiente. Une fois déshabillé, je la saluai et me dirigeai vers le salon où leurs parents m’attendaient. Leur mère se tenait assise sur le canapé, un livre à la main tandis que leur père avait posé son journal sur ses genoux, à ses côtés. En les voyant, je fus pris d’une grande timidité et ne pus plus avancer. Je m’approchai et les saluai maladroitement. Patrick me serra vigoureusement la main alors que je sentis à peine la poigne de Clémence. Tous deux m’accueillirent avec de grands sourires et leur mère m’invita à m’asseoir à côté d’elle. Je pris place tout en jetant des regards inquiets à Alex, qui me rassura d’une tape sur l’épaule, et je pris place en face de son père. Ses deux parents n’arrêtaient pas de me dévisager. Il était vrai que l’on s’était déjà croisé mais je n’avais pas eu le temps de bien me présenter au vue de l’heure tardive du dernier soir. Ma gorge était serrée et je dus prendre sur moi pour ne pas m’enfuir en courant.
« AHAH, s’exclama Patrick, relaxe-toi gamin, on ne va pas te manger !
Clémence avait posé sa main sur mes cuisses et me souriait tendrement.
— Désolé, m’excusai-je en me penchant légèrement vers l’avant.
Ses deux parents se regardèrent et rirent. Je ne savais plus où me mettre et je lançai un regard alarmé à Alex qui vint à mon secours, amusé.
— Vous ne voyez pas que vous le mettez mal à l’aise ? fit-il remarquer à ses deux parents qui haussèrent les épaules comme si ils étaient innocents.
— Tu veux boire quelque chose Matt ? me demanda tendrement Clémence.
— Je veux bien merci, madame…
— Madame… répéta-t-elle perturbée.
Alex explosa de rire et me chuchota de loin que ses parents préféraient qu’on les appelle Clémence et Patrick. Je me dépêchai alors de rectifier mon erreur.
— … merci Clémence.
Un sourire se dessina sur son visage et étrangement elle approcha sa main vers ma tête. Par réflexe, je fis un geste de recul mais elle fut plus rapide et me caressa doucement la tête.
— Décidément tu es bien mignon, fit-elle remarquer tendrement. Bon assez joué, dit-elle amusée, je vais préparer le repas et vous laisser entre vous. »
Elle s’éloigna, ne cachant pas son amusement et son mari se replongea dans son journal. Quant à moi, je restai figé, incapable de faire un mouvement. Ses parents m’avaient laissé une drôle de sensation, mais je ne saurais décrire bien plus précisément ce que j’avais pu ressentir. Alex se leva de son siège et me fit signe de le suivre, et nous gagnâmes au premier sa chambre. J’entrai après lui et m’assis timidement à côté de lui sur son lit. Sans que je m’y attende, il me pinça les deux joues et commença à me titiller :
« Je te savais trouillard mais pas à ce point ! annonça-t-il. J’avais comme l’impression que tu allais t’enfuir en courant, dit-il avec un visage de diablotin.
Je commençai à le connaître et décidai de répondre à sa provocation.
— C’est pas de ma faute, tes parents m’ont mis une telle pression, répondis-je innocemment.
Satisfait, il s’allongea sur son lit et me fit signe de le rejoindre. Je posai alors ma tête sur son bras libre et attendis sa réplique
— Ahah, ils aiment bien taquiner les nouveaux. Ils ne sont pas méchants ne t’en fais pas.
— Ça je me doute bien, sinon tu ne serais pas aussi gentil » pensai-je. Mais je me tus pour ne pas le satisfaire plus. Nous restâmes un bon moment allongés sur le lit, lui n’arrêtant pas de jouer avec ma frange et mes lèvres, moi profitant de ce doux moment de plaisir. Tout à coup, j’entendis de petits coups contre la porte et je me relevai tandis qu’Alex retirait son bras de ma tête. Une petite tête apparut derrière la porte et nous avertit de sa petite voix que le repas était bientôt prêt. Je jetai alors un regard à Alex qui fit signe à Anya de nous rejoindre. Elle courut s’asseoir sur le bord du lit et nous fixa étrangement :
« Matt, tu aimes mon frère ? demanda-t-elle soudainement.
Je faillis m’étrangler et Alex dut me frapper trois fois dans le dos pour stopper ma toux.
— Euh, pourquoi cette question, lui demandai-je, gêné et anxieux à la fois.
— Parce qu’il n’accepte personne sur son lit normalement, me répondit-elle innocemment, même pas sa copine.
Je jetai un regard vers l’intéressé qui préféra ne pas croiser le mien et me concentrai de nouveau sur Anya qui ne m’avait pas lâché du regard.
— Alors ? s’enquit-elle.
Je ne savais pas quoi lui répondre. Je savais très bien qu’aimer dans la bouche d’une enfant aussi jeune ne signifiait pas la même chose que ce que les adultes concevaient de l’amour mais je ne pouvais pourtant pas lui répondre. Anya attendait ma réponse et devant mon silence elle jeta un regard désespéré à son frère. Celui-ci passa son bras autour de mon épaule et me tira la peau de la joue avec son autre main.
— Même si il ne m’aime pas, moi je l’aimerais toujours, avoua-t-il à sa soeur, malicieusement.
Je sentis le rouge me monter aux oreilles et lui envoyai mon coude dans les côtes. Il s’y était préparé car il étouffa un cri et garda une expression neutre. Anya ne sembla pas remarquer notre bataille silencieuse et ses lèvres s’ouvrirent pour dévoiler ses rangées de dents. Elle murmura dans l’oreille de son frère et Alex lui chuchota quelque chose à l’oreille que je ne pus entendre et je la vis poser son doigt sur sa bouche comme un signe de secret. Puis, elle partit aider sa mère à la cuisine. Restés seuls, nous nous dévisageâmes et je ne pus ne pas lui demander de s’expliquer.
— Quand ma soeur demande ça, elle pense à aimer comme amitié. Elle me l’a demandé pour chacun de mes amis, clarifia-t-il avec un grand sourire. Selon ma réponse, elle t’accepte ou non. Il y en a certains qu’elles n’a pas accepté tel Thim mais lui la rencontre a été particulière car il n’a pas arrêté de la houspiller gentiment.
J’acceptai sa réponse en posant ma tête sur ses cuisses.
— Et tu lui as dit quoi avant qu’elle parte ?
— Pourquoi ? Curieux ? me demanda-t-il d’un air taquin.
J’acquiesçai d’un signe de la tête et il me caressa le visage.
— Elle m’a demandé si je t’aimais plus que tous mes autres amis. Il fit une pause comme pour observer ma réaction. Et je lui ai répondu que tu étais le premier dans mon coeur mais qu’il fallait que ça reste un secret car sinon les autres allaient être jaloux » m’avoua-t-il tendrement.
Une fois que les paroles atteignirent mes oreilles, je me retournai pour ne pas qu’il puisse voir mon visage gagné par l’émotion et il se pencha vers moi pour me déposer un baiser sur l’oreille. Je frémis mais n’osai pas me retourner vers lui, gagné par la gêne. Il rit et une voix nous appela à table. Je me relevai alors et le suivis jusqu’à la salle à manger. Nous n’étions encore pas entrés qu’il me murmura dans l’oreille :
— Si tes oreilles sont encore si rouges, mes parents vont se poser des questions, me taquina-t-il.
Son souffle me fit sursauter et j’essayai tant bien que mal de calmer les battements de mon coeur et me frappai gentiment les joues comme si ça pouvait les faire dérougir. Alex me donna le feu vert et nous entrâmes. Patrick était en bout de table, sa femme à ses côtés, la petite Anya collée à sa mère. Je m’assis à côté de Patrick et Alex me laissa pour aller chercher de l’eau. Je m’y attendais, mais la conversation tourna principalement autour de la rencontre impromptue entre Alex et moi. La fin du repas approchait à grands pas :
« Au fait, tes parents ne sont pas trop inquiets que tu rentres aussi tard ? demanda soudainement Clémence, un regard posé sur l’horloge.
Sa question me fit tressaillir et je mis un petit moment avant me ressaisir
— Je vis seulement avec mon père et il m’a donné son accord, répondis-je froidement.
Il n’y avait aucune expression sur mon visage ce qui déstabilisa ses parents. Au vue de leurs expressions, je dessinai un faux sourire sur mon visage pour donner le change. Je sentis une main se poser sur la mienne
— Nous allons vous laisser » prévint Alex.
Puis, il se leva et je saluai ses parents en me penchant légèrement vers l’avant. Nous sortîmes, lui inquiet, moi, sans expression. Il ne m’avait pas quitté des yeux et me prit le bras, me tirant jusqu’à sa chambre. Je me laissai faire telle une poupée de chiffon. Nous entrâmes dans sa chambre et Alex s’assit par terre dos contre son lit, n’ayant toujours pas lâché mon bras. Je restai planté à côté de lui les yeux dans le vide quand il attrapa ma tête et la posa sur son épaule. Il me caressa les cheveux en chantonnant une mélodie triste. Tout en l’écoutant, j’essuyai une larme qui venait d’apparaître au coin de mon oeil, relâchant toute pression accumulée.
« Tu n’es pas curieux ? demandai-je soudainement, d’une voix craintive.
— Pour l’instant, j’essaie de faire disparaître ta peine, me répondit-il calmement.
Puis, il se remit à me caresser le haut de la tête. Décidément, je me sentais tellement bien à ses côtés.
— Je peux te poser quelques questions, me demanda-t-il tendrement. Tu n’es pas obligé de répondre si tu ne veux pas.
Il avait un sourire sincère sur son visage et j’acquiesçai d’un signe de la tête. Je voulais répondre à toutes ses questions mais je savais que je ne pourrais pas répondre à toutes. Et je savais que ma vie n’était que secrets. Je pris une profonde inspiration comme pour lui montrer que j’étais prêt et il me gratifia d’un sourire.
— Du coup, tu vis seulement avec ton père ? me demanda-t-il prudemment.
— Oui, ma mère est morte quand j’étais jeune, répondis-je en tremblant malgré mes efforts pour contrôler le son de ma voix.
— Désolé, ajouta-t-il d’une voix grave.
Ma main serra la sienne comme pour le rassurer et je plantai mes yeux dans les siens.
— Tu ne pouvais pas savoir, dis-je d’une voix calme.
— C’est vrai, mais bon… commença-t-il gêné.
— Je peux te raconter ce dont je me rappelle d’elle, mais je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’elle, confiai-je doucement.
Il acquiesça d’un petit signe de la tête et serra ma main comme pour me prévenir qu’il était prêt à entendre mon récit. Je m’installai plus confortablement prenant appui contre le lit, fermai les yeux pour raviver le peu de souvenirs que j’avais d’elle et commençai mon récit :
— Aussi loin que je me souvienne, ma mère était une femme extrêmement brillante. Elle était avocate et avait été admise à l’examen du barreau haut la main. Elle a rencontré mon père lors de sa deuxième affaire et ils se sont mariés l’année suivante. Puis, ils construisirent tranquillement leur petite vie et je suis arrivé. Ma mère a beaucoup souffert pendant l’accouchement, mais elle s’est battue et je suis né…
Je repris mon souffle avant de continuer. Alex m’écoutait sans m’interrompre.
— … Nous sortions au parc ou en forêt tous les trois dès que nous le pouvions et on peut dire qu’ils me choyaient. Je me rappelle encore des moments passés à nous promener main dans la main et les rires qui accompagnaient nos promenades…
Les larmes avaient commencé à couler le long de mes joues et je les essuyai maladroitement avec le revers de mon pull. Je n’étais pas en train de lui mentir, j’étais juste en train de déformer un peu la vérité. Car en vérité, les seuls moments joyeux que j’avais pu vivre, je ne m’en rappelais pas. J’étais bien trop jeune pour m’en rappeler et la noirceur de mes journées les avait assez rapidement remplacés.
— … puis tout s’est arrêté ce fameux jour. Je devais avoir 6 ans, je jouais devant la maison et le dernier souvenir de ma mère est son corps projeté en l’air. Je me souviens encore du conducteur qui est sorti en hâte de sa voiture et mon père qui a appelé les secours en pleurant à chaudes larmes, racontai-je d’un ton grave et tremblant.
Alex me prit dans ses bras et me serra le plus fort possible. Sous le coup de l’émotion, je ne pus retenir mes larmes et je m’abandonnai à ma tristesse dans ses bras.
— Tu as été bien courageux pour surmonter tout ça, me susurra-t-il à l’oreille.
Je mis un certain temps avant de me calmer. J’étais toujours dans les bras d’Alex qui ne m’avait pas lâché une seule secondes et qui avait attendu patiemment que ma peine disparaisse. Mon regard se posa sur le réveil posé sur la table de nuit et je me levai d’un bond.
— Qu’est-ce qu’il y a ? me demanda-t-il surpris par ma réaction.
— Je n’avais pas vu l’heure, je dois rentrer ! m’exclamai-je.
— Sinon tu passes un coup de fil et tu restes dormir, c’est dimanche demain, me proposa-t-il.
La proposition s’avérait alléchante mais les conséquences qui allaient en résulter me terrorisaient.
— Ce n’est pas contre toi mais mon père ne va pas apprécier je pense, lui confiai-je, un faux sourire dessiné sur le visage.
— Ok, affirma-t-il tristement. Laisse moi au moins te raccompagner jusqu’à chez toi, il se fait tard, me soumit-il.
Intérieurement, je paniquai. Il ne pouvait pas me ramener jusque chez moi, mais si je ne lui donnais pas une réponse satisfaisante au vue de son caractère, il n’allait pas lâcher l’affaire. Je réfléchis un moment et trouvai la parade imparable.
— Euh, Alex, tu sais mon père n’est pas au courant pour nous deux et je ne veux pas risquer qu’il le devine avant que je le lui dise. Je suis désolé, expliquai-je d’une petite voix.
La scène de la douche me revint en mémoire et je frissonnai. Alex me regardait perplexe mais devant mon regard sérieux il soupira et abandonna
— Très bien, mais je t’accompagne au moins jusqu’au terrain de basket.
J’approuvai d’un signe de la tête et m’avançai vers la porte de sa chambre. Au moment de sortir, deux puissants bras m’attirèrent et m’enlacèrent tendrement.
— Promets-moi que tu vas vite lui dire pour que l’on arrête de se cacher, me murmura-t-il à l’oreille.
— Je promets » affirmai-je en me mordant la lèvre inférieure sachant très bien que je n’en aurais jamais le courage.
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